Combien ça coûtait de regarder la Ligue 1 ?

Combien ça coûtait de regarder la Ligue 1 ?


De 1984 à nos jours, une rétrospective des différentes offres commerciales de télévision à péage pour pouvoir suivre le Championnat de France de football.

1984 - 1999

L'ère Canal+


Premier diffuseur du championnat français de football, la chaîne cryptée a régné en maître pendant 15 ans. Au programme, un match de championnat par semaine et des magazines, dont Jour de Foot, lancé le 2 septembre 1992, qui proposait un résumé de l’ensemble des matchs ainsi que tous les buts de Ligue 1 quelques minutes après la fin des rencontres.

Pour le téléspectateur, la situation était simple : il suffisait de s’abonner à Canal+, dont le prix a progressivement augmenté au fil des années.

Le 27 avril 1996, Canal+ passe au numérique en lançant deux nouvelles chaînes : Canal+ Jaune et Canal+ Bleu. La chaîne cryptée lance également le service de paiement à la séance « Kiosque » qui permet de choisir et de payer uniquement pour le contenu désiré.

Dès le 3 septembre, lors de la 5e journée de championnat de Division 1, les abonnés de Canal Satellite peuvent acheter le match de leur choix pour 50 francs (7,62 €) ou toute la soirée pour 75 francs (11,43 €). Les profits sont partagés entre Canal et la Ligue Nationale de Football. « Un contrat magnifique » pour son président Noël Le Graët, l’exclusivité de la retransmission des matchs en numérique coûte 50 millions de francs de droits d’entrée à Canal+

Toutefois un bémol existe, Kiosque n’est pas disponible pour les abonnés à « Canal+ en numérique », il faut attendre août 1997 pour que le service soit ouvert aux abonnés à Canal+.

Très rapidement, les négociations entre la Ligue et Canal+ trouveront une issue favorable sur un autre point. Le 25 octobre, le conseil d’administration de la LNF autorise la diffusion, en direct sur Canal+ Bleu, d’un second match de chaque journée du championnat de France de première division. Pour retransmettre cette rencontre, Canal doit débourser 6 millions de francs par journée de championnat à compter de la prochaine saison et propose ainsi à ses abonnés numériques, 2 matchs par journée et 8 matchs « à la carte » pour les abonnés à Canal Satellite.

  • Canal+ : 1 match de championnat de Division 1 par journée
  • Canal+ Bleu (puis Canal+ Vert à partir de 1998) : 1 second match de championnat de Division 1 par journée – à partir d’octobre 1996
  • Kiosque : 8 matchs en PPV (saison 1996-1997) – 7 matchs en PPV (saisons 1996>1999) – uniquement pour les abonnés Canal Satellite (jusqu’en août 1997) : 50 francs le match (7.62€) ou 75F (11.43€) la soirée.

1999 - 2005

Canal+ et TPS


Le 17 juin 1999, la Ligue Nationale de Football dévoile les résultats de l’appel d’offres pour les droits télévisés de la Division 1 pour les saisons 2001 à 2004. Quatre lots étaient en jeu : deux matchs décalés (le lot de Canal+), une troisième rencontre, des diffusions en paiement à la séance, ainsi qu’un magazine post-journée.

Depuis décembre 1996, Canal+ n’est plus seul sur le marché et fait face à la concurrence de TPS (Télévision Par Satellite), qui réunit dans son tour de table TF1, M6 et France Télévision. En 1997, Canal+ avait acquis les droits pour 750 millions de francs par saison, sans réelle concurrence. Depuis, le contexte a changé : la victoire de l’équipe de France en Coupe du Monde a dynamisé le marché du football, tandis que l’essor des bouquets satellitaires a modifié le paysage audiovisuel, renforçant la popularité de la télévision à péage. Les experts s’attendaient donc à ce que les 750 millions ne soient plus suffisants.

Lors de ce nouvel appel d’offres, TPS propose près de 6 milliards de francs pour trois ans, soit environ un milliard de plus que l’offre de Canal+.

Cependant, le partenaire historique du football français ne sera pas mis hors-jeu. Pour éviter de froisser Canal+, la LNF propose un accord équilibré permettant à chaque opérateur d’éviter une défaite tout en y trouvant son compte. Canal+ continuera à proposer à ses abonnés une offre équivalente, mais concédera à TPS le droit de diffuser, dès la saison 1999-2000, un match de Ligue 1, une victoire inattendue pour le bouquet présidé par Patrick Le Lay.

Dès le mois d’août, la diffusion des matchs de football prendra une nouvelle dimension. Canal+ continuera d’offrir, comme depuis 1984, deux matchs décalés par journée de championnat de Division 1, le paiement à la séance et le magazine Jour de Foot. TPS, quant à elle, diffusera un troisième match décalé et offrira également le paiement à la séance via son service Multivision, rompant ainsi l’exclusivité de Canal+ via son service « Kiosque ». Cependant, Canal+ conserve l’avantage du premier choix en ce qui concerne les matchs à diffuser.

  • Canal+ : 1 match de championnat de Division 1 par journée
  • Canal+ Vert : 1 match de championnat de Division 1 par journée
  • TPS Superfoot (1999-2000) / TPS Foot (2000-2001) / TPS Star (2001-2005) : 1 match de championnat de Division 1 par journée (samedi soir – 20h)
  • Kiosque/Foot+ (Canal+/Canalsatellite) : 7 matchs en PPV : 50F le match (7.62€) ou 75F (11.43€) la soirée + Ligue des Champions
  • Multivision Superstades (TPS) : 7 matchs en PPV : 50F/mois ou 50F (7.62€) la soirée

Pour l’abonné, les choses se compliquent : deux décodeurs distincts (sur deux satellites différents). À moins d’être abonné au câble, ceux qui souhaitent suivre l’intégralité du championnat doivent cumuler deux abonnements, ce qui alourdit considérablement la facture.

En septembre 2001, TPS renforce son offre commerciale en lançant TPS Star, une chaîne conçue pour concurrencer directement Canal+. Avec cette nouvelle chaîne, TPS introduit une offre « TPS Cinéma-Football », qui inclut le match de Ligue 1 du samedi soir, désormais diffusé sur TPS Star, ainsi que l’accès aux chaînes cinéma du bouquet.

En plus de cette offre, TPS proposera un abonnement combiné réunissant « TPS Cinéma-Football » et « Multivision Superstades », permettant ainsi aux abonnés d’accéder au 8 matchs en paiement à la séance  

Cependant, TPS révisera régulièrement ses offres commerciales.

105F

16.01€

105F

16,01€

164F

TPS Théma + TPS Cinéma + Jour de Match (le match du samedi soir acquis par TPS) - 25€

199F

TPS Optima + Superstades - 30,34€

50F

50F par journée ou 50F par mois pour la saison (10 prélèvements) - option uniquement accessible avec TPS Théma ou TPS Cinéma - 6 matchs de D1, 3 matchs de D2 - 7,62€

45F/mois pour la location du décodeur (6,86€) - engagement 12 mois

115F

17,53€

140F

TPS Star (lancé en septembre 2001 - qui récupère le match de Ligue 1 du samedi) et les chaînes cinéma (Cinéstar 1 et 2, Ciné Faz et Cinétoile) - 21,34€

164F

TPS Théma + TPS Cinéma-Football - 25€

189F

28.80€

199F

TPS Optima + Superstades - 30,34€

49F

50F par journée ou 49F par mois pour la saison (10 prélèvements) - 6 matchs de D1 et 1 match de D2 - 7,47€ (prix mensuel)

45F/mois pour la location du décodeur (6,86€) - engagement 12 mois

17,50€
21€

TPS Star (match de Ligue 1 du samedi) et les chaînes cinéma (Cinéstar 1 et 2, Ciné Faz et Cinétoile)

25€

TPS Théma + TPS Cinéma-Football

31€
33€

TPS Optima + Superstades

7,47€

en option - 7.62€ par journée ou 7.47€ par mois pour la saison (10 prélèvements) - 6 matchs de D1 et 1 match de D2

6.86€/mois pour la location du décodeur - engagement 12 mois

17,50€
21€

TPS Star (match de Ligue 1 du samedi) et les chaînes cinéma (Cinéstar 1 et 2, Ciné Faz et Cinétoile)

25€

TPS Théma + TPS Cinéma-Football

31€

TPS Premium + Superstades

33€

TPS Optima + Superstades

10€

en option - engagement pour la saison - 7 matchs de Ligue 1 à chaque journée de championnat.

8€/mois pour la location du décodeur - engagement 12 mois

11€

Une sélection de chaînes TPS dans chacune des thématiques... Abonnement à Superstades possible avec cette offre.

11€
17,50€
23€

TPS Star + les chaînes cinéma (TPS Cinéstar, Homecinéma, Cinéfamily, Cinéextreme, Cinéculte, Cinétoile)

27,50€

TPS Grand Écran + TPS Thématiques

34,50€

TPS Prestige + Superstades

13€

en option - engagement pour la saison - 7 matchs de Ligue 1 à chaque journée de championnat.

8€/mois pour la location du décodeur - engagement 12 mois

11€
17,50€
19,50€

TPS Star, TPS Cinéstar, TPS Homecinéma, TPS Cinéfamily - 1 seul match de Ligue 1, 1 affiche de Premier League anglaise et un match du championnat de basket Pro A par semaine.

27,50€

TPS Star Premium + les autres chaînes cinéma + TPS Thématiques

34,50€

TPS Prestige + Superstades + TPS English Premier League (qui deviendra TPS Foot en 2005)

13€

en option - engagement pour la saison - 7 matchs de Ligue 1 à chaque journée de championnat.

8€/mois pour la location du décodeur - engagement 12 mois

Pour le consommateur, le total des deux bouquets à un coût. L’infographie résume les tarifs des deux bouquets en tenant compte des offres les moins onéreuses et qui permettent de bénéficier d’un maximum de matchs inclus afin de couvrir 100 % des rencontres de Ligue 1.

2005 - 2008

Canal+


Le 10 décembre 2004, Canal+ a obtenu l’exclusivité des droits de diffusion de la Ligue 1 pour 600 millions d’euros par an. La chaîne cryptée a remporté les quatre lots mis en jeu, les offres de TPS et de France Télécom (qui était candidat pour le lot de pay-per-view) ont été jugées insuffisantes.

Ce résultat marque une victoire importante pour Canal+, surtout après que le précédent appel d’offres, à la fin de 2002, avait été suspendu par le Conseil de la concurrence à la demande de TPS. À l’époque, Canal+ avait obtenu les droits exclusifs de la Ligue 1 pour 480 millions d’euros par saison. En conséquence, les droits avaient été partagés entre les deux diffuseurs pour un total de 375 millions d’euros.

Pour TPS, qui avait acquis les droits exclusifs de la Premier League anglaise quelques mois plus tôt (précédemment détenus par Canal+), cette annonce a créé un choc. Cela a facilité la vente du bouquet à son principal concurrent un an plus tard.

  • Le lot 1 correspond au « premier choix » : le match du dimanche soir à 21h (ou le vendredi selon les contraintes liées aux autres compétitions).
  • Le lot 2 correspond au deuxième et troisième choix : les matchs du samedi à 17h15 et du dimanche à 18h.
  • Le lot 3 correspond au magazine programmé juste après la soirée du samedi à 22h15 (Jour de Foot).
  • Le lot 4 correspond aux sept rencontres en paiement à la séance (« pay-per-view »), le samedi à 20h.

Pour le téléspectateur, les choses se simplifient : un abonnement à Canal+ Le Bouquet ainsi qu’à l’option Foot+ suffisent pour regarder 100 % des matchs.

  • 2 affiches sur Canal+ : le samedi à 17h15 et le dimanche à 21h
  • 1 affiche sur Canal+ Sport : le dimanche à 18h
  • 7 matchs sur Foot+ : le samedi à 20h.

2008 - 2012

Canal+ et Orange


Nouveau cycle de droits, nouveaux diffuseurs : le 5 février 2008, la Ligue de football professionnel a cédé les droits de la Ligue 1 à Canal+ et Orange pour un montant de 668 millions d’euros.

La chaîne cryptée a obtenu deux des trois lots premium, incluant les matchs diffusés le dimanche soir ainsi que les droits relatifs au paiement à la séance. De son côté, Orange a remporté le troisième lot premium, qui comprend la diffusion de 38 matchs le samedi soir.

Canal+ a également acquis quatre des cinq lots dédiés aux magazines, tandis qu’Orange a obtenu le lot des droits de « vidéo à la demande » ainsi que les droits pour la téléphonie mobile.

Pour le téléspectateur, les choses se complexifient à nouveau. Pour pouvoir regarder le match du samedi soir, le fan de football doit désormais souscrire à un abonnement internet chez Orange. La nouvelle chaîne, créée spécialement pour diffuser ce match, est disponible uniquement via l’opérateur téléphonique. Pour Orange, cette initiative s’inscrit dans une logique commerciale de convergence entre les télécoms et les contenus.

Cependant, cette stratégie a provoqué des remous, tant parmi les concurrents que du côté des pouvoirs publics.

  • 1 affiche sur Canal+ : le dimanche à 21h
  • 1 affiche sur Orange Sport : le samedi à 20h
  • 8 matchs sur Foot+ : le samedi à 19h et le dimanche à 17h (+ les affiches de Canal+ et Orange foot en différé).

L’infographie ci-dessous présente le coût mensuel total pour accéder à 100 % des matchs de Ligue 1 en direct, comprenant un abonnement aux chaînes Canal+, à Foot+ (pour les matchs en pay-per-view), ainsi qu’à Orange Sport avec un abonnement internet Livebox d’Orange (incluant la location du modem).

À noter qu’une alternative était également possible : un abonnement aux chaînes Canal+ et à Foot+ permettait aussi de suivre 100 % de la Ligue 1. Dans ce cas, le match diffusé sur Orange Foot était accessible en différé, le samedi soir à minuit.

2012 - 2020

beIN Sports et Canal+


En juin 2011, un nouvel acteur fait son entrée sur le marché des droits télévisés de la Ligue 1. Le groupe qatari Al-Jazeera acquiert le lot 5, comprenant le match du vendredi à 21 heures et celui du dimanche 14h, pour un montant de 90 millions d’euros, à l’issue de l’appel d’offres pour les saisons 2012 à 2016.

En janvier 2012, la nouvelle chaîne, baptisée « beIN Sport » (sans « s » les premières années), récupère également le lot « pay-per-view », lui permettant de diffuser six autres matchs. Grande nouveauté, beIN Sports propose l’ensemble de ses matchs (8 sur 10) dans une offre unique facturée 11 €/mois, sans engagement, incluant également d’autres droits sportifs.

De son côté, Canal+ conserve les quatre premiers lots « premium », incluant le match du samedi à 17 heures, la rencontre du dimanche soir à 21 heures, ainsi que les magazines.

Cycle de droits 2012-2016


  • 2 affiches sur Canal+ : le samedi à 17h et le dimanche à 21h.
  • 8 matchs sur beIN Sports : le vendredi à 20h45, 5 matchs (multiplex) le samedi à 20h, le dimanche à 14h et à 17h.

La distribution de beIN Sports n’a pas été sans difficultés. Si la chaîne était accessible sur la plupart des réseaux ADSL/FTTH et câble dès son lancement le 1er juin 2012, il a fallu attendre le 25 juin 2012 pour qu’un accord de distribution soit trouvé entre le groupe Canal+ et beIN. Ce n’est que le lendemain, le 26 juin 2012, que beIN Sport 1 et beIN Sport 2 sont devenues accessibles en option à 11 €/mois pour les abonnés de Canalsat, mais pas pour ceux de Canal+.

En conséquence, un abonné à Canal+ souhaitant accéder à beIN avait tout intérêt à souscrire aux nouvelles chaînes via son opérateur télécom. L’abonné satellite, quant à lui, devait prendre un abonnement Canalsat supplémentaire pour pouvoir souscrire à beIN Sports.

En 2015, Canal+ lance une nouvelle offre « promotionnelle » couplant Canal+, Canalsat et beIN Sports inclus durant une durée déterminée sous le nom « La totale sport » pour 63€/mois (hors location du décodeur sur le satellite – 6€/mois).

Le 4 avril 2014, à l’issue d’un nouvel appel d’offres, la Ligue de Football Professionnel attribue les droits de la Ligue 1 à Canal+ et beIN Sports pour les saisons 2016 à 2020.

La chaîne cryptée améliore son offre avec le premier choix et un match supplémentaire, celui du vendredi 21h beIN Sports remporte les lots 3 et 4 correspondant à 7 matchs et au multiplex ainsi que le lot 5 (résumés) et le lot 6 (vidéo à la demande). 

Cycle de droits 2016-2020


  • 3 affiches sur Canal+ : le vendredi à 20h45, le samedi à 17h et le dimanche à 21h.
  • 7 matchs sur beIN Sports : 5 matchs (multiplex) le samedi à 20h, le dimanche à 15h et à 17h.

En 2016, les premiers changements commerciaux commencent à apparaître. À l’occasion de l’Euro 2016, Canal+ lance une offre couplée avec beIN Sports à 30 €/mois pendant deux ans. Mais c’est en novembre que Canal+ opère un véritable big-bang commercial sous le slogan « Canal change tout ». L’abonnement séparé à Canal+ et à Canalsat disparaît, remplacé par de nouvelles offres Canal structurées autour d’un socle central, la chaîne Canal+, avec des packs additionnels. Parmi ces packs, un nouveau pack sport inclut notamment Canal+ Sport, beIN Sports et Eurosport, pour un tarif hors promotion de 49,90 €/mois (hors location du décodeur satellite – 6 €/mois). Cette offre sera régulièrement proposée en promotion à 29,90 €, 34,90 € ou 39,90 €.

2020 - 2021

Canal+ et Téléfoot la chaîne


Le 29 mai 2018, le groupe sino-espagnol Mediapro remporte la majeure partie des droits de la Ligue 1 pour les saisons 2020 à 2024 contre un chèque de 780 millions d’euros par saison. Plus précisément, Mediapro obtient le lot 1 (le match du dimanche soir à 21h et le magazine type « Canal Football Club »), le lot 2 (les matchs du vendredi soir et du samedi à 17h), ainsi que le lot 4 (les cinq matchs du dimanche après-midi). De son côté, beIN Sports sauve la mise en récupérant le lot 3, qui comprend deux matchs par journée, ceux du samedi à 21h et du dimanche à 17h. Diffuseur historique de la Ligue 1, Canal+ repart bredouille.

Très rapidement après ce coup de tonnerre, des négociations s’engagent entre les différents acteurs. En décembre 2019, beIN Sports sous-licencie à Canal+ ses deux matchs de Ligue 1 et signe un accord de distribution exclusif. Quant à Mediapro, ils signent en juin 2020 un accord avec TF1 pour l’utilisation de la marque « Téléfoot » pour la future chaîne de télévision ainsi qu’un accord de sous-licence avec le groupe Altice, propriétaire de RMC Sport, pour la co-diffusion de la Ligue des Champions et de l’Europa League (saison 2020-2021).

  • 8 affiches sur Téléfoot la chaîne : le vendredi à 21h, le samedi à 17h, 5 matchs (multiplex) le dimanche à 15h, l’affiche du dimanche à 21h (et le match périodique du samedi 13h).
  • 2 affiches sur Canal+ (sous-licence de beIN Sports) : le samedi à 21h et le dimanche à 17h

Tandis que beIN Sports est accessible chez la grande majorité des distributeurs de télévision payante, « Téléfoot la chaîne » n’a pas réussi à conclure un accord avec Canal+ pour être intégrée à ses offres. La nouvelle chaîne de Mediapro est disponible chez l’ensemble des opérateurs télécoms et en distribution directe, avec des offres allant de 15 € à 30 € par mois. Téléfoot a également proposé des abonnements « à la journée de championnat », « 3 jours » ou « à la semaine ».

Le consommateur doit ainsi cumuler l’abonnement à « Téléfoot la chaîne » (via son opérateur télécom ou en distribution directe) avec l’offre « Essentiel » de Canal+, qui propose les deux matchs de Ligue 1 de la chaîne cryptée.

L’aventure Téléfoot prend rapidement fin. Le contrat signé avec la LFP pour les droits de diffusion du championnat de France sur la période 2020-2024 est rapidement remis en question. Après un premier retard dans le paiement à l’été 2020, Mediapro ne respecte pas l’échéance d’octobre, ne versant pas les 135 millions d’euros prévus pour la Ligue 1 sur les 780 millions attendus pour la saison 2020-2021, ni les 34 millions d’euros pour la Ligue 2.

Mediapro justifie ce manquement en invoquant l’impact de la crise sanitaire sur les revenus publicitaires, affirmant que le contrat avait été conclu dans des conditions très différentes de la situation actuelle, et demande une révision des termes. La LFP refuse de reporter le paiement, rappelant son engagement de redistribution des fonds aux clubs professionnels. Cette situation débouche sur une procédure de conciliation avec la LFP, lancée auprès du tribunal de commerce de Nanterre.

Le 8 décembre 2020, une réunion d’information se tient au sein de la rédaction de Téléfoot, provoquée par le non-paiement du troisième versement, initialement prévu au début du mois. Lors de cette réunion, l’hypothèse d’une fermeture imminente de la chaîne est évoquée pour la première fois devant les employés, suscitant une vive inquiétude parmi les équipes.

Trois jours plus tard, le 11 décembre 2020, cette inquiétude devient réalité : Mediapro annonce officiellement à ses salariés l’arrêt de Téléfoot.

Après de nombreuses péripéties, dont un appel d’offres infructueux (le prix de réserve n’ayant pas été atteint par les candidats Amazon, DAZN et Discovery-Eurosport), le 4 février, Canal+ récupère l’ensemble des droits de la Ligue 1. La chaîne récupère également huit matchs sur dix de la Ligue 2, et ce, jusqu’à la fin de la saison 2020-2021.

Pour le téléspectateur, un abonnement à l’ensemble des chaînes Canal+ redevient nécessaire … du moins jusqu’à la fin de la saison.

  • Canal+ : 1 match le samedi à 17h, 1 match le dimanche à 21h
  • Canal+ Sport : le vendredi à 21h, le samedi à 21h, le dimanche à 13 h et à 17h et le multiplex (4 matchs) à 15h
  • Foot+ : 4 matchs du dimanche 15h (multiplex) en intégralité

2021 - 2024

Canal+ et Prime Vidéo


Le 11 juin 2021, le Conseil d’administration de la Ligue de Football Professionnel (LFP) s’est réuni pour choisir entre deux offres majeures concernant la diffusion de la Ligue 1 pour les saisons 2021-2024.

D’un côté, la LFP pouvait opter pour la continuité en renouvelant sa confiance au duo Canal+/beIN Sports. Dans cette configuration, Canal+ proposait 370 millions d’euros pour diffuser deux matchs par journée de Ligue 1, tandis que beIN Sports ajoutait 165 millions d’euros pour huit matchs par journée, plus 18 millions d’euros pour la diffusion de dix matchs de Ligue 2. En intégrant un bonus de 78 millions d’euros, basé sur le nombre d’abonnés, la somme totale pouvait atteindre 673 millions d’euros.

De l’autre côté, un nouvel acteur faisait son apparition dans le paysage audiovisuel sportif français : Amazon. Le géant du commerce en ligne proposait 250 millions d’euros, auxquels s’ajoutaient 25 millions d’euros par an pour les coûts de production, pour diffuser huit matchs de Ligue 1 par journée (dont les dix meilleures affiches). Amazon offrait également 9 millions d’euros par an pour huit matchs de Ligue 2. En additionnant ces chiffres aux 332 millions d’euros proposés par Canal+ (via un accord de sous-licence avec beIN Sports) pour deux matchs par journée de Ligue 1, et les 30 millions d’euros pour deux matchs par journée de Ligue 2, l’offre totale atteignait 663 millions d’euros.

Le Conseil d’administration de la LFP a finalement choisi l’offre d’Amazon, provoquant l’indignation de Canal+, qui estimait surpayer les droits par rapport au géant américain.

En août 2021, Amazon Prime Video a fait son entrée officielle dans le monde du football français en proposant huit matchs de Ligue 1 par journée. Pour rendre les matchs accessibles aux fans, la plateforme a créé le « Pass Ligue 1 », un abonnement mensuel sans engagement à 12,99 €, en plus de l’abonnement Amazon Prime à 5,99 €.

  • 8 affiches sur Prime Vidéo : le vendredi à 21h, le samedi à 17h, 5 matchs (multiplex) le dimanche à 15h, l’affiche du dimanche à 21h (et le match périodique du samedi 13h).
  • 1 affiche sur Canal+ Sport 360 en août 2021 : le samedi à 21h
  • 1 affiche sur Canal+ Foot : le dimanche à 17h

Prime Vidéo ne nouera pas d’accord de distribution avec Canal+. La chaîne sera en commercialisation directe et disponible chez l’ensemble des opérateurs télécoms.

2024 - ...

beIN Sports et DAZN


Nouveau cycle, nouveaux diffuseurs. Après de longues négociations en gré à gré avec plusieurs acteurs, la LFP a attribué les droits domestiques de la Ligue 1 pour les saisons 2024 à 2029 à DAZN et beIN Sports.

  • 8 affiches sur DAZN : le vendredi à 21h, le samedi à 19h et à 21h, le dimanche à 15h ainsi que trois matchs à 17h et une affiche à 21h.
  • 1 affiche sur beIN Sports : le samedi à 17h


OCS : vous êtes fans ? Eux aussi.

OCS : vous êtes fans ? Eux aussi.


Le 3 juillet dernier, l’offre Ciné+ de Canal+ a absorbé les chaînes OCS d’Orange. En 17 ans d’existence, Orange Cinéma Séries a traversé une histoire mouvementée, marquée par du lobbying, des batailles judiciaires et des pressions institutionnelles.

Tout commence en 2004, une année qui marque un tournant stratégique pour France Télécom. L’opérateur historique, confrontée à un marché des télécommunications en pleine mutation décide de créer une division dédiée aux contenus.

Principalement axée sur la vidéo à la demande (VàD) afin d’alimenter son offre “Ma Ligne TV” (qui deviendra en 2005 “La TV d’Orange”), cette initiative s’avère rapidement fructueuse. En seulement deux ans, elle atteint un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros. Un succès précoce qui ouvre la voie à une diversification plus large dans le domaine des contenus.

Une stratégie des petits pas


En mai 2007, Orange fait ses premiers pas dans l’industrie cinématographique avec le lancement de “Studio 37” (futur Orange Studio), sa filiale de production dirigée par Frédérique Dumas. Profitant du Festival de Cannes, la nouvelle entité dévoile ses six premiers projets de coproduction et positionne en concurrent direct de StudioCanal.

Par la suite, Orange multiplie les initiatives. L’opérateur dépêche quatre acheteurs aux Los Angeles Screenings, le marché international des séries, cherchant à s’affranchir de Canal+ pour l’acquisition de séries américaines. Cette démarche s’inscrit dans une tendance plus large : le marché de la vidéo à la demande attise les convoitises des géants des télécoms. En juin 2007, son concurrent Free lance “Free Home Vidéo”, proposant un accès illimité à un catalogue de films et de séries pour 5.99€/mois, préfigurant le modèle de Netflix. Orange riposte quelques semaines plus tard avec le service “24/24 Séries” proposant des séries comme Scrubs ou encore Desperates Housewives en accès illimité.

L’offensive de l’opérateur s’intensifie à la rentrée 2007 avec le lancement d’une chaîne linéaire (et un portail interactif dédié) intitulé “Orange Sports TV” (qui deviendra “Orange sport info” un an plus tard). Produite par la société “Sporever” de Patrick Chêne, cette chaîne est pensée pour combler un besoin non satisfait, celui de ne pas pouvoir diffuser “L’Équipe TV” alors en exclusivité dans les offres CanalSat.

Si mineur soit-il, le lancement de cette chaîne marque un tournant : Orange passe de simple distributeur à producteur de contenus et va se poser, pas à pas, comme un potentiel rival de Canal+ dans le domaine de la télévision payante.

Free Home Vidéo : l'un des premiers services de SVOD en France


Pour 5.99€/mois, l’utilisateur pouvait retrouver plus de 50 films et 100 épisodes de séries renouvelés toutes les semaines. En janvier 2008, une seconde offre facturée 10.99€/mois a été lancée et permettait un accès illimité à un choix élargi : cinéma, séries, musique, kids, mangas (ainsi que des contenus adultes plus tard) en haute définition.

Football, cinéma et séries : bienvenue à Orange+


La stratégie de convergence chère (et cher) à Jean-Marie Messier et bien plus tard à Patrick Drahi va se concrétiser lors du premier semestre 2008. Le 6 février, l’opérateur acquiert pour 203 millions d’euros, le match du samedi soir de Ligue 1, ainsi que les droits mobiles.

Deux mois plus tard, le 7 avril, lors du MIP-TV à Cannes, France Télécom annonce le lancement de “Orange cinéma séries” (OCS) pour le quatrième trimestre. L’opérateur dévoile des accords exclusifs avec Warner Bros et HBO pour la diffusion de leurs nouveaux films et séries. Le cinéma français n’est pas en reste puisqu’un accord pluriannuel de préachat exclusif est signé avec Fidélité Films et pour certains films du catalogue de Gaumont. Orange affirme sa volonté de “faire largement appel à la créativité de la production française et participer au financement du cinéma français”.

À l’origine de cette stratégie se trouve Didier Lombard, PDG de France Télécom, ancien directeur général adjoint chargé des nouveaux usages. Sa vision est claire : attirer de nouveaux abonnés en misant sur “la qualité et la richesse des services”, un moyen de se démarquer des concurrents. Orange compte offrir une consommation de contenus multi-supports avec la possibilité de commencer un film sur son téléviseur et de le poursuivre sur son téléphone, via les réseaux “décentralisés et haut débit” de France Télécom. Un modèle qu’il opposera à la diffusion télévisuelle classique et centralisée.

Ces annonces interviennent à un moment stratégique, celui de la migration des abonnés du bouquet TPS vers Canalsat. Orange veut se positionner comme une alternative aux offres de Canal+ et pour cela, elle compte y mettre les moyens. Au point de lancer un service de télévision par satellite durant l’été 2008, visant les zones ayant un faible débit internet pour recevoir la télévision par IP.

Piques et polémiques


L’entrée d’Orange sur le marché de la télévision payante voit une réaction immédiate et coordonnée de Canal+ et de sa maison-mère Vivendi, sur plusieurs fronts.

Après de premières tensions, à la suite du lancement de Studio 37 en mai 2007, aboutissant à la résiliation de la distribution de l’offre “Canal+ Mobile” chez Orange en octobre de la même année, la situation va considérablement se détériorer dès le printemps 2008.

L’annonce du lancement d’Orange Cinéma Séries au MIP TV est une réelle surprise pour le géant de la télévision payante. Un an après l’absorption de TPS, la chaîne cryptée se retrouve face à un nouveau concurrent inattendu. Toutefois, pour Canal+, le constat est simple : il n’y a pas la place pour un second service payant rentable en France, surtout s’il est uniquement centré sur le cinéma.

Le lendemain de l’annonce du lancement de OCS, le directeur général de Canal+, Rodolphe Belmer réagit (aussi) depuis le MIP-TV. Il déclare qu’Orange “va reconstituer un petit TPS Star et devient donc un concurrent sérieux en télévision payante” et lance un pavé dans la mare en demandant à ce que “France Télécom contribue sur son chiffre d’affaires dégagé des offres triple-play” en ajoutant que “l’exception culturelle, ça se finance et ça se protège”. La chaîne cryptée consacre une part importante de son chiffre d’affaires à la production cinématographique et exige qu’Orange soit soumis à des contraintes similaires.

Le lendemain, la position de Canal+ est réitérée dans les colonnes du Figaro. Bertrand Méheut, PDG de Canal+, poursuit l’argumentaire de son directeur général avec une interrogation : « La question est de savoir si Orange a le droit d’acquérir des contenus en les finançant par les bénéfices de sa situation dominante sur le marché des télécoms ».

Si Orange inquiète autant la chaîne cryptée, c’est en grande partie en raison de sa puissance financière. La maison-mère, France Télécom, a surmonté les difficultés financières du début des années 2000 et affiche un chiffre d’affaires de 53 milliards d’euros et un cash-flow de 7,8 milliards d’euros en 2007. Face aux moyens colossaux de l’opérateur historique, Canal+ craignait une flambée des coûts pour les films les plus porteurs d’audience, notamment les films américains de studios et les films français à gros budget, confie à Encyclomédia, Manuel Alduy, alors directeur du cinéma à Canal+.

La concurrence entre OCS et Canal+ engendre une inflation sur les coûts d’acquisition des films et séries jugés « porteurs », sans lien avec leur audience réelle ou leur qualité. Cette situation crée une bulle artificielle autour de certaines productions américaines et françaises. La rivalité entre les deux acteurs est ainsi devenue un élément clé du marché audiovisuel payant pour les ayants-droit.

OCS prend forme


Suite à l’annonce du lancement d’Orange Cinéma Séries, l’état-major de France Télécom compte lui-aussi occuper l’espace médiatique en mettant l’accent sur le caractère novateur de son offre.

L’opérateur ambitionne de révolutionner la consommation de contenus audiovisuels. Si aujourd’hui, la télévision de rattrapage ou encore le start-over font partie du quotidien de nombreuses personnes, la stratégie « multi-écrans » proposée par Orange offrait une flexibilité quasi-inédite sur le marché français. L’accord conclu avec Warner Bros est présenté comme une « première mondiale » puisqu’il couvre à la fois les droits de diffusion en télévision payante mais aussi en vidéo à la demande sur l’ensemble des supports, illustrant ainsi une approche globale dans l’acquisition et la distribution de contenus.

Toutefois, comme le précise Manuel Alduy, Canal+ aussi préfigurait ces nouveaux modes de consommation : « Juste avant le lancement d’OCS, nous avions lancé le replay sur les programmes, dont le cinéma français, au printemps 2008 ».

Le 8 octobre 2008, les cinq chaînes du bouquet Orange Cinéma Séries sont présentées à la presse. La programmation prévoit la diffusion de films en première exclusivité, des œuvres de catalogue, et à l’instar de Canal+ et auparavant TPS Star, la diffusion mensuelle d’un film pour adultes. Le tarif est fixé à 12€/mois pour un accès TV et PC (et une offre mobile distincte à 6€), pour un lancement le 13 novembre 2008. Loin des 33€ mensuels pour un abonnement à la chaîne cryptée.

Face à cette nouvelle concurrence, Canal+ s’adapte


La concurrence d’Orange pousse Canal+ à revoir sa stratégie. La chaîne cryptée se voit contrainte de renégocier ses accords d’approvisionnement en films américains auprès des studios, cherchant à préserver son attractivité en matière de films en première exclusivité. Manuel Alduy apporte un éclairage sur cette situation : « Sans concurrence frontale, Canal+ aurait préféré négocier l’acquisition des films US en fonction de leur succès en salles, sur des bases plus sélectives ». Il ajoute : « Sur le cinéma français, nous avons résisté à l’inflation des budgets et renégocié un nouvel accord avec la profession du cinéma en décembre 2009.”

Également, la concurrence accélère la mutation de Canal+ vers un modèle plus généraliste, en témoigne le succès des émissions en clair, des créations originales ou encore la diversification dans le documentaire. “Orange avait investi dans le cinéma, le football et les séries, Canal+ a répliqué en investissant partout et plus haut” analyse l’ancien directeur du cinéma de la chaîne cryptée.

Ce modèle lui permet ainsi d’être “plus sélectif afin de ne pas dépendre, sur tel ou tel genre (sport, cinéma, séries) d’une seule catégorie de fournisseurs. En d’autres termes, nous avons abandonné certains programmes (par exemple, nous avons réduit le nombre de films américains de notre plateforme)” ajoute t-il.

OCS face aux défis


Une bataille juridique


L’offensive de l’opérateur historique dans le domaine des contenus provoque une bataille juridique et réglementaire d’une ampleur importante, impliquant ses concurrents, régulateurs et même le législateur…

Moins d’un an après les premières déclarations, Canal+ met ses menaces à exécution. En février 2009, la chaîne cryptée associée à SFR (alors filiale de Vivendi) porte plainte contre Orange auprès de l’Autorité de la concurrence.

Bertrand Méheut accuse Orange de “vente liée” et de “vente à perte” participant ainsi à une inflation artificielle des droits du cinéma et du football. Dans son viseur, la chaîne Orange Sport proposant le match de Ligue 1 du samedi soir, le football allemand, du basket et divers sports pour uniquement 6€/mois. Également, l’obligation pour les clients de souscrire aux offres internet de l’opérateur afin d’accéder aux nouvelles chaînes cinéma et sport est également visée.

Parallèlement, d’autres acteurs entrent dans la danse. Free et SFR, concurrents directs d’Orange sur le marché de la téléphonie, saisissent le tribunal de commerce de Paris. Ils contestent l’exclusivité d’Orange sur la retransmission des matchs de Ligue 1, arguant que cette pratique fausse la concurrence et pénalise les consommateurs.

Cette bataille juridique menée sur plusieurs fronts a pu s’inscrire dans un contexte plus large. Un article de l’hebdomadaire Stratégies du 19 février 2009 révèle que Vivendi aurait lancé un appel d’offres auprès de divers cabinets d’avocats pour une opération intitulée “Projet Citron”. “Une offensive juridique, médiatique et de lobbying pour laquelle tous les moyens sont bons” réagit alors le porte-parole de France Télécom.

Cette stratégie va porter ses fruits, du moins dans un premier temps. Le 23 février 2009, le tribunal de commerce de Paris donne raison à SFR et Free rendant un jugement qui ébranle la stratégie d’Orange. L’opérateur est condamné à cesser de “subordonner l’abonnement” à ses chaînes payantes à la souscription d’un abonnement internet chez Orange, sous peine d’astreinte financière. Cette décision conduit l’opérateur à deux scénarios : ouvrir l’accès à Orange Foot (et par ricochet Orange Cinéma Séries) à tous les opérateurs qui le souhaiteraient ou suspendre la commercialisation de ses chaînes. Estimant que les contenus ont été acquis dans le cadre d’une stratégie commerciale bien définie, Orange fait appel et suspend la commercialisation d’Orange Foot entre la fin février et le mois de mai 2009.

… mais aussi institutionnelle et réglementaire


Au-delà des tribunaux, Orange se trouve confronté … au gouvernement qui s’en mêle aussi. En octobre 2008, dans le cadre du plan “France numérique 2012”, le secrétaire d’État au numérique Éric Besson, demande la saisine du Conseil de la concurrence. L’objectif étant de déterminer si les offres exclusives d’Orange et leur mode d’accès ne constituent pas une forme déguisée de vente liée avec l’offre d’infrastructure de l’opérateur.

Au même moment, un amendement est adopté dans le projet de loi sur la télévision publique, interdisant de “réserver une offre audiovisuelle aux seuls abonnés à l’accès internet de l’opérateur commercialisant l’offre”. Bien que ne nommant pas explicitement Orange, cet amendement déposé par 19 députés UMP vise clairement sa stratégie d’exclusivité. Il est adopté malgré l’opposition du gouvernement et du rapporteur Christian Kert (alors membre de la majorité présidentielle) soulignant les divisions au sein même de la majorité sur cette question.

Si certains peuvent voir à travers cette action la conséquence d’une action de lobbying, Orange ne restera pas les bras croisés.

En janvier 2009, l’opérateur contre-attaque en portant plainte contre Canal+ devant le Conseil de la concurrence pour “abus de position dominante”. Orange pointe les accords d’exclusivité de Canalsat avec plusieurs chaînes populaires du câble et du satellite, dont celles de TF1 (Eurosport, LCI…) ou celles du groupe Lagardère (Canal J, MCM…). Le PDG du groupe Canal+ Bertrand Méheut riposte dans un entretien au quotidien économique La Tribune, en arguant que les offres du groupe Canal+ sont disponibles sur tous les réseaux et chez tous les opérateurs. Le groupe audiovisuel ne faisant que son métier de distributeur.

Les autorités de régulation ne tardent pas à entrer dans l’arène, complexifiant encore le débat.

L’ARCEP, gendarme des télécoms, se prononce le 1er avril 2009 contre l’exclusivité des chaînes “premium” d’Orange. Dans son avis, le régulateur estime “souhaitable qu’Orange permette aux abonnés des autres fournisseurs d’accès à Internet d’accéder aux chaînes ou contenus à forte valeur ajoutée qu’elle édite”. Le CSA, de son côté, tente une approche plus nuancée. Le 9 avril 2009, il plaide en faveur d’une exclusivité temporaire pour Orange Sport et Orange Cinéma Séries. Le conseil suggère que la durée de cette exclusivité dépende “du nombre d’abonnés aux offres exclusives” et du “périmètre des droits soumis à l’exclusivité”. Cette position médiane tente de concilier les intérêts d’Orange avec les préoccupations concurrentielles du marché.

Saisie de toutes parts, l’Autorité de la concurrence rend un avis le 7 juillet 2009. Elle estime « contestable » le modèle d’exclusivité revendiqué par Orange. Selon l’Autorité, « la double exclusivité (des contenus et d’accès) entraîne une restriction du choix du consommateur, qui ne peut plus avoir accès à tous les contenus attractifs ou est obligé de payer beaucoup plus cher pour avoir un accès universel aux contenus ». L’Autorité préconise de limiter la durée d’exclusivité à un ou deux ans et d’en restreindre le champ aux véritables innovations.

Le débat n’est pas suffisamment complexe. La publication du rapport Hagelsteen le 12 janvier 2010, commandé par le Premier ministre François Fillon et rédigé par Marie-Dominique Hagelsteen, présidente de la section des travaux publics au Conseil d’État, critique sévèrement la stratégie d’Orange dans les contenus. Le rapport juge cette stratégie néfaste pour la concurrence et le développement du très haut débit, allant jusqu’à suggérer qu’elle pourrait constituer « une incitation supplémentaire au téléchargement illégal ». Premier actionnaire d’Orange, l’État renforce la pression sur Orange pour revoir son approche dans le domaine des contenus.

Contre toute attente, Orange remporte une victoire juridique significative le 15 juillet 2010. La Cour de cassation rend un arrêt autorisant l’opérateur à réserver sa chaîne Orange Sport exclusivement à ses abonnés ADSL. Cette décision, confirmant un jugement antérieur de la cour d’appel de Paris en 2009, estime que cette pratique ne constitue pas une « pratique commerciale déloyale ». Les magistrats considèrent même que ces exclusivités stimulent la concurrence plutôt que de lui nuire.

Des négociations tendues avec l’industrie du cinéma


Aux défis juridiques et réglementaires d’Orange s’ajoute un bras de fer avec l’industrie du cinéma. Dès l’annonce du lancement d’Orange Cinéma Séries, les obligations d’investissement dans le cinéma français cristallisent les tensions.

Selon les textes en vigueur, l’obligation d’investissement doit être proportionnelle au chiffre d’affaires. Mais la question de l’assiette de calcul soulève un débat houleux. Orange estime que seul le chiffre d’affaires de la chaîne cinéma doit être pris en compte, arguant que c’est le régime appliqué aux autres diffuseurs spécialisés… prenant en exemple Cinécinéma (appartenant à Canal+). L’opérateur propose d’investir 22% de ce chiffre d’affaires dans des oeuvres françaises, avec un minimum garanti de 1,74 euro par abonné.

Cependant, les organisations professionnelles du cinéma et le Centre National du Cinéma (CNC) demandent que les obligations d’Orange soient calculées sur l’ensemble de son chiffre d’affaires lié aux offres triple-play. Leur argument est que deux taxes existantes (la TVA réduite sur l’activité TV des FAI et la contribution des FAI à l’industrie des programmes) sont déjà assises sur cette assiette plus large.

C’est notamment la position défendue par la ministre de la Culture de l’époque, Christine Albanel : “Asseoir les obligations sur le seul chiffre d’affaires serait un peu restrictif. Il faut qu’on réfléchisse à l’assiette. À titre d’exemple, je rappelle que les FAI bénéficient d’un taux de TVA réduit sur la moitié du chiffre d’affaires des abonnements ‘triple play' ».

Orange rétorque qu’il n’y a aucune base légale pour taxer tous les clients de la télévision sur ADSL, demandant : « Pourquoi prendre en compte des clients qui ne regardent pas nos chaînes de cinéma ? »

Ces négociations tendues se poursuivent pendant des mois, retardant la signature d’un accord entre Orange et les organisations professionnelles du cinéma, accord nécessaire pour que le CSA délivre les conventions permettant le lancement officiel d’OCS.

Des obligations en matière d’investissements fixées par le CSA


Il faut attendre le 7 novembre 2008, quelques jours avant le lancement des chaînes cinéma pour qu’Orange signe sa convention avec le CSA. Face à l’absence d’accord entre Orange et les organisations professionnelles du cinéma, le Conseil utilise son pouvoir réglementaire pour fixer lui-même les obligations d’Orange en matière d’investissements.

Le CSA établit des « minimums garantis » pour l’acquisition de droits de diffusion d’œuvres cinématographiques d’expression originale française et européenne. Ces minimums, habituellement fixés plusieurs années après la création d’une chaîne, sont ici imposés d’emblée. Ils doivent augmenter progressivement pour atteindre 3,12 euros par mois et par abonné pour les œuvres européennes, et 2,64 euros pour les œuvres d’expression originale française, dès que le nombre d’abonnés s’élèvera à 3 millions.

En mai 2009, Orange tente de conclure un accord lors du Festival de Cannes, mais échoue de peu. Les discussions achoppent notamment sur la question de la « catch-up TV » (télévision de rattrapage). Orange considère ce service comme un élément constitutif de son offre et non comme un service additionnel, ce qui a des implications sur les droits et les rémunérations. À ce stade des discussions, Orange consentait à investir dans le cinéma français 75 millions d’euros librement étalés sur trois ans, cette somme couvrant à la fois les films frais et les films de catalogue. De leur côté, les producteurs de l’UPF (Union des Producteurs de Films) réclament 120 millions d’euros sur trois ans, à raison d’un engagement ferme de 40 millions d’euros par an.

Le bras de fer se poursuit tout au long de l’année 2009. Le 4 novembre, une date butoir est fixée pour les négociations entre Orange et le cinéma français. L’opérateur envoie sa dernière proposition aux organisations professionnelles, leur demandant une réponse avant le soir même. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) a fixé une date limite à fin novembre pour la conclusion d’un accord.

Finalement, le 10 novembre 2009, après plus d’un an et demi de négociations ardues, Orange parvient à signer un accord avec trois organisations professionnelles majeures du cinéma français : le Bureau de liaison des industries cinématographiques (BLIC), le Bureau de liaison des organisations du cinéma (BLOC) et la société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs (ARP). Cette signature se fait en présence du ministre de la Culture de l’époque, Frédéric Mitterrand, qui « félicite les signataires ».

Cependant, il est à noter que deux organisations importantes refusent de signer cet accord : l’Union des Producteurs de Films (UPF) et la Société des Réalisateurs de Films (SRF). Ces organisations considèrent que l’accord ne va pas assez loin dans les engagements d’Orange envers le cinéma français. Malgré tout, ce compromis, bien qu’imparfait aux yeux de certains, permet à Orange de stabiliser sa position et de clarifier ses obligations envers l’industrie du cinéma.

Nouveau patron pour une nouvelle stratégie


Orange change de cap. Le 18 juin 2010, l’opérateur historique abandonne sa stratégie d’exclusivité des contenus. Lors d’un colloque, Stéphane Richard, nouveau directeur général de France Télécom et successeur désigné de Didier Lombard, annonce : « Le modèle basé sur l’exclusivité n’a pas d’avenir. On ne peut pas défendre un modèle propriétaire en matière de contenus, et parallèlement prôner l’ouverture et l’interopérabilité ».

Cette décision marque un tournant dans la stratégie d’Orange, qui privilégie désormais les partenariats. Stéphane Richard entame des discussions avec Bertrand Méheut de Canal+ et Rupert Murdoch, laissant entrevoir la possibilité d’alliances stratégiques.

Des premières rumeurs apparaissent faisant état d’un potentiel accord entre Canal+ et Orange pour la fusion des chaînes TPS Star et Orange Cinémax. Cette perspective d’un rapprochement entre les deux concurrents suscite rapidement l’inquiétude dans l’industrie cinéma français. Les professionnels du secteur redoutent un scénario à double tranchant : un acheteur unique pour leurs films et la disparition potentielle des 80 millions d’euros sur trois ans, une enveloppe durement négociée avec Orange quelques mois auparavant.

D’autant plus que ce projet de fusion aurait pu échapper au contrôle de l’Autorité de la concurrence. Un rachat n’est soumis à l’autorité que si le chiffre d’affaires de la société rachetée dépasse 50 millions d’euros lors de l’exercice précédent l’opération. Or, en 2009, le chiffre d’affaires d’Orange Cinéma Séries était nettement inférieur à ce seuil, tandis qu’il le dépasserait légèrement en 2010. Cette situation crée une fenêtre d’opportunité étroite pour Orange et Canal+. Pour échapper à l’examen de l’Autorité de la concurrence, l’accord doit être conclu avant la fin de l’année 2010, permettant ainsi de prendre en compte le chiffre d’affaires de 2009. De plus, pour éviter tout examen supplémentaire, Orange doit se positionner comme un actionnaire dormant, n’ayant son mot à dire que sur les évolutions du capital.

Malgré ces contraintes, les négociations avancent rapidement. En août, une lettre d’intention est signée entre les deux groupes, ouvrant une période de négociations exclusives. Cette avancée n’empêche pas d’autres acteurs de manifester leur intérêt pour les chaînes cinéma d’Orange, notamment le groupe AB et le fonds d’investissement suédois Parsival, ancien propriétaire de Canal+ Nordic.

Le 19 janvier 2011, Canal+ et France Télécom dévoilent officiellement leur accord lors d’un point presse. Stéphane Richard et Bertrand Méheut annoncent un rapprochement entre Orange Cinémax, la chaîne phare du bouquet OCS, et TPS Star de Canal+, au sein d’une filiale commune. Cependant, le chiffre d’affaires considéré étant désormais celui de 2010, l’opération doit être soumise aux autorités de la concurrence.

Face aux risques d’un contrôle conjoint mal perçu par les autorités, France Télécom et Canal+ révisent leur stratégie. Quelques mois plus tard, ils annoncent un partenariat capitalistique différent : Canal+ entre au capital d’Orange Cinéma Séries à hauteur de 33,33%, France Télécom conservant 66,66%. Cette structure permet à France Télécom de garder le contrôle stratégique avec quatre sièges au conseil d’administration contre deux pour Canal+.

Cette alliance marque la réconciliation entre le premier opérateur télécom et le leader de la télévision payante en France. “D’un côté, Orange disposait de petites chaînes mais d’une énorme force de distribution en tant qu’opérateur télécom. Canal+ était forcé de pacifier ses relations avec Orange à un moment ou à un autre” analyse Manuel Alduy. Et d’ajouter : “Du côté d’Orange, je pense qu’ils ont compris qu’ils perdraient encore de l’argent pendant encore longtemps”. France Télécom voit également l’intérêt d’élargir la distribution de son bouquet OCS, jusqu’alors réservé à ses abonnés, aux clients de Canalsat, tout en percevant une rémunération pour sa distribution. De plus, l’abandon de l’exclusivité ouvre la possibilité de distribution par d’autres opérateurs télécoms.

Un détail de l’accord suscite néanmoins l’attention. Selon Le Figaro, Canal+ aurait négocié un plafonnement du coût de la grille d’OCS à 65 millions d’euros, contre 120 millions auparavant. Cette clause pourrait être perçue comme une tentative de brider la concurrence d’OCS envers Canal+. Un point qui ne manquera pas d’intéresser les autorités de régulation.

Le 5 avril 2012, l’accord se concrétise : les chaînes Orange Cinéma Séries font leur entrée sur le bouquet Canalsat. Dans les semaines qui suivent, elles seront également accessibles chez les autres opérateurs télécom. Cette distribution élargie marque la fin effective de l’exclusivité d’Orange sur ses propres contenus.

Mais le passé refait surface


Le 1er mai 2012, le CSA vient perturber cet équilibre précaire. Dans le cadre du réexamen de la fusion TPS-Canalsat, le régulateur impose de nouvelles conditions au groupe Canal+. Concernant OCS, l’autorité audiovisuelle met Canal+ face à un dilemme : soit un « divorce » avec Orange, soit la fin de l’exclusivité sur la distribution des chaînes d’OCS. Le Conseil va plus loin, préconisant la suppression de certaines clauses de l’accord, notamment le plafonnement controversé du budget de programmes d’OCS.

Le 23 juillet 2012, le couperet tombe sur ce partenariat à peine né. L’Autorité de la concurrence, réexaminant la fusion CanalSat/TPS, rend un verdict sans appel : Canal+ doit se désengager d’OCS. Cette décision, dans le sillage de l’annulation de la fusion TPS-Canalsat en septembre 2011, vise à préserver la concurrence sur le marché de la télévision payante. Bruno Lasserre, président de l’Autorité, révèle que Stéphane Richard, PDG d’Orange, ne s’opposerait pas à cette mesure. Toutefois, la structure juridique d’OCS pourrait permettre à Orange de bloquer l’arrivée de tout nouvel actionnaire. Anticipant cette éventualité, l’Autorité a prévu une alternative : si Orange refuse un nouveau partenaire, Canal+ se verrait privé de toute influence sur OCS.

Du côté de l’opérateur historique, on n’a aucune envie de se séparer de Canal+. Serge Laroye, directeur des contenus d’Orange, déclare aux Echos : « J’ai dit à Canal+ : on a mis dix-huit mois à faire cet accord, donc on souhaiterait que vous restiez ». Face à cette réticence, l’Autorité de la concurrence met en œuvre son plan alternatif le 4 décembre 2012.

L’Autorité de la concurrence prend une décision ferme : Canal+ devient un actionnaire dormant de OCS. Les mesures sont concrètes et immédiates. Les deux administrateurs de Canal+ au conseil d’OCS sont remplacés par des indépendants. Le plafond budgétaire imposé par Canal+ sur les achats de programmes d’OCS est supprimé. Enfin, Canal+ perd tout accès aux informations stratégiques de la société.

La décision de l’Autorité de la concurrence place Orange dans une position inconfortable. Le régulateur semble vouloir contraindre l’opérateur à redevenir un concurrent sérieux de Canal+ dans le secteur du cinéma, une orientation qui va à l’encontre de la stratégie de Stéphane Richard. Une question cruciale se pose : est-il réellement possible de forcer Orange à affronter Canal+ ? L’aventure d’Orange dans le sport et le cinéma lui aurait déjà coûté « un petit milliard d’euros », selon les estimations, et Stéphane Richard paraît réticent à relancer une telle offensive.

La stratégie stand-alone


OCS va entamer une nouvelle ère en tant qu’entité indépendante. Le 22 septembre 2012, Orange Cinéma Séries se rebaptise simplement OCS, gommant la marque “Orange” et marquant ainsi sa volonté de se forger une identité propre.

Dès le 8 avril 2013, OCS franchit le cap symbolique du million d’abonnés. La même année, le bouquet consolide son offre en renouvelant son accord avec HBO et en enrichissant son catalogue de streaming avec les saisons antérieures des séries phares de la chaîne américaine.

Le bouquet entreprend une refonte complète de son offre. La plateforme « OCS Go » voit le jour, tandis que les chaînes OCS Happy et OCS Novo sont supprimées. Parallèlement, OCS City est créée, une chaîne entièrement dédiée aux programmes HBO. Le bouquet se lance également dans la production originale avec le label OCS Signature, donnant naissance à des séries comme « Q.I », « Lazy Company », « In America » et « Irresponsable ».

Cette stratégie audacieuse paie : en avril 2014, OCS double sa base d’abonnés, franchissant la barre des 2 millions. Le bouquet poursuit sur sa lancée en multipliant les accords stratégiques. En mars 2015, un partenariat pluriannuel est conclu avec Sony Pictures Television, assurant la diffusion en première exclusivité de ses nouveaux films et l’acquisition de nombreuses séries. En 2017, le bouquet obtient l’exclusivité du catalogue HBO jusqu’en 2022, mettant fin aux deuxièmes fenêtres de diffusion sur les chaînes concurrentes. Dans la foulée, un accord exclusif pluriannuel est signé avec UGC Images pour les films du distributeur en première exclusivité.

En janvier 2019, le bouquet lance le label OCS Originals, dédié à des créations plus ambitieuses et mieux dotées financièrement. Cette montée en gamme se concrétise avec des séries comme « Le Nom de la rose », « Devils » et « Sentinelles ». Simultanément, OCS Signature étend son périmètre en se lançant dans la production de films originaux. « L’Invitation », « Deep Fear » et « Pilote » viennent ainsi enrichir le catalogue du bouquet.

À l’aube de la nouvelle décennie, OCS fait face à un défi de taille. Fin 2020, WarnerMedia, maison-mère de HBO, annonce son intention de lancer sa propre offre en France, menaçant de priver OCS de ses programmes phares. Cette nouvelle donne pousse Orange à envisager la vente du bouquet, incluant Orange Studio dans le périmètre de cession pour attirer les acquéreurs potentiels.

L’annonce suscite l’intérêt de plusieurs poids lourds du secteur : Canal+, Warner Bros. Discovery, Sky et Mediawan. Mais la prudence l’emporte, la plupart hésitant à formuler une offre ferme. En cause, l’incertitude planant sur le renouvellement du contrat de distribution avec Canal+, actionnaire minoritaire qui représente près des trois quarts des abonnés OCS.

Le 1er janvier 2023 marque un tournant critique : OCS perd l’intégralité des productions HBO de plus de deux ans. Le bouquet réagit en fusionnant OCS City et OCS Choc pour créer OCS Pulp.

Le dénouement survient le 9 janvier 2023. Canal+ annonce la signature d’un protocole d’accord avec Orange pour acquérir ses parts dans OCS et Orange Studio. L’Autorité de la concurrence valide l’opération un an plus tard, sous conditions, mettant fin à l’indépendance d’OCS.

L’accord prévoit qu’Orange éponge les pertes futures d’OCS via des minimums garantis versés à Canal+ sur trois à quatre ans. Une disposition nécessaire, OCS ayant accumulé plus de 600-700 millions d’euros de pertes depuis sa création en 2008.

Canal+ dévoile alors son projet : fusionner à terme OCS avec Ciné+, consolidant ainsi son offre de films et séries. Le 3 juillet 2024, cette fusion devient réalité. Les chaînes OCS sont absorbées par Ciné+ au sein d’un nouveau bouquet intitulée “Ciné+ OCS”.

Pour Orange, c’est le rideau qui tombe sur une aventure aussi ambitieuse que coûteuse dans l’univers des contenus. OCS aura marqué le paysage audiovisuel français par son originalité et la qualité de ses programmes, en dépit d’un parcours semé d’embûches. De « Game of Thrones » à ses nombreuses productions originales, OCS a su conquérir le cœur de nombreux cinéphiles et sériephiles. Vous étiez fans ? Nous aussi.


Août 1986 : le gouvernement annule les concessions de la Cinq et TV6

Août 1986 : quand le gouvernement annule les concessions de La Cinq et TV6


Le 24 juillet 2024, l’ARCOM choisit d’écarter les chaînes C8 (groupe Canal+) et NRJ12 (Groupe NRJ) de la TNT.
Ce n’est pas une première, le paysage audiovisuel français a connu un bouleversement semblable en 1986-1987 avec la remise en cause et la réattribution des concessions de La Cinq et TV6. Cet épisode, marqué par des enjeux politiques et économiques considérables, a profondément redessiné le secteur de la télévision en France.

En novembre 1985, le gouvernement socialiste de Laurent Fabius, dans les derniers mois de son mandat, accorde des concessions à deux nouvelles chaînes privées : La Cinq et TV6. La Cinq, attribuée à un consortium intitulée “France Cinq” mené par Jérôme Seydoux et Silvio Berlusconi, se veut être une chaîne généraliste grand public. TV6, quant à elle, est conçue comme une chaîne musicale ciblant un public jeune, avec Publicis, NRJ ou encore Gaumont comme principaux actionnaires.

Cette décision s’inscrit dans une volonté de diversifier l’offre télévisuelle et d’ouvrir le secteur à la concurrence privée. Cependant, le processus d’attribution est rapidement critiqué pour sa précipitation et son manque de transparence. Les opposants politiques, notamment de droite, dénoncent un “passage en force” du gouvernement socialiste à l’approche des élections législatives de mars 1986.

L’annulation des concessions : un acte politique controversé


Le 16 mars 1986, la droite remporte les élections législatives. Jacques Chirac devient Premier ministre dans le cadre de la première cohabitation de la Ve République. Le nouveau gouvernement affiche rapidement sa volonté de remettre à plat le paysage audiovisuel français.

Le 30 juillet 1986, moins de cinq mois après son arrivée au pouvoir, le gouvernement Chirac prend une décision radicale : annuler les concessions accordées à La Cinq et TV6. Cette décision est officialisée par deux décrets publiés au Journal officiel le 2 août 1986.

Les raisons invoquées par le gouvernement sont multiples. Tout d’abord, le gouvernement conteste la légalité du processus d’attribution initial. Il argue que l’attribution des concessions en novembre 1985 s’est fait dans la précipitation, sans réelle mise en concurrence et de manière opaque.

Également, une expression va souvent revenir dans le cadre de la réforme de l’audiovisuel : la volonté de promouvoir un “mieux-disant culturel”. François Léotard, ministre de la Culture et de la Communication, insiste sur la nécessité de revoir les cahiers des charges des chaînes privées pour garantir une meilleure qualité des programmes et un soutien plus important à la création audiovisuelle française. Une allusion à peine voilée aux programmes de « La Cinq », alors majoritairement composés de programmes américains.

Les décrets d’annulation fixent la fin des concessions au terme du « troisième mois suivant la date d’installation de la nouvelle autorité qui aura compétence pour délivrer les autorisations d’usage des fréquences ». Cette formulation, qui fait référence à une instance régulatrice non encore créée, sera plus tard source de contestations juridiques.

La réaction des chaînes et les recours juridiques


L’annulation des concessions provoque un véritable séisme dans le secteur audiovisuel. Les propriétaires de La Cinq et TV6, qui ont investi des sommes considérables dans le lancement de leurs projets, contestent immédiatement cette décision.

Très rapidement après l’annulation des concessions, TV6 (le 12 août) et La Cinq (le 2 octobre) déposent des recours devant le Conseil d’État. Leur argumentation repose sur plusieurs points :

  • L’illégalité de la procédure d’annulation, qui se base sur une loi non encore votée.
  • Le non-respect des clauses de résiliation prévues dans les contrats de concession.
  • Le préjudice économique considérable causé par cette décision.

Parallèlement à ces recours, les deux chaînes adoptent des stratégies différentes.

La Cinq, confrontée à l’incertitude, a pris des mesures drastiques. En septembre 1986, les responsables de la chaîne ont décidé d’interrompre la diffusion de toutes les grandes émissions et feuilletons de prestige qu’ils avaient acquis. Cette décision, entrée en vigueur le 26 septembre, était principalement motivée par la dégradation des rentrées publicitaires, elle-même provoquée par le déplafonnement des tarifs publicitaires des chaînes concurrentes. Des séries coûteuses comme « Pierre le Grand » ou « Racines 2 » ont ainsi été mises de côté, de même que les grandes retransmissions sportives dont La Cinq avait acquis l’exclusivité. Carlo Freccero, directeur des programmes, a déclaré : « Nous renonçons désormais, en raison des circonstances actuelles, à être des producteurs d’émissions pour ne plus être que des diffuseurs.”

TV6, en revanche, a adopté une stratégie plus offensive et décide de renforcer ses programmes. Le 14 octobre 1986, le conseil d’administration de la chaîne a voté à l’unanimité pour enrichir la grille de programmes, sortant du cadre strictement musical. Tout en conservant son profil thématique, TV6 a intégré des films, des feuilletons, des magazines et des séries, cherchant à se positionner comme une télévision « distractive » et « pour les jeunes » plutôt que purement « musicale ». Cette décision visait à augmenter l’audience de la chaîne et à renforcer sa position dans la perspective des arbitrages sur l’avenir de son réseau.

Pendant ce temps, le gouvernement Chirac poursuit son projet de refonte du paysage audiovisuel français. Le 30 septembre 1986, un projet de loi sur la liberté de communication est présenté au Parlement. Ce texte prévoit notamment la création d’une nouvelle instance de régulation, la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL), destinée à remplacer la Haute Autorité.

Les débats parlementaires sur cette nouvelle loi sont intenses et polarisés. L’opposition socialiste dénonce ce qu’elle qualifie de « loi de revanche », accusant le gouvernement de vouloir reprendre le contrôle du paysage audiovisuel à des fins politiques. La majorité, quant à elle, défend la nécessité d’une réforme en profondeur du secteur “pour garantir le pluralisme et la qualité des programmes”.

Après plusieurs mois de débats et de navettes parlementaires, la loi sur la liberté de communication est finalement promulguée le 30 septembre 1986. Cette loi confirme la création de la CNCL et pose le cadre juridique pour la réattribution des fréquences de La Cinq et TV6.

L’émergence des nouveaux prétendants


Très vite, de nouveaux acteurs commencent à se positionner pour reprendre les fréquences de La Cinq et TV6. Des projets variés et des alliances parfois inattendues émergent…

La Lyonnaise des Eaux et son projet de chaîne régionale


Dès la fin août 1986, la filiale de la Lyonnaise des Eaux, Lyonnaise Communications, sous la direction de Nicolas de Tavernost, commence à esquisser ses ambitions dans le domaine audiovisuel. Le groupe, déjà impliqué dans le développement des réseaux câblés dans plusieurs villes françaises, envisage la création d’un réseau de chaînes régionales.

L’idée de la Lyonnaise est de créer une synergie entre une programmation nationale et des décrochages locaux. Ce concept s’inspire en partie du modèle américain des « networks », où des stations locales s’affilient à un réseau national. Le projet vise à répondre à un besoin de télévision de proximité, tout en bénéficiant des économies d’échelle d’un réseau national.

Parallèlement, d’autres acteurs s’intéressent à la question des télévisions régionales. Le 5 novembre 1986, lors d’une audition devant le Conseil national des collectivités territoriales pour l’audiovisuel (CNCTA), Robert Hersant révèle que son projet pour La Cinq comporte une dimension régionale. Il envisage des décrochages locaux, « techniquement faciles et peu coûteux », grâce à l’utilisation du satellite Télécom-1 pour diffuser la chaîne.

Le projet d’Hersant prévoit de lancer un appel aux collectivités locales ou régionales, aux journaux et aux associations souhaitant lancer une télévision locale, pour qu’ils se joignent au projet de La Cinq. Ces fenêtres locales seraient ouvertes en dehors des heures de grande écoute, laissant aux stations locales une pleine responsabilité éditoriale.

Le débat s’intensifie lorsque le Premier ministre Jacques Chirac déclare qu' »il n’existe pas un assez grand nombre de fréquences pour faire des télévisions régionales sans utiliser le réseau actuellement affecté à TV6″. Cette déclaration soulève des inquiétudes chez les défenseurs d’une chaîne musicale nationale, mais ouvre des perspectives pour les projets de télévisions locales.

La question technique des fréquences devient centrale dans ce débat. Les partisans des télévisions régionales arguent que le réseau de TV6, qui ne couvre qu’une partie du territoire national, serait plus efficacement utilisé pour des émissions locales. Les opposants, quant à eux, soulignent l’importance d’une chaîne musicale nationale pour la promotion de la culture et de l’industrie musicale françaises.

Le projet Métropole TV, porté par la Lyonnaise des Eaux et qui deviendra plus tard un candidat sérieux pour la reprise de TV6, intègre cette dimension régionale. Il prévoit des décrochages locaux à des heures réputées intéressantes pour les annonceurs (12h-14h et 19h-20h30), avec des projets avancés dans neuf villes, dont Lyon, Nantes, Lille, Bordeaux, et Grenoble.
Par ailleurs, il est intéressant de souligner que la Lyonnaise lancera sa première (et seule) chaîne locale en décembre 1986 : Paris Première.

Ce débat sur les télévisions régionales soulève également des questions sur la viabilité économique de tels projets. Les critiques soulignent que peu de stations locales auraient les moyens de financer plusieurs heures quotidiennes de programme. Les défenseurs, comme Hersant, argumentent que l’association avec un réseau national fournirait l’infrastructure et le savoir-faire technique nécessaires, permettant aux stations locales de se concentrer sur la production de contenus de proximité.

“Tous sur la Cinq, cinq you la cinq” !


Pendant que l’avenir du réseau national de TV6 se pose, celui de la Cinq est quand à lui, plus assuré…

Jimmy Goldsmith, propriétaire du groupe L’Express, manifeste rapidement son intérêt pour la reprise de La Cinq. Son projet, annoncé dès l’automne 1986, vise à créer un groupe multimédias européen avec pour base une chaîne de télévision nationale française.

Il propose une chaîne généraliste avec un accent particulier sur l’information et la culture et prévoit notamment des émissions culturelles en prime-time et un soutien marqué à la création cinématographique française.

La Compagnie Luxembourgeoise de Télédiffusion (CLT), maison mère de RTL, se positionne également comme un candidat sérieux pour la reprise de La Cinq. Forte de son expérience dans la télévision commerciale européenne, la CLT voit dans cette opportunité un moyen de renforcer sa présence sur le marché français.

La CLT s’allie initialement avec Havas et d’autres partenaires pour présenter un projet de chaîne généraliste, capitalisant sur son savoir-faire en matière de programmation et sa capacité à produire des contenus originaux.

Au fil des semaines, on assiste à un véritable jeu de chaises musicales entre les différents candidats à la reprise de La Cinq et de la sixième chaîne. Des groupes initialement intéressés par l’un des réseaux se tournent vers l’autre, et inversement. Cette situation incertaine est en partie due aux questions juridiques en suspens et aux manœuvres politiques en coulisses.

Robert Hersant, qui s’était d’abord porté candidat pour le rachat de TF1 lors de sa privatisation, décide finalement de se positionner sur La Cinq en décembre 1986. Cette réorientation est notamment motivée par des raisons financières, le prix de TF1 se révélant plus élevé qu’anticipé.

Les alliances et contre-alliances


Le processus de réattribution des fréquences de La Cinq et TV6 est marqué par une série d’alliances et de contre-alliances parfois surprenantes entre les différents acteurs.

L’alliance Lyonnaise des Eaux/CLT


Cette alliance, qui se concrétise début février 1987, marque un tournant majeur dans la course à la reprise de la sixième chaîne. Elle résulte d’une série de négociations intenses et de repositionnements stratégiques des deux acteurs.

La CLT, initialement candidate à la reprise de La Cinq, se trouve dans une position difficile fin 1986. Ses chances d’obtenir La Cinq s’amenuisent face à la concurrence, notamment celle du duo Hersant-Berlusconi qui bénéficie d’un soutien politique important. Dans ce contexte, la CLT commence à envisager une réorientation de sa stratégie vers le sixième réseau.

De son côté, la Lyonnaise des Eaux, qui avait dès août 1986 évoqué son intérêt pour une chaîne à vocation régionale, cherche un partenaire solide pour renforcer sa candidature. L’expertise de la CLT dans le domaine de la télévision commerciale et son important catalogue de programmes apparaissent comme des atouts considérables.

Le 4 février 1987, les conseils d’administration respectifs de la CLT et de la Lyonnaise des Eaux donnent leur accord pour une candidature commune à la reprise de la sixième chaîne. Les deux partenaires s’engagent à détenir chacun 25% du capital de la future société exploitante, soit un total de 50% pour le noyau dur de l’actionnariat.

Le projet Métropole TV, fruit de l’alliance entre la Lyonnaise des Eaux et la CLT, se présente comme un compromis entre les attentes de la CNCL et les ambitions des deux partenaires. La future chaîne promet de consacrer une part significative de sa programmation à la musique, avec un objectif initial de 30% du temps d’antenne dédié à ce contenu, et une perspective de croissance graduelle jusqu’à 35-40%.

Métropole TV compte également honorer la vision originelle de la Lyonnaise des Eaux en proposant des décrochages régionaux ciblés sur des créneaux horaires stratégiques, notamment le midi et en début de soirée. Au-delà de cette orientation musicale et régionale, le projet se veut généraliste, avec une grille variée mêlant séries, cinéma, information et divertissement, dans le but de capter un public large et diversifié.

Enfin, pour répondre aux exigences du régulateur en matière de soutien à la création audiovisuelle nationale, Métropole TV s’engage à investir de manière conséquente dans la production française. Un équilibre subtil entre les demandes de la CNCL et les objectifs des repreneurs, qui cherchent à faire de la sixième chaîne un acteur majeur du paysage télévisuel hexagonal.

Dans les jours qui suivent l’annonce de l’alliance, d’autres partenaires sont approchés pour compléter l’actionnariat. Le groupe de presse Amaury (Le Parisien Libéré, L’Équipe) prend une participation de 10%. Des discussions sont également engagées avec d’autres acteurs comme Ouest-France et Sud-Ouest, qui donnent leur accord de principe pour rejoindre le projet.

TV6 se retrouve dans une position délicate. Le 14 janvier 1987, le conseil d’administration de la chaîne avait mandaté son PDG, Maurice Lévy, pour poursuivre les négociations avec Métropole TV. Cependant, l’alliance Lyonnaise-CLT rend ces négociations caduques.

Face à cette nouvelle donne, TV6 décide de maintenir sa candidature en tant qu’opérateur historique. Le 10 février 1987, Maurice Lévy annonce officiellement que TV6 dépose un dossier de candidature pour sa propre succession. Il met en avant l’expérience acquise, la fidélité du public et l’importance de la chaîne pour l’industrie musicale française.

“La plus jeune des télés” tente également de faire valoir une clause de son contrat de concession initial qui lui donnerait un « droit de préférence » en cas de résiliation. Cependant, la validité juridique de cette clause dans le nouveau contexte réglementaire reste incertaine.

L'alliance inattendue Hersant/Berlusconi


L’une des alliances les plus surprenantes dans la course à la reprise des chaînes privées est celle formée entre Robert Hersant et Silvio Berlusconi pour La Cinq. Cette association, annoncée en janvier 1987, réunit deux figures aux orientations politiques a priori opposées : Hersant, proche de la droite française et soutenu par le gouvernement Chirac, et Berlusconi, qui avait bénéficié du soutien des socialistes pour le lancement initial de La Cinq en 1986. Cette alliance stratégique permet à Hersant d’apporter son expertise dans le domaine de l’information et ses relations politiques, tandis que Berlusconi apporte son savoir-faire en matière de programmation télévisuelle et son catalogue de programmes.

Le montage accorde 25% du capital à chacun des deux partenaires, avec Hersant à la présidence et la responsabilité des programmes d’information, et Berlusconi comme vice-président directeur général en charge de la programmation. Qualifiée de « mariage du feu et de l’eau » par les observateurs, cette alliance soulève des interrogations sur la capacité des deux hommes à partager le pouvoir, d’autant plus que leurs visions de la chaîne semblent diverger : propriétaire de nombreux journaux, Hersant souhaite développer rapidement l’information, tandis que Berlusconi mise sur la continuité des programmes de divertissement, notamment à travers son vaste catalogue.

Des enjeux politiques ... très présents


Le processus de réattribution des fréquences est profondément marqué par des enjeux politiques qui soulèvent des questions sur l’indépendance et la transparence de la procédure.

Dès le début, le processus de réattribution est critiqué pour sa précipitation. Le calendrier serré imposé par le gouvernement – moins de trois semaines entre l’appel d’offres et la décision finale – soulève des interrogations quant à la possibilité d’un examen véritablement approfondi des dossiers.

De plus, le manque de transparence dans la procédure est régulièrement dénoncé. Les critères de sélection et le poids relatif accordé à chacun d’eux ne sont pas clairement établis, ce qui alimente les soupçons de décisions prises sur des bases politiques plutôt que sur des critères objectifs.

Une éventuelle attribution de la Six à Métropole TV, projet porté par la Lyonnaise des Eaux et la CLT, suscite des interrogations quant à de possibles interférences politiques dans le processus de sélection.

En premier lieu, les connexions étroites entre la Lyonnaise des Eaux et les sphères du pouvoir ne manquent pas d’interpeller. Jérôme Monod, PDG du groupe, est en effet un ancien haut responsable du RPR et un proche du Premier ministre Jacques Chirac. Cette proximité jette le doute sur la neutralité de la procédure.

Également, le soutien apparent dont bénéficie la CLT intrigue. Après deux échecs successifs dans ses tentatives de pénétrer le marché audiovisuel français (la chaîne satellitaire TDF1 et le rachat de La Cinq), le groupe luxembourgeois semble cette fois tirer profit d’un appui gouvernemental. D’aucuns y perçoivent la volonté d’éviter une crise diplomatique avec le Grand-Duché.

Enfin, le rôle de la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL) est lui aussi questionné. Cette instance de régulation indépendante, créée de fraîche date, va peiner à convaincre de sa capacité à s’extraire des pressions politiques pour fonder son jugement sur les seuls mérites des dossiers en lice.

Ces zones d’ombre rejaillissent sur l’ensemble de la procédure d’attribution des chaînes privées. Alors que la CNCL avait pour mission de dépolitiser l’octroi des fréquences, sa première décision d’envergure va se trouver entacher par le soupçon d’une collusion entre pouvoir politique et intérêts industriels.

L'heure des auditions


L’heure de vérité approche. Les 18 et 19 février 1987, les candidats sont auditionnés par la CNCL lors de séances publiques.

Pour le cinquième réseau, Robert Hersant présent un dossier minutieusement préparé. Le magnat de la presse a effectué plusieurs séances de préparation avec l’homme d’affaires italien Silvio Berlusconi. Hersant annonce un investissement d’un milliard de francs pour ce projet, affirmant son ambition de créer “la meilleure télévision”. Succédant au propriétaire du Figaro, Jimmy Goldsmith et le directeur de son projet, Henri de Turenne, accomplit leur devoir de candidat, sans chances. À l’évidence, l’attribution de La Cinq est déjà orientée en faveur du tandem Hersant/Berlusconi.

Pour la Six, le choix se révèlera être plus complexe. Métropole TV, par la voix de Jean Drucker, y détaille son concept de « chaîne complète », ciblant un large public tout en réservant une place de choix à la musique. Il met en avant la solidité de son tour de table et sa capacité à démarrer rapidement les émissions.

Maurice Lévy, pour TV6, joue la carte de la continuité. Fort de l’expérience acquise et de la fidélité du jeune public, il souligne le rôle essentiel de la chaîne pour la promotion et la diffusion de la création musicale hexagonale.

Quant aux représentants d’un troisième projet, TFM (notamment porté par UGC et des maisons de disques), ils se font les avocats d’une télévision dédiée corps et âme à la musique et à la fiction. Une prestation jugée “médiocre” et peu convaincante.

Entre les dossiers de Maurice Lévy et Jean Drucker, la CNCL est divisée.

Et Matignon s'en mêle


À mesure que l’échéance de la décision de la CNCL approche, la température monte en coulisses. Les pressions se font plus insistantes, émanant de divers horizons.

Conscient des réserves suscitées par la place jugée insuffisante de la musique dans son projet initial, Métropole TV tente un ultime rééquilibrage à la veille de la décision de la CNCL. Jean Drucker, PDG de la chaîne, adresse dans le cours du week-end précédant l’attribution des concessions un courrier au président de la commission, Gabriel de Broglie. Il y prend l’engagement d’accroître significativement la part des programmes musicaux, pour atteindre jusqu’à 40% du temps d’antenne. Un ajustement de dernière minute sur lequel, n’étant pas informés, les autres prétendants n’ont pas pu surenchérir.

De plus, des rumeurs persistantes vont faire état d’interventions directes de proches du Premier ministre Jacques Chirac pour favoriser le projet Métropole TV. Le matin du 23 février 1986, lors d’une consultation informelle, les membres de la CNCL décident, par sept voix contre cinq (et une abstention de Gabriel de Broglie), que les auditions du jeudi 19 sont suffisantes et qu’il n’est pas nécessaire de réentendre les candidats.

S’ensuit une discussion où chacun exprime sa préférence, permettant ainsi de dégager des tendances. La majorité des sages se prononcent en faveur de la chaîne de Publicis. Gabriel de Broglie, quant à lui, souligne l’absence de chaînes hertziennes thématiques dans le monde et affirme que ces télévisions ont vocation à être cryptées. Il évoque également l' »enjeu international » que représente cette sixième chaîne au regard des relations diplomatiques avec le Luxembourg, suggérant qu’il serait politiquement périlleux d’écarter la CLT et, par conséquent, Métropole TV. À l’issue de la discussion, on compte sept avis favorables à TV6, quatre pour Métropole Télévision et deux pour TFM. Malgré l’insistance de certains sages pour procéder au vote avant le déjeuner, Gabriel de Broglie, désireux de gagner du temps, parvient à reporter le vote à l’après-midi.

La séance reprend le jour-même, à 16h30 et, après un vote sur l’attribution, la donne a changé : quatre voix pour TV6, sept pour Métropole TV et toujours deux pour TFM. Il semblerait que pendant l’heure du déjeuner, plusieurs membres de la CNCL aient reçu des appels personnels de leurs correspondants à Matignon. Le Premier ministre Jacques Chirac, informé heure par heure, redoute un clash diplomatique avec le Luxembourg et la Lyonnaise des Eaux, dont le patron Jérôme Monod est un ami personnel.

C’est dans ce climat tendu que la CNCL rend son verdict le 24 février 1987. Officiellement, la commission met en avant la solidité financière du dossier, l’expérience audiovisuelle des partenaires et leurs engagements en matière de programmation, notamment consacrer 40% du temps d’antenne à la musique et développer des décrochages régionaux. Sur injonction de la CNCL, la chaîne, initialement nommée RTL 6, sera finalement baptisée M6. Les autres candidats sont éconduits, la CNCL pointant des fragilités dans leur modèle économique et un manque de diversité dans leurs propositions.

Les réactions sont à la mesure des espoirs suscités. Triomphant, Jean Drucker, président de Métropole TV, promet l’avènement d’une « télévision différente ». À l’inverse, Maurice Lévy, patron de TV6, affiche sa « profonde tristesse » et dénonce la « mort d’une télévision » qui pénalisera la jeunesse et la filière musicale française. Les porteurs de TFM sont plus virulents encore, fustigeant une décision qui « assassine la culture française ».

Quelques jours après ce coup de tonnerre, le 28 février 1987, de nombreux jeunes téléspectateurs se sont rassemblés devant le siège de TV6 et ont manifesté sur les Champs-Élysées. Plusieurs artistes, dont Francis Lalanne, Marc Lavoine, Mylène Farmer et Patrick Bruel, étaient présents. Le soir même, TV6 a diffusé sa dernière émission depuis le plateau de « Tam-Tam » à Saint-Cloud, en présence d’artistes et d’animateurs tels que Smicky, Jean-Luc Delarue, Isabelle Duhamel, Frédéric Smektala, Frédéric de Rieux et Childeric Muller. 

L’émission s’est achevée par un clip parodiant « Star Wars », représentant la victoire du groupement Lyonnaise des Eaux/CLT sur TV6, propriété de Publicis/NRJ, un an seulement après son lancement. 

Le lendemain de l’arrêt de TV6, M6 prend l’antenne à 11h15. Après des débuts en tant que chaîne généraliste, elle opérera, dès la fin de l’été 1987, un virage stratégique en misant sur la contre-programmation : musique et fiction à petit-budget. Un positionnement qui s’avérera vite rentable.

De son côté, La Cinq connaît des premiers mois plus chaotiques…
« C’est un désastre et c’est de la merde » : la réaction épidermique de Robert Hersant aux nouvelles émissions de la chaîne en dit long sur les difficultés rencontrées. Engloutissant des sommes considérables pour s’offrir des vedettes, la cinquième chaîne peine pourtant à rencontrer son public. Sonnée par ses échecs d’audience et les pertes abyssales qui les accompagnent, La Cinq devra rapidement revoir ses ambitions à la baisse et se résoudre à une cure d’austérité pour assurer sa pérennité. Le mieux-disant culturel attendra des jours meilleurs…


Ceux qui veulent tout veulent Canal+

"Ceux qui veulent tout veulent Canal+"


Dans un entretien accordé au quotidien “L’Équipe” le 19 avril dernier, l’ex-patron de M6 Nicolas de Tavernost confiait avoir fait une offre avec son homologue de TF1 Patrick Le Lay pour racheter Canal+, en 2002, sur proposition de Vivendi.
Retour sur cette période où Canal+ était dans l’oeil du cyclone de tous les grands groupes audiovisuels.

Paris, le 20 juin 2000. Dans une conférence de presse, le PDG de Vivendi Jean-Marie Messier, le CEO de Seagram Edgar Bronfman Jr. et le patron de Canal+ Pierre Lescure annoncent la création du deuxième groupe de communication mondial : Vivendi Universal. Cette fusion intervient quelques mois seulement après le rapprochement entre AOL et Time Warner, illustrant la tendance à la diversification dans les secteurs des médias et des télécommunications.

Depuis son arrivée à la tête de la Compagnie Générale des Eaux (CGE) en 1996, Jean-Marie Messier a orchestré une diversification ambitieuse du groupe, l’orientant progressivement vers les activités de communication. La CGE a ainsi acquis des acteurs majeurs de la presse et de l’édition (le groupe L’Express/L’Expansion, les éditions Nathan, Larousse, Plon…) et détient le leader de la télévision payante en France et en Europe à travers Canal+, un opérateur de téléphonie mobile SFR et de téléphonie fixe Cegetel.

En 1997, le groupe est rebaptisé Vivendi et se recentre autour de deux pôles principaux : la communication et l’environnement. Trois ans plus tard, la création de Vivendi Universal donne naissance à un géant du secteur, réalisant près de 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Cependant, l’intégration de Canal+ au sein de Vivendi Universal n’a pas été sans conséquence pour la chaîne cryptée.

Canal+ ... d'économies


« Une fusion, ça coûte cher ». Cette phrase de Jean-Marie Messier n’est pas passée inaperçue au sein de Canal+. Très vite, la maison-mère fixe des objectifs de rentabilité ambitieux, Canal+ doit mettre en œuvre un vaste plan d’économies, touchant notamment l’emploi avec un gel des embauches et un plan de départs volontaires touchant 217 personnes sur 2500 salariés. De nombreux secteurs du groupe sont concernés : les programmes, la filiale internet CanalNumédia, Canal+ Technologies, ou encore i-Télévision dont la rédaction fusionnera avec celle de la chaîne cryptée. Et puisqu’il n’y a pas de petites économies, les réfrigérateurs pouvant contenir des sodas ou jus de fruits… ont été remplacés par des fontaines à eau. Coût de l’économie : 10 millions d’euros par an.

Pendant que Canal+ traversait sa première vague de suppressions d’emplois, la direction de Vivendi Universal a entamé, à l’été 2001, une réflexion sur l’avenir de la chaîne, envisageant notamment la suppression des plages en clair ou une scission en deux entités : cinéma et sport correspondant à deux clientèles distinctes…

La rentrée 2001 verra la priorité donnée aux programmes cryptés, la « véritable raison d’être de Canal+ », au détriment des émissions en clair, comme l’arrêt de l’emblématique émission « Nulle Part Ailleurs ».

Chiffres abonnements Canal+

Pour la nouvelle direction de Canal+, en place depuis décembre 2000 – et le départ d’Alain de Greef -, Michel Denisot (patron de la chaîne Canal+) et Alexandre Dubrigny (directeur des programmes), le clair ne remplit plus son rôle de vitrine et d’attraction d’abonnés. Dans divers entretiens à la presse, ils estiment que Canal+ a atteint un plafond dans son nombre d’abonnés (plus de 4,5 millions en 2001) et que l’objectif est désormais la satisfaction afin que les clients ne se posent plus la question du renouvellement de leur abonnement.

Plusieurs animateurs quittent la chaîne : Jérôme Bonaldi, Philippe Vandel, Thierry Dugeon, ainsi que les équipes de production, les « petites mains », dont les postes ont été supprimés en même temps que les émissions dont elles s’occupaient.

L’accent est mis sur le cinéma et le sport. Pour Michel Denisot, « il fallait rappeler les fondamentaux de Canal+, pour lesquels les abonnés payent. (…) Canal+ n’a plus besoin d’une vitrine en clair aussi développée et aussi coûteuse. »

Paradoxalement, si le coût des programmes en clair a baissé (d’environ 15% par rapport à la saison 2000/2001), le coût global de la grille a quant à lui augmenté, en raison de la hausse du coût des droits du football et de la Ligue 1.

Ce régime minceur auquel est confrontée la chaîne n’empêchera pas Vivendi Universal de continuer ses acquisitions et son expansion outre-atlantique. Le 15 décembre 2001, le groupe acquiert le réseau de chaînes câblées « USA Networks » et prend une participation de 15% dans le deuxième bouquet satellite américain « Echostar ». Des acquisitions qui coûteront la bagatelle de… 15 milliards de dollars.

Après moults tractations, Jean-Marie Messier propose au PDG de USA Networks Barry Diller, une place dans le management de Vivendi Universal. Il prend en main l’ensemble du secteur cinéma et télévision du groupe… au détriment de Pierre Lescure qui est relégué à un poste de « stratégie globale d’intégration des contenus ». Derrière ce placard, le patron du groupe Canal+ est chargé d’imaginer et de concevoir les éventuelles synergies entre les différentes filiales de la multinationale, sous la responsabilité directe de Jean-Marie Messier.

Dans l’euphorie de l’américanisation de son groupe, le PDG de Vivendi Universal déclarera, dans le même temps, que « l’exception culturelle française est morte ». Des paroles qui résonneront avec une forte intensité en France, en pleine campagne présidentielle, alors que Canal+ est le principal argentier du cinéma français.

Premières polémiques, premières rumeurs


Tentant d’éteindre la polémique quelques jours plus tard, en déclarant que sa citation a été tronquée, rien n’y fait, la polémique enfle entre associations de professionnels du cinéma, anciens de Canal+ et hommes politiques.

Vivendi Universal et Canal+ entrent sous les feux des projecteurs… L’année 2002 commence par un retour inattendu… celui d’André Rousselet. Le fondateur et ex-PDG de Canal+, se fend d’une lettre à Dominique Baudis, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), où il rappelle que l’article 40 de la loi sur l’audiovisuel « fixe que la part du capital détenu directement ou indirectement par des personnes physiques ou morales n’ayant pas la nationalité française ne saurait excéder 20% du capital social d’une société audiovisuelle ».

André Rousselet jette un pavé dans la mare, selon lui, le récent rachat d’USA Networks par Vivendi Universal implique un changement d’actionnaires de la société de Jean-Marie Messier, avec l’entrée de l’américain Liberty Media. Vivendi Universal détenant 49% de la chaîne Canal+, cela déboucherait sur un dépassement de son plafond légal de 20% d’actionnaires étrangers. Une missive à laquelle le CSA demande au gouvernement de saisir le Conseil d’État afin de statuer sur ce sujet.

Ainsi apparaissent les premières rumeurs sur l’entrée d’un autre actionnaire au sein du capital de Canal+. Après tout, si le Conseil d’État donne raison à André Rousselet, la chaîne cryptée devra changer de main. Un groupe revient sans cesse, celui de Jean-Luc Lagardère dont le fils Arnaud, à la tête de la branche médias, est en quête de nouvelles opportunités à l’aube du lancement de la télévision numérique terrestre (TNT). De plus, le groupe Lagardère est actionnaire à 34% de Canalsatellite, détenant ainsi la minorité de blocage.

Une absurdité totale selon Vivendi Universal qui voit à travers cette rumeur, une volonté de manipulation du marché. Même son de cloche du côté de Lagardère soulignant que le sujet n’a jamais été à l’ordre du jour. Toutefois, le tout Paris médiatique se fait l’écho d’un remplacement imminent de l’état-major de Canal+. Ce qui sera chose faite le 7 février 2002 avec le départ d’Alexandre Dubrigny et le remplacement de Michel Denisot par Dominique Farrugia.

Dans un entretien au quotidien « Le Monde », Pierre Lescure souligne que ce « changement de composition de l’équipe » est censé clore le chapitre des restructurations, des plans sociaux ainsi que des coupes claires dans les programmes. Le PDG de Canal+ rassure et se donne deux ans pour amortir les pertes du groupe, notamment en assainissant les comptes des filiales étrangères. 70% des pertes du groupe Canal+ est imputé à sa filiale italienne Tele+.

Canal+ en Europe

"Vivendi Universal va mieux que bien"


Le temps de Pierre Lescure n’est pas celui de Jean-Marie Messier. Le 6 mars 2002, lors de la publication de ses résultats financiers, Vivendi Universal annonce des pertes records de 13,6 milliards d’euros pour l’année 2001. Plusieurs activités du groupe, comme les divisions musique, internet, les studios Universal et surtout Canal+, acquis en action en 2000, s’effondrent sur les marchés. Début avril, l’action Vivendi Universal a chuté de 38,2% à 38 euros, soit un retour au niveau de fin 1997. Les marchés critiquent les problèmes de stratégie, les annonces de deals non conclus et l’impression que Vivendi Universal achète des actifs médias avant de vendre ses activités non stratégiques. Jean-Marie Messier fait l’objet de vives critiques, entre acquisitions incessantes, déménagement à New York et « starisation » de sa vie publique et privée.

Canal+, quant à elle, traverse son année la plus difficile. Selon Jean-Marie Messier, la chaîne cryptée participe à hauteur de 500 millions d’euros aux pertes record de Vivendi Universal. Il exige que le management de Canal+, dirigé par Pierre Lescure, « redonne à Canal+ son rôle de contributeur au résultat dans les deux ans ». Dans un courriel, Pierre Lescure et le directeur général de la chaîne cryptée Denis Olivennes se défendent : les objectifs 2001 étaient atteints, mais les pertes sont imputées à 70% à la filiale italienne Télépiu, un « choix stratégique » fait avec Vivendi Universal. D’autant plus que la décision a été prise d’une fusion du bouquet italien avec Stream qui entraînerait de lourdes dépenses, rendant impossible le retour à l’équilibre exigé. C’est dans ce contexte que Denis Olivennes démissionne de l’ensemble de ses fonctions le 12 avril 2002.

Le 17 avril 2002, Jean-Marie Messier révoque Pierre Lescure de son poste à la tête de Canal+. Cette décision fait suite au refus de Lescure d’accepter la proposition de prendre la présidence du conseil de surveillance du groupe Canal, tandis que Xavier Couture, directeur de l’antenne de TF1, prendrait la direction opérationnelle de la chaîne cryptée. L’e-mail envoyé en réponse aux salariés par Pierre Lescure et Denis Olivennes, l’ex-directeur général de Canal+, dans lequel ils renvoyaient à Messier la responsabilité des pertes de la chaîne, a probablement été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. « Dans une entreprise, il y a deux critères clefs : la performance et la loyauté », a déclaré Jean-Marie Messier après cette décision. Si la démission d’Olivennes a marqué « le début de la résolution de la crise », selon Messier, elle n’a pas suffi à sauver la dernière figure historique de Canal+.

Cette période de turbulences, marquée par une chute du titre en bourse, la démission du directeur général et le limogeage de Pierre Lescure, a attiré l’attention de certains investisseurs, comme Vincent Bolloré qui a acquis environ 0,5% du capital de Vivendi Universal.

Priorité à la gestion


Face à une situation financière préoccupante, avec 19 milliards de dettes cumulées à la fin de l’année 2001, Jean-Marie Messier a annoncé, dans un entretien aux Échos le 25 avril 2002, sa volonté de donner la « priorité à la gestion ». Il a exprimé son intention de faire évoluer le modèle économique de Canal+, en se concentrant sur l’augmentation du nombre d’abonnés, la satisfaction client et la croissance du revenu par abonné. Il a également évoqué la diversification de l’offre de Canal+ avec des chaînes thématiques « comme Canal+ Sports, Canal+ Info et Canal+ Documents ».

Cependant, la pression reste forte sur Messier où les administrateurs de Vivendi Universal attendent des signes concrets de désendettement. Certains actionnaires et administrateurs américains poussent pour la cession d’actifs, voire le démantèlement du groupe. La question de la cession de Canal+ revient sur le devant de la scène, avec différents scénarios envisagés, comme la conservation par Vivendi Universal du contrôle de Canalsatellite et la cession des chaînes premium à des groupes comme Lagardère en France ou Prisa en Espagne.

Toutefois, le groupe continue à nier toute intention de vendre sa filiale de télévision à péage. La nomination d’Éric Licoys, directeur général de Vivendi Universal, au poste de vice-président de Canal+, semble au contraire témoigner de la volonté du groupe de reprendre en main le destin de sa filiale.

L’intérêt pour Canal+ s’explique par les incertitudes qui pèsent sur l’avenir de Vivendi Universal. Si le Conseil d’État émet un avis défavorable sur la structure du capital de Canal+, qui en tant que chaîne hertzienne ne peut être détenue à plus de 20% par des capitaux non européens, Vivendi Universal pourrait être contraint de revoir sa participation, ouvrant ainsi la voie à de nouveaux actionnaires.

Les prétendants se bousculent


Les démentis de Vivendi Universal n’empêchèrent pas les nombreuses spéculations autour de l’avenir de Canal+. Dès mars 2002, Arnaud Lagardère avait exprimé son intérêt dans un entretien au Monde, déclarant être prêt à se positionner « si Vivendi en décidait la cession », tout en ajoutant que « Canal Plus devra changer de modèle ».

Un autre prétendant, Jérôme Seydoux, exprima son intérêt quelques mois plus tard. Dans un entretien à La Tribune le 3 juin 2002, le patron de Pathé se dit « très concerné par l’avenir de Canal+ ». Industriel du secteur, il se déclara prêt à racheter la chaîne si l’opportunité se présentait, soulignant que « le cinéma français a besoin d’un Canal+ en bonne santé, et Canal+ a besoin du cinéma. On peut dire la même chose avec le football : ce sont des partenaires obligés. »

TF1 entra ensuite dans la danse. Alors que Vivendi Universal traversait une crise sans précédent, avec un cours en bourse atteignant les 20 euros, Patrick Le Lay déclara dans une interview au magazine L’Expansion, reprise par l’AFP deux heures avant le conseil d’administration de Vivendi Universal, que TF1 serait « bien entendu » candidate au rachat de la chaîne cryptée si elle était mise en vente. Il précisa même que la loi autorisait TF1 à détenir 15% de Canal+ et 100% de Canalsatellite, omettant toutefois qu’une entrée dans le capital du bouquet satellite ne pourrait se faire sans l’aval de Lagardère, actionnaire à 34% avec une minorité de blocage.

Le 29 juin 2002, le Conseil d’État estima que Canal+ était en conformité avec la loi sur l’audiovisuel. Quelques jours plus tard, Jean-Marie Messier démissionna de la présidence de Vivendi Universal, remplacé par Jean-René Fourtou. L’une des missions du nouveau PDG était de sécuriser les finances pour regagner la confiance des marchés et redéfinir une stratégie.

Le 4 juillet 2002, Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6, confirma que le groupe était candidat au rachat de Canal+ si la vente était annoncée. Afin de séduire le nouveau conseil de Vivendi Universal, il mit en avant la bonne santé financière de son actionnaire RTL Group, très faiblement endetté, « ce qui n’est pas le cas des autres concurrents ». Une allusion à peine voilée à TF1.

Patrick Le Lay monta d’un cran le 8 juillet, déclarant dans un entretien à CB News être favorable à une fusion entre Canalsatellite et TPS. Il réitéra l’intérêt de TF1 pour Canal+, demandant une évolution réglementaire car « la loi, qui limite actuellement TF1 à 15% de Canal+, est totalement obsolète ».

Dans le même temps, TF1 devint l’actionnaire majoritaire de TPS en rachetant 16% à Suez, M6 détenant la minorité de blocage. Une nouvelle alliance préfigurant une stratégie commune entre les deux groupes.

L'actionnariat de TPS


Le bouquet créé en 1996 avait un actionnariat divisé en deux groupes : le groupe A (TF1 et une alliance entre France Télévisions et France Télécom) et le groupe B (M6 et Suez). Chaque entité détenait 25% de TPS.
La règle stipulait que si un actionnaire se retirait, son partenaire dans le même groupe avait la priorité pour acquérir sa part.
C’est ce qui s’est passé en décembre 2001 lorsque l’alliance France Télévisions-France Télécom s’est retirée, permettant à TF1 de récupérer rapidement ses parts grâce à son droit de préemption.
Logiquement, M6 aurait dû récupérer les parts de Suez. Cependant, en mars, dans une interview au quotidien la Tribune, Didier Bellens, PDG de RTL Group, a freiné les ambitions potentielles de sa filiale en déclarant : « Nous ne croyons pas à la télé à péage. Par conséquent, il n’y a aucune raison pour que M6 achète les parts de Suez. »

Cette fois-ci, Canal+ ne démentit pas toutes ces rumeurs de rachat. Le 12 juillet 2002, Xavier Couture, son président, admit la possibilité d’une vente par Vivendi Universal, tout en soulignant la situation « très saine » du groupe qui expliquait les nombreux candidats. Toutefois, il réaffirma l’indissociabilité des trois activités de production, d’édition et de distribution.

Après avoir envisagé une éventuelle cession du groupe Canal+ à Jean-Luc et Arnaud Lagardère qui avaient manifesté un intérêt mais uniquement pour les filiales rentables du groupe, Jean-René Fourtou étudia la possibilité d’une cession à un consortium mené par Jérôme Seydoux, aux côtés de TF1 et M6. Le projet prévoyait que Pathé devienne l’opérateur principal avec 35% du capital, tandis que TF1 et M6 prendraient chacun 15%. Cette structure permettrait de composer avec les contraintes réglementaires et budgétaires, et faciliterait la fusion de Canalsatellite avec TPS. Mais ce scénario risquait de se heurter aux autorités de la concurrence à Paris et à Bruxelles.

Face à ces multiples prétendants sans offre ferme, Fourtou prit finalement la décision de conserver Canal+, tout en le recentrant sur la France. Les activités hexagonales furent regroupées au sein de Canal+ SA, abritant la chaîne cryptée rebaptisée Canal+ France, ainsi que les participations dans la distribution (le fichier d’abonnés), Canalsatellite, la régie publicitaire, Multithématiques, Pathé Sport (rebaptisée Sport+ quelques semaines plus tard), les filiales outre-mer et StudioCanal. La filiale espagnole bénéficiaire, codétenue avec Prisa, est également de la partie mais fut cédée dans un second temps, en septembre 2003.

D’autres actifs comme UGC, NC Numéricable, le PSG, les filiales étrangères comme Benelux et l’italienne Telepiu (revendue à Murdoch après une bataille) furent également cédés. Seul Canal+ Pologne resta dans le giron français.

À l’issue de ce recentrage, le nouvel ensemble Canal+ SA fut détenu à 49% par Vivendi Universal, la limite légale, le reste étant introduit en bourse.

Le nouveau Canal+


Vivendi Universal garda donc un Canal+ allégé, mais fit le pari du football français dont les droits de diffusion arrivaient à échéance en 2004. Le 14 décembre 2002, la Ligue de football professionnel (LFP) retient la proposition de Canal+ concernant l’exclusivité des droits de la Ligue 1 pour 480 millions d’euros sur la période 2004-2007. Évincé, TPS déposa plainte pour « abus de position dominante » auprès du Conseil de la concurrence, qui gela l’attribution en attendant de se prononcer. Un protocole fut alors signé le 17 avril 2003 entre Canal+, TPS et la LFP, portant sur la prolongation pour 2004-2005 du partage des droits TV.

Lors du nouvel appel d’offres fin 2004, Canal+ remporta de nouveau l’exclusivité de la Ligue 1 de 2005 à 2008 contre 600 millions d’euros. Cette fois-ci TPS ne contestera pas. Cet échec conduit plus tard Patrick Le Lay à proposer à Fourtou de racheter le bouquet satellite. Une fusion lancée en décembre 2005 et qui aboutira en mars 2007 à un géant français de la télévision payante avec le « nouveau Canalsat ». L’histoire retiendra que « ceux qui veulent tout, veulent Canal+ ».*

*Référence au slogan de TPS de la même époque « Ceux qui veulent tout veulent TPS »


Le porno de Canal vu par ses abonnés

Le porno de Canal vu par ses abonnés


En 1993, la chaîne publie des témoignages de ses abonnés concernant la programmation des films X

Depuis août 1985, Canal+ offre à ses abonnés un film pornographique le premier samedi du mois, précédé du célébrissime « Journal du Hard ». Institution de la chaîne cryptée, elle propose depuis 2019 un second rendez-vous le troisième week-end de chaque mois. En 1993, Canal+ publie un florilège des messages de ses abonnés concernant le X et justifie sa politique de programmation. Flashback.

Les inconditionnels


Certaines personnes souhaitent plus de rediffusions, tandis que d’autres n’hésitent pas à apporter leurs suggestions sur la programmation des films. Dans un premier témoignage, un abonné fidèle à Canal+ (depuis sa création) se demande pourquoi le nombre de diffusions du film X mensuel a diminué de cinq à six fois par mois, à seulement deux ou trois fois.

D’autres, un groupe d’amis qui adorent se retrouver chaque premier du mois à minuit pour regarder le film X sur la chaîne cryptée, ont fait des suggestions pour attirer un public plus large et diversifié. Ils proposent… de présenter tous les genres de la production cinématographique pornographique, de diffuser en version originale quand il s’agit d’un film étranger – (le porno a décidément des frontières) – et même de diffuser un second film X par mois. Une suggestion qui a été exaucée en 2019.

... et les plus sceptiques


Si certains se révèlent d’être de véritables téléspectateurs, d’autres s’offusquent pour des raisons diverses et variées de la diffusion du porno sur Canal.

Dans un témoignage, une abonnée souligne le fait que certains soirs, des parents peuvent être absents et offrir l’opportunité à des adolescents de s’offrir une soirée TV jusqu’à tard la nuit. Elle mettra en cause la programmation des films jugées trop peu tardive invoquant « la fraîcheur », « la sensibilité » et suggère de programmer le Journal du Hard et les films X … au milieu de la nuit ! Un témoignage peut-être significatif d’une expérience vécue signé « une mère parfois dépassée par les événements ».

Une autre abonnée se questionne sur la présence même du X dans la programmation : « pourquoi vous continuez à nous abreuver de films X avec la régularité navrante d’une vieille horloge qui ne veut pas changer d’un pouce ? Où est l’utilité ? Maintenant que CANAL+ a fait ses preuves, plus la peine d’attirer les clients ! ». Le questionnement se poursuit : « Pensez-vous que tous vos abonnés soient des fans de films X. Vous vous trompez lourdement ». Pour cette cliente, visiblement peu friande de ce genre de films … la solution fut les films d’amour appréciés par « beaucoup de personnes » et « où les sentiments vrais existent et où les hommes et les femmes ne sont pas ravalés au rang de bêtes ».

Des témoignages qui (avec le temps) peuvent faire sourire, à cet époque, Canal+ n’était pas la seule chaîne à diffuser du X : Cinécinémas le faisait déjà ainsi que diverses chaînes sur le câble et le satellite … mais dont l’accessibilité n’était pas aussi aisée que celle de la chaîne cryptée !

Canal+ assume


Face à la diversité des opinions exprimées par ses abonnés, la chaîne cryptée défend sa programmation avec assurance à travers une question rhétorique : « Pourquoi le cacher ?”. Dans sa réponse, CANAL+ souligne l’attrait d’un public significatif pour le « film érotique ».

La chaîne aborde la programmation de ses contenus pour adultes avec une stratégie de diversification et met un certain sens de la responsabilité. Consciente des diverses sensibilités de son public, elle s’efforce de proposer un éventail de films qui respectent à la fois la curiosité de certains et la pudeur d’autres. Elle dit mettre aussi en valeur des mesures réfléchies telles que la diffusion de ces contenus à des horaires tardifs (entre minuit et quatre heures du matin) et la rediffusion limitée à quatre fois par mois.

La chaîne précise également s’efforcer de proposer la plus grande variété de films érotiques possible, tout en respectant les limites fixées par la loi.

Curieusement, la chaîne fait référence uniquement à des films érotiques et non à des films pornographiques, une distinction loin d’être anodine. Les films érotiques jouent sur la sensualité et la suggestivité pour évoquer l’érotisme sans dévoiler explicitement d’acte, tandis que les films pornographiques se concentrent sur la représentation directe et explicite des actes sexuels. C’est précisément ce genre de films, parfois qualifiés de « hard », qui étaient diffusés sur la case du premier samedi du mois. Mais cela, Canal+ semblait le reconnaître avec moins d’assurance…


Quand le Royaume-Uni bannissait les chaînes pornos

Quand le Royaume-Uni banissait les chaînes pornographiques


Dans un panorama médiatique européen en pleine transformation avec l’essor de la télévision par satellite, le Royaume-Uni affronte des défis réglementaires face au développement des chaînes pornographiques. Cette période marque une ère de conflits légaux et d’adaptations stratégiques des médias et d’évolutions dans la perception publique et la législation britannique.

Au début des années 1990, la télévision par satellite connaît un fort développement en Europe et notamment au Royaume-Uni. Ainsi, les téléspectateurs peuvent recevoir, directement à domicile, une dizaine de chaînes thématiques et internationales. C’est l’époque des « télévisions sans frontières » où des chaînes émettant depuis un pays pouvaient rayonner sur toute l’Europe, contournant alors les restrictions nationales.

Cette explosion du satellite a suscité des réactions mitigées au Royaume-Uni. Si certains consommateurs accueillaient avec enthousiasme cette diversité de choix, les autorités s’inquiétaient des implications morales et légales, particulièrement concernant l’accès facile à des contenus pour adultes. Cette période a marqué le début d’un débat public sur la régulation des médias et la protection des mineurs, posant les bases des conflits réglementaires et légaux à venir.

Retour sur l’histoire tumultueuse des chaînes pornographiques au Royaume-Uni dans les années 1990 : entre fermetures, conflits et effet Streisand.

Les films X : un produit d'appel


Avec le développement de la télévision payante dans les années 1980/1990, les films pornographiques sont des produits d’appel, tout aussi importants que le cinéma ou le sport, pour les chaînes dites « premium ». Ainsi, Canal+ en France, TV1000 en Suède ou encore FilmNet aux Pays-Bas diffusent des programmes « adult only » très tardivement dans la nuit.

Dans le même temps, les premières chaînes pornographiques font leur apparition. Diffusant par satellite, ces nouvelles chaînes peuvent s’implanter dans des pays où la législation n’est pas trop restrictive et diffuser sur un bassin couvrant quasiment toute l’Europe.

En matière de télévision par satellite, le Royaume-Uni est un pays plutôt précurseur. Bon nombre des premières chaînes « pan-européennes » comme Sky Channel, Lifestyle, Screensport émettent depuis le royaume britannique. De même, en termes de télévision payante, le pays dispose, au début des années 1990, du bouquet thématique « Sky Multi-Channel », issu de la fusion entre Sky et BSB.

C’est donc sur un marché plutôt mature que la chaîne néerlandaise  « Red Hot » lance, en juillet 1992, ses émissions vers la Grande-Bretagne. Diffusée sur le satellite Eutelsat F-II où elle compte 18.000 abonnés aux Pays-Bas, la chaîne X est commercialisée par une société britannique intitulée « Continental Television ». Elle promet la diffusion de cinq heures de programmes hebdomadaires pour un tarif de 47,25 livres par trimestre.

De quoi suffisamment inquiéter le lobby « anti-porno » selon lesquelles la déréglementation de la radiodiffusion européenne rend le gouvernement britannique presque impuissant à empêcher un tel matériel d’atteindre ses ondes.

La directive européenne "Télévision sans frontières"


Afin de réguler le marché des chaînes “pan-européennes”, la directive “Télévision sans frontières” interdisait essentiellement aux États membres de la Communauté européenne de « prévenir » la télévision par satellite. Des exceptions ont toutefois existé, notamment l’article 2 du chapitre 2, qui donnait aux gouvernements le droit et le devoir de contrôler les émissions contenant des incitations à la haine sur les bases de la race, du sexe, de la religion ou encore de la nationalité. Également, elle accordait le pouvoir de restreindre les programmes pouvant « sérieusement altérer le développement physique » des mineurs.

Pour ce dernier point, la Directive stipulait qu’au stade initial, des “consultations doivent avoir lieu” entre le gouvernement concerné et le diffuseur, mais si celles-ci ne produisaient pas un “règlement amiable dans les 15 jours”  alors “l’État membre recevant peut prendre des mesures provisoires unilatérales contre la chaîne concernée”.

Le Royaume-Uni : une approche conservatrice avec un cadre légal très strict 


Le Royaume-Uni a historiquement tenté de réglementer la pornographie, quel que soit le support, particulièrement à travers des lois : « Obscene Publications Act » adoptée pour la première fois en 1959 et l’article 177 du “Broadcasting Act” en 1990. Cette dernière visait à imposer des restrictions aux chaînes de télévision par satellite diffusant des contenus visant à “dépraver et corrompre” ceux qui y sont exposés.

Un cadre juridique qui témoigne d’une démarche autant préventive que protectrice en matière de diffusion de contenus à caractère pornographique, axée sur la préservation de la moralité, du bon goût et de la décence. L’objectif de ces mesures est de protéger contre la dégradation des mœurs, notamment chez les jeunes, et de garantir le maintien de l’ordre public en limitant l’accès à des contenus considérés comme obscènes ou explicitement sexuels. Elles incarnent ainsi les normes et préoccupations morales propres à la société britannique de cette époque.

Le cas de Red Hot Dutch va alors poser un véritable casse-tête pour le gouvernement britannique.

Dès son lancement, en juillet 1992, le gouvernement britannique a informé son souhait de bannir la chaîne des écrans britanniques. Mais, comment agir dans un environnement complexe impliquant une chaîne néerlandaise commercialisée par une entreprise britannique, transmise via un transporteur que Red Hot louait à la Poste danoise, et opérant dans le cadre de la législation de la Communauté européenne ?

Le cas de la chaîne Red Hot TV : une confrontation réglementaire


Les autorités britanniques, confrontées à un dilemme avec la chaîne Red Hot en janvier 1993, se heurtent à l’obstination de la chaîne de ne pas modifier son contenu, malgré les négociations. Cette situation est compliquée par le fait que les autorités danoises, pays hôte de la chaîne, qui estime ne pas avoir de fondement légal pour interrompre ses émissions.

En réponse, le gouvernement britannique adopte une stratégie différente, rendant illégale la publicité pour les programmes de Red Hot TV ainsi que la vente de son décodeur et de sa carte à puce sur le territoire britannique. Cette décision est rapidement contestée par la chaîne, qui se tourne vers les tribunaux britanniques et la Cour de Justice de l’Union européenne (CJCE), tout en déplaçant ses opérations aux Pays-Bas. L’objectif est de continuer la vente et l’expédition des équipements nécessaires à partir des Pays-Bas, grâce à la publicité par satellite. Cette stratégie aurait pu être efficace, car les décisions de la CJCE distinguent explicitement les entités basées dans un État membre et celles d’autres États.

Cependant, l’interdiction britannique de faire la publicité de Red Hot TV et de vendre ses équipements a suffi à réduire considérablement sa base d’abonnés. Cette situation a contribué à la liquidation et à la fermeture de la chaîne en 1994, avant que l’affaire n’ait pu être jugée par la CJCE.

Publicité pour la chaîne pornographique Eurotica

Des interdictions ... et des subterfuges


Le Royaume-Uni, confronté à la prolifération de chaînes pornographiques diffusées par satellite, a mis en œuvre une stratégie réglementaire stricte entre 1994 et 1998. Cette stratégie consistait principalement à interdire la publicité et la vente des abonnements pour ces chaînes, telles que Red Hot Dutch, Jessica Rizzo/Satisfaction Club TV, TV Erotica, Eurotica Rendez-vous, et Eros. Cependant, cette mesure n’a pas complètement résolu la question de la gestion des chaînes pornographiques par satellite.

En réaction à cette politique restrictive, les chaînes touchées ont adopté des tactiques adaptatives. Une méthode courante était le changement de nom de la chaîne, comme illustré par la transformation de “Eurotica” en “Erotica” et la fusion de la chaîne française “Rendez-Vous” avec la chaîne suédoise, aboutissant à la création de “Eurotica Rendez-Vous”. Ces stratégies visaient à maintenir une longueur d’avance sur la législation en vigueur. De plus, la perception publique attribuait au gouvernement la responsabilité de la fermeture des chaînes, incitant ainsi les consommateurs à investir dans de nouveaux abonnements.

Un cas spécifique est celui de la chaîne suédoise TV 1000, principalement axée sur la diffusion de films cinématographiques, mais aussi des contenus pornographiques lors de ses diffusions nocturnes hebdomadaires. Pour se soustraire aux contraintes de la législation suédoise, en particulier concernant les publicités destinées aux enfants, TV 1000 opérait initialement depuis le Royaume-Uni. Afin de contourner la législation britannique sur les contenus pornographiques “hard-core”, la chaîne a mis en place un système de basculement de son signal vers la station suédoise d’Aagesta, qui relayait ensuite le signal vers le satellite Astra. Ce procédé impliquait une interruption temporaire du signal, de l’ordre de 10 à 15 secondes, nécessaire pour le transfert du signal avant et après la diffusion des programmes pour adultes.

Publicité pour la chaîne pornographique Rendez Vous

Une question marginale pour de nombreux britanniques


Pour une partie significative de la population britannique, les initiatives gouvernementales visant à réguler les chaînes pornographiques diffusées par satellite étaient perçues comme marginales, détournant l’attention de questions jugées plus importantes. De plus, il a été noté que l’administration britannique a fait preuve de sélectivité dans l’application de ses politiques réglementaires. Les chaînes ciblées étaient principalement de petites entreprises, souvent d’origine étrangère. En parallèle, d’autres chaînes, appartenant à de grandes sociétés britanniques telles que “The Adult Channel” ou “The Fantasy Channel” (plus tard renommée “Television X” et toutes deux propriétés d’une filiale de Northern & Shell), ont pu opérer relativement sans entraves sur le sol britannique. Les autorités ont justifié cette différence de traitement par le fait que ces chaînes consacraient du temps à la prévention et diffusaient des films de catégorie “soft-core”. De plus, leur enregistrement au Royaume-Uni et l’obtention d’une licence de l’OFCOM (l’équivalent britannique du CSA) jouaient également en leur faveur.

Avec l’avènement de la télévision numérique à la fin des années 1990 et l’introduction de systèmes de contrôle parental ainsi que de dispositifs de « double cryptage », le cadre réglementaire britannique s’est progressivement adouci.


Canal Santé : la première télévision médicale en France

Canal Santé : la première télévision médicale en France


De 1989 à 1992, Canal Santé a été la première chaîne à destination du personnel médical, des hôpitaux et établissements de santé, en France.

La campagne de communication pour promouvoir la télévision par câble proclamait : « De la télévision pour tous à la télévision pour chacun ». À la fin des années 1980, avec le développement des nouveaux moyens de réception, le paysage audiovisuel français s’est considérablement enrichi grâce à l’arrivée de chaînes thématiques. Canal Santé a été la première chaîne entièrement dédiée au domaine médical.

Lancée le 21 mars 1989, Canal Santé était accessible via les satellites Télécom 1A et Eutelsat 1-F2. Cette chaîne, filiale de la Lyonnaise des Eaux, s’adressait spécifiquement aux professionnels de la santé : médecins, personnel paramédical et administratif des établissements hospitaliers.

Elle offrait cinq heures de programmes quotidiens avec deux objectifs principaux : informer et former les professionnels de la santé.

Informer et former


L’information constituait un pilier fondamental de la programmation de Canal Santé. La chaîne proposait des journaux télévisés centrés sur l’actualité du secteur médical et des informations administratives. Grâce à une équipe de six journalistes, Canal Santé a réalisé des reportages, tels que ceux sur les « mouroirs d’enfants » en Roumanie ou la « filière italienne » de la greffe à l’hôpital de Villejuif. Ces enquêtes, reprises par des médias renommés comme le Canard Enchaîné, TF1 ou la Cinq, ont renforcé la crédibilité de la chaîne et instauré un climat de confiance avec ses abonnés.

La formation était un autre axe majeur de la programmation avec des programmes dédiés à cet effet. Parmi les émissions phares de la chaîne, on retrouvait :

« Staff », une émission abordant des sujets médicaux complexes en s’articulant autour d’événements marquants du secteur, tels que des congrès, des avancées de recherche ou des lancements de nouvelles molécules. Chaque mois, cinq thèmes étaient mis à l’honneur : le métabolisme endocrino-digestif (lundi), l’uro-génital et l’obstétrique (mardi), l’appareil locomoteur (mercredi), le cardio-vasculaire et la pneumologie (jeudi), ainsi que l’appareil neurosensoriel et la peau (vendredi). Ces émissions étaient diffusées chaque semaine durant un mois entier.

« Check Up », véritable club de la presse mensuel, mettait en lumière l’actualité de la santé en conviant des invités de renom pour des échanges passionnants et instructifs.

Des partenariats avec des établissements de santé


Les partenariats établis par Canal Santé avec des groupes hospitaliers ont été l’un des aspects originaux de la programmation de la chaîne. Parmi ces collaborations, on retrouve le module de trente minutes intitulé « APTV », spécialement conçu pour le personnel de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Cette initiative, née d’une convention entre l’AP de Paris et la Lyonnaise des eaux, se voulait un modèle de l’utilisation de la télévision en milieu hospitalier. Chaque module bénéficiait de rediffusions à des horaires variés, permettant ainsi au personnel soignant d’y accéder selon leurs disponibilités.

Un autre programme, « Hôpital entreprise », s’adressait spécifiquement aux gestionnaires d’hôpitaux et de cliniques. Cette émission visait à leur fournir des informations et des outils pratiques pour optimiser la gestion de leurs établissements de santé. En abordant des thématiques telles que la stratégie, les ressources humaines ou encore la finance, « Hôpital entreprise » se positionnait comme une ressource précieuse pour les décideurs du secteur.

Ces partenariats témoignent de la volonté de Canal Santé de s’ancrer dans la réalité du terrain et de répondre aux besoins spécifiques des professionnels de santé. En offrant des contenus ciblés et pertinents, la chaîne a su se démarquer et apporter une réelle valeur ajoutée à ses abonnés, tout en contribuant à l’amélioration des pratiques et des connaissances au sein du secteur médical.

Un succès significatif malgré … de nombreux obstacles


Malgré l’intérêt suscité par Canal Santé, qui a réussi à attirer 4 700 praticiens en quelques années et à s’ouvrir aux abonnements individuels dès février 1990, la chaîne a dû faire face à des défis de taille. Les tarifs élevés pratiqués par France Télécom et la réticence des réseaux à consacrer un canal à une audience restreinte ont freiné son expansion sur les réseaux câblés, notamment pour toucher les médecins exerçant en ville.

Cette conjonction de facteurs a contraint Canal Santé à cesser ses émissions le 15 février 1992, faute d’avoir atteint le seuil de rentabilité. Cependant, l’expérience de la chaîne a ouvert la voie à d’autres initiatives similaires. Ainsi, « Médecine Plus », destinée aux médecins, a vu le jour à la fin des années 1990 sur Canalsatellite. De même, le groupe Lagardère a lancé en 2001 la chaîne « Santé Vie », davantage orientée vers le grand public, également diffusée sur Canalsatellite…


Le moment où Canal J a failli devenir la 7ème chaîne hertzienne

Le moment où Canal J a failli devenir la 7ème chaîne hertzienne


Au début des années 1990, la chaîne pour enfants est retenue par le CSA pour diffuser sur un réseau hertzien multivilles.
Retour sur une histoire qui symbolise aussi un échec de la politique française autour de la télévision par satellite.

À la fin des années 1980, la France s’est engagée dans la construction d’un programme de satellites dit à « haute puissance » devant permettre à l’ensemble de la population de recevoir un bouquet de chaînes thématiques. Leur nom ? TDF 1 et TDF 2. Complément de la télévision par câble qui touche les grandes agglomérations, la télévision par satellite doit, pour s’imposer, proposer des programmes exclusifs et attractifs.

C’est dans ce contexte que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) sélectionne en avril 1989 le projet Canal Enfants pour une diffusion sur le satellite TDF 1. Bien que cette thématique soit déjà présente avec Canal J sur le câble, le projet Canal Enfants rassemble d’importants acteurs du câble, tels que la Compagnie Générale des Eaux, la Lyonnaise des Eaux, la Caisse des Dépôts, des médias comme Canal+ et Antenne 2, ainsi que des acteurs de l’édition, notamment CEP Communication, propriétaire des éditions Nathan et Bayard Presse.

Pour optimiser son entrée sur le marché des télévisions thématiques encore naissant, Canal Enfants envisage de diffuser également sur des fréquences hertziennes terrestres pour étendre sa portée. Offerte gratuitement sur le câble, la diffusion terrestre est vue par ses actionnaires comme une vitrine pour la télévision par câble, dont le développement restait limité à la fin des années 1980. Cependant, la Lyonnaise des Eaux pose ses conditions pour une diffusion hertzienne, en exigeant particulièrement un abandon de cette fréquence au bout de quatre ans au profit d’une diffusion exclusive sur le câble et le satellite.

La diffusion hertzienne, une nécessité économique


La diffusion terrestre est jugée cruciale pour la viabilité économique de Canal Enfants, en particulier dans un contexte dans lequel le câble et le satellite ne sont pas encore pleinement développés. Les actionnaires de Canal Enfants prévoient d’investir plus de 120 millions de francs dans les programmes pour la première année d’exploitation, un investissement initial important pour assurer des programmes de qualité et attirer des abonnements.

Le CSA lance alors, le 21 février 1990, un premier appel d’offres pour une nouvelle chaîne hertzienne cryptée concernant Paris et son agglomération, suivi d’un second appel d’offres, le 3 mai 1990, pour les vingt-deux grandes villes de France où des fréquences étaient encore disponibles.

Canal Enfants + Canal J = Canal J


Pour répondre aux exigences de la Lyonnaise des Eaux et du CSA, Canal Enfants envisage de couvrir 5 millions de foyers via un réseau hertzien crypté. Parallèlement, les conseils d’administration de Canal Enfants et de Canal J envisagent un rapprochement, les deux chaînes ciblant le même public et partageant plusieurs actionnaires communs. Ainsi, lors de sa présentation devant le CSA le 23 mai 1991, c’est un consortium renouvelé que Canal Enfants présente, avec Canal J devenant le principal actionnaire de ce nouvel ensemble, aux côtés de Canal+, Antenne 2, des câblo-opérateurs et de Bayard Presse. Seule la CEP, initiatrice du premier montage financier, se retire du projet.

Ce projet est finalement retenu par le CSA, deux mois plus tard, avec la promesse d’une programmation composée à 35% de fictions, 15% de dessins animés, 10% de documentaires, et surtout 40% de jeux et productions originales.

Canal J, pour s’implanter dans les foyers, mise sur un abonnement à 85 francs par mois, accessible via le décodeur Canal+, avec un programme diffusé de 7 h 30 à 21 h 30, devant démarrer au plus tard à partir du 15 décembre 1990.

Des obstacles nombreux


Cependant, plusieurs obstacles entravent la diffusion de Canal J sur les satellites TDF et le réseau terrestre. En 1989 et 1990, les satellites français font face à trois pannes, réduisant leur capacité d’émission : quatre des douze canaux initialement disponibles deviennent inutilisables. L’avenir des satellites TDF semble compromis. André Rousselet, président de Canal+, déclare alors dans un entretien au Figaro : « rien n’est de nature à nous rassurer pleinement, aujourd’hui, sur le sort des huit autres tubes encore en état de marche » et demande au CSA, un droit de préemption systématique” sur les canaux encore valides.

Canal J pose également ses conditions au CSA, affirmant que dans ces circonstances, « l’équilibre économique et financier de l’entreprise n’est plus assuré ». La chaîne souhaite notamment une augmentation de la puissance de son émetteur hertzien sur Paris pour couvrir aussi la grande couronne, ainsi qu’une amélioration des émetteurs dans les 22 villes de province où elle doit être diffusée. De telles mesures lui permettraient, selon elle, d’ajouter 5 à 6 millions de Français à son réseau actuel.

La chaîne propose alors d’étaler sa diffusion sur plusieurs mois : l’émission de trois heures de programmes quotidiens entre 16 h 30 et 19 h 30 sur le réseau hertzien et une préfiguration de ses programmes définitifs en journée sur le câble et le satellite avant un démarrage “classique” le 30 mars 1991.

Cependant, les négociations tarifaires avec TDF n’aboutissent pas, la chaîne pointant des conditions « qui ne seraient pas rentables » sur le réseau hertzien. « Il n’est pas logique que TDF nous propose une diffusion sur TDF1 – TDF2 au même tarif que Canal Plus (12 millions de francs par an) qui diffuse plus de programmes que Canal J et sera en tête de liste pour les priorités de sécurisation en cas de nouvelles pannes du satellite », plaide Pierre-Henri Chauveau, le directeur général de la chaîne pour enfants. De plus, sur les 5 millions de foyers initialisés sur les fréquences hertziennes, seuls 4 millions pourraient correctement capter les programmes.

Du côté de TDF, on s’en tient à de stricts arguments commerciaux : « Pourquoi faire une fleur à Canal J alors que nous avons des clients potentiels prêts à monter sur le satellite », fait allusion à Canal+.

Une diffusion sur les satellites TDF qui tourne court…


Finalement, c’est sous la pression d’André Rousselet que Canal J commence ses émissions sur TDF 1/TDF 2, le 12 février 1991. Le PDG de Canal+ avait tout intérêt à voir la chaîne pour enfants monter sur ce satellite afin de constituer un réel bouquet de programmes.

Cependant, quelques jours après sa montée sur le satellite, de nouveaux dysfonctionnements conduisent Canal J à laisser son canal à sa consœur musicale, MCM. Autorisée à diffuser uniquement le soir, après les émissions de Canal J, MCM souhaite aussi émettre pendant la journée. Or, la réduction à quatre au lieu de cinq canaux utilisables sur TDF 1 et TDF 2 ne lui permet pas d’obtenir un canal plein. Sollicité par le CSA, Canal J est invité à “prêter” sa fréquence, le temps que MCM trouve de nouveaux moyens de diffusion.

Ces incidents techniques à répétition conduisent Canal J à abandonner la diffusion sur TDF 1/TDF 2 en avril 1991 et, par conséquent, à abandonner une éventuelle diffusion hertzienne, attribuée pour compenser les perspectives aléatoires de TDF 1/TDF 2. En se recentrant sur le câble, le budget prévisionnel de la chaîne se retrouve réduit de moitié, passant d’un montant de 240 millions pour un triple mode de diffusion à 100 millions de francs. Dans le même temps, André Rousselet annonce avoir entamé des négociations avec France Télécom pour gérer et commercialiser un bouquet de programmes thématiques comprenant Canal J ainsi que d’autres chaînes thématiques, “en étroite liaison avec les câblodistributeurs”, sur le futur satellite de faible puissance Télécom 2. Ces négociations s’inscrivent dans les prémices du lancement de Canalsatellite un an plus tard.

Quant au réseau hertzien abandonné par la chaîne pour enfants, le gouvernement marque très rapidement sa préférence pour la “chaîne franco-allemande” ARTE… Cela sans compter sur les difficultés économiques de la Cinq, survenues quelques mois plus tard.

Satellite de diffusion directe : kezako ?


Un satellite de diffusion directe est un satellite lourd, de forte puissance, à faible nombre de répéteurs, permettant un choix d’environ quatre à cinq canaux de 230 W environ. Il s’agissait de la solution technique retenue pour les satellites dits « nationaux » : TDF 1/TDF 2 pour la France, TV-SAT 1/TV-SAT 2 pour l’Allemagne, Marco Polo pour le Royaume-Uni, etc.

Ce choix d’une aussi forte puissance était dicté par le fait d’avoir une excellente qualité d’images, à une époque où la haute définition paraissait être l’avenir de la télévision, la réception directe avec une parabole de dimensions raisonnables et une zone de couverture extrêmement large (TDF 1/2 pouvait être reçus dans quasiment toute l’Europe de l’Ouest…).

Toutefois, les difficultés et les retards dans sa conception, le prix exorbitant demandé aux diffuseurs pour monter sur ces satellites ainsi que le faible nombre de canaux favoriseront l’émergent de satellites privés dits de “moyenne puissance” couvrant un bassin plus réduit, mais moins chers dans leur conception et permettant d’avoir un nombre de canaux plus importants pour un tarif moins élevé : 16 canaux pour le premier satellite Astra vs cinq canaux pour TDF 1.