OCS : vous êtes fans ? Eux aussi.
Le 3 juillet dernier, l’offre Ciné+ de Canal+ a absorbé les chaînes OCS d’Orange. En 17 ans d’existence, Orange Cinéma Séries a traversé une histoire mouvementée, marquée par du lobbying, des batailles judiciaires et des pressions institutionnelles.
Tout commence en 2004, une année qui marque un tournant stratégique pour France Télécom. L’opérateur historique, confrontée à un marché des télécommunications en pleine mutation décide de créer une division dédiée aux contenus.
Principalement axée sur la vidéo à la demande (VàD) afin d’alimenter son offre “Ma Ligne TV” (qui deviendra en 2005 “La TV d’Orange”), cette initiative s’avère rapidement fructueuse. En seulement deux ans, elle atteint un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros. Un succès précoce qui ouvre la voie à une diversification plus large dans le domaine des contenus.
Une stratégie des petits pas
En mai 2007, Orange fait ses premiers pas dans l’industrie cinématographique avec le lancement de “Studio 37” (futur Orange Studio), sa filiale de production dirigée par Frédérique Dumas. Profitant du Festival de Cannes, la nouvelle entité dévoile ses six premiers projets de coproduction et positionne en concurrent direct de StudioCanal.
Par la suite, Orange multiplie les initiatives. L’opérateur dépêche quatre acheteurs aux Los Angeles Screenings, le marché international des séries, cherchant à s’affranchir de Canal+ pour l’acquisition de séries américaines. Cette démarche s’inscrit dans une tendance plus large : le marché de la vidéo à la demande attise les convoitises des géants des télécoms. En juin 2007, son concurrent Free lance “Free Home Vidéo”, proposant un accès illimité à un catalogue de films et de séries pour 5.99€/mois, préfigurant le modèle de Netflix. Orange riposte quelques semaines plus tard avec le service “24/24 Séries” proposant des séries comme Scrubs ou encore Desperates Housewives en accès illimité.
L’offensive de l’opérateur s’intensifie à la rentrée 2007 avec le lancement d’une chaîne linéaire (et un portail interactif dédié) intitulé “Orange Sports TV” (qui deviendra “Orange sport info” un an plus tard). Produite par la société “Sporever” de Patrick Chêne, cette chaîne est pensée pour combler un besoin non satisfait, celui de ne pas pouvoir diffuser “L’Équipe TV” alors en exclusivité dans les offres CanalSat.
Si mineur soit-il, le lancement de cette chaîne marque un tournant : Orange passe de simple distributeur à producteur de contenus et va se poser, pas à pas, comme un potentiel rival de Canal+ dans le domaine de la télévision payante.
Free Home Vidéo : l'un des premiers services de SVOD en France
Pour 5.99€/mois, l’utilisateur pouvait retrouver plus de 50 films et 100 épisodes de séries renouvelés toutes les semaines. En janvier 2008, une seconde offre facturée 10.99€/mois a été lancée et permettait un accès illimité à un choix élargi : cinéma, séries, musique, kids, mangas (ainsi que des contenus adultes plus tard) en haute définition.
Football, cinéma et séries : bienvenue à Orange+
La stratégie de convergence chère (et cher) à Jean-Marie Messier et bien plus tard à Patrick Drahi va se concrétiser lors du premier semestre 2008. Le 6 février, l’opérateur acquiert pour 203 millions d’euros, le match du samedi soir de Ligue 1, ainsi que les droits mobiles.
Deux mois plus tard, le 7 avril, lors du MIP-TV à Cannes, France Télécom annonce le lancement de “Orange cinéma séries” (OCS) pour le quatrième trimestre. L’opérateur dévoile des accords exclusifs avec Warner Bros et HBO pour la diffusion de leurs nouveaux films et séries. Le cinéma français n’est pas en reste puisqu’un accord pluriannuel de préachat exclusif est signé avec Fidélité Films et pour certains films du catalogue de Gaumont. Orange affirme sa volonté de “faire largement appel à la créativité de la production française et participer au financement du cinéma français”.
À l’origine de cette stratégie se trouve Didier Lombard, PDG de France Télécom, ancien directeur général adjoint chargé des nouveaux usages. Sa vision est claire : attirer de nouveaux abonnés en misant sur “la qualité et la richesse des services”, un moyen de se démarquer des concurrents. Orange compte offrir une consommation de contenus multi-supports avec la possibilité de commencer un film sur son téléviseur et de le poursuivre sur son téléphone, via les réseaux “décentralisés et haut débit” de France Télécom. Un modèle qu’il opposera à la diffusion télévisuelle classique et centralisée.
Ces annonces interviennent à un moment stratégique, celui de la migration des abonnés du bouquet TPS vers Canalsat. Orange veut se positionner comme une alternative aux offres de Canal+ et pour cela, elle compte y mettre les moyens. Au point de lancer un service de télévision par satellite durant l’été 2008, visant les zones ayant un faible débit internet pour recevoir la télévision par IP.
Piques et polémiques
L’entrée d’Orange sur le marché de la télévision payante voit une réaction immédiate et coordonnée de Canal+ et de sa maison-mère Vivendi, sur plusieurs fronts.
Après de premières tensions, à la suite du lancement de Studio 37 en mai 2007, aboutissant à la résiliation de la distribution de l’offre “Canal+ Mobile” chez Orange en octobre de la même année, la situation va considérablement se détériorer dès le printemps 2008.
L’annonce du lancement d’Orange Cinéma Séries au MIP TV est une réelle surprise pour le géant de la télévision payante. Un an après l’absorption de TPS, la chaîne cryptée se retrouve face à un nouveau concurrent inattendu. Toutefois, pour Canal+, le constat est simple : il n’y a pas la place pour un second service payant rentable en France, surtout s’il est uniquement centré sur le cinéma.
Le lendemain de l’annonce du lancement de OCS, le directeur général de Canal+, Rodolphe Belmer réagit (aussi) depuis le MIP-TV. Il déclare qu’Orange “va reconstituer un petit TPS Star et devient donc un concurrent sérieux en télévision payante” et lance un pavé dans la mare en demandant à ce que “France Télécom contribue sur son chiffre d’affaires dégagé des offres triple-play” en ajoutant que “l’exception culturelle, ça se finance et ça se protège”. La chaîne cryptée consacre une part importante de son chiffre d’affaires à la production cinématographique et exige qu’Orange soit soumis à des contraintes similaires.
Le lendemain, la position de Canal+ est réitérée dans les colonnes du Figaro. Bertrand Méheut, PDG de Canal+, poursuit l’argumentaire de son directeur général avec une interrogation : “La question est de savoir si Orange a le droit d’acquérir des contenus en les finançant par les bénéfices de sa situation dominante sur le marché des télécoms”.
Si Orange inquiète autant la chaîne cryptée, c’est en grande partie en raison de sa puissance financière. La maison-mère, France Télécom, a surmonté les difficultés financières du début des années 2000 et affiche un chiffre d’affaires de 53 milliards d’euros et un cash-flow de 7,8 milliards d’euros en 2007. Face aux moyens colossaux de l’opérateur historique, Canal+ craignait une flambée des coûts pour les films les plus porteurs d’audience, notamment les films américains de studios et les films français à gros budget, confie à Encyclomédia, Manuel Alduy, alors directeur du cinéma à Canal+.
La concurrence entre OCS et Canal+ engendre une inflation sur les coûts d’acquisition des films et séries jugés “porteurs”, sans lien avec leur audience réelle ou leur qualité. Cette situation crée une bulle artificielle autour de certaines productions américaines et françaises. La rivalité entre les deux acteurs est ainsi devenue un élément clé du marché audiovisuel payant pour les ayants-droit.
OCS prend forme
Suite à l’annonce du lancement d’Orange Cinéma Séries, l’état-major de France Télécom compte lui-aussi occuper l’espace médiatique en mettant l’accent sur le caractère novateur de son offre.
L’opérateur ambitionne de révolutionner la consommation de contenus audiovisuels. Si aujourd’hui, la télévision de rattrapage ou encore le start-over font partie du quotidien de nombreuses personnes, la stratégie “multi-écrans” proposée par Orange offrait une flexibilité quasi-inédite sur le marché français. L’accord conclu avec Warner Bros est présenté comme une “première mondiale” puisqu’il couvre à la fois les droits de diffusion en télévision payante mais aussi en vidéo à la demande sur l’ensemble des supports, illustrant ainsi une approche globale dans l’acquisition et la distribution de contenus.
Toutefois, comme le précise Manuel Alduy, Canal+ aussi préfigurait ces nouveaux modes de consommation : “Juste avant le lancement d’OCS, nous avions lancé le replay sur les programmes, dont le cinéma français, au printemps 2008”.
Le 8 octobre 2008, les cinq chaînes du bouquet Orange Cinéma Séries sont présentées à la presse. La programmation prévoit la diffusion de films en première exclusivité, des œuvres de catalogue, et à l’instar de Canal+ et auparavant TPS Star, la diffusion mensuelle d’un film pour adultes. Le tarif est fixé à 12€/mois pour un accès TV et PC (et une offre mobile distincte à 6€), pour un lancement le 13 novembre 2008. Loin des 33€ mensuels pour un abonnement à la chaîne cryptée.
Face à cette nouvelle concurrence, Canal+ s’adapte
La concurrence d’Orange pousse Canal+ à revoir sa stratégie. La chaîne cryptée se voit contrainte de renégocier ses accords d’approvisionnement en films américains auprès des studios, cherchant à préserver son attractivité en matière de films en première exclusivité. Manuel Alduy apporte un éclairage sur cette situation : “Sans concurrence frontale, Canal+ aurait préféré négocier l’acquisition des films US en fonction de leur succès en salles, sur des bases plus sélectives”. Il ajoute : “Sur le cinéma français, nous avons résisté à l’inflation des budgets et renégocié un nouvel accord avec la profession du cinéma en décembre 2009.”
Également, la concurrence accélère la mutation de Canal+ vers un modèle plus généraliste, en témoigne le succès des émissions en clair, des créations originales ou encore la diversification dans le documentaire. “Orange avait investi dans le cinéma, le football et les séries, Canal+ a répliqué en investissant partout et plus haut” analyse l’ancien directeur du cinéma de la chaîne cryptée.
Ce modèle lui permet ainsi d’être “plus sélectif afin de ne pas dépendre, sur tel ou tel genre (sport, cinéma, séries) d’une seule catégorie de fournisseurs. En d’autres termes, nous avons abandonné certains programmes (par exemple, nous avons réduit le nombre de films américains de notre plateforme)” ajoute t-il.
OCS face aux défis
Une bataille juridique
L’offensive de l’opérateur historique dans le domaine des contenus provoque une bataille juridique et réglementaire d’une ampleur importante, impliquant ses concurrents, régulateurs et même le législateur…
Moins d’un an après les premières déclarations, Canal+ met ses menaces à exécution. En février 2009, la chaîne cryptée associée à SFR (alors filiale de Vivendi) porte plainte contre Orange auprès de l’Autorité de la concurrence.
Bertrand Méheut accuse Orange de “vente liée” et de “vente à perte” participant ainsi à une inflation artificielle des droits du cinéma et du football. Dans son viseur, la chaîne Orange Sport proposant le match de Ligue 1 du samedi soir, le football allemand, du basket et divers sports pour uniquement 6€/mois. Également, l’obligation pour les clients de souscrire aux offres internet de l’opérateur afin d’accéder aux nouvelles chaînes cinéma et sport est également visée.
Parallèlement, d’autres acteurs entrent dans la danse. Free et SFR, concurrents directs d’Orange sur le marché de la téléphonie, saisissent le tribunal de commerce de Paris. Ils contestent l’exclusivité d’Orange sur la retransmission des matchs de Ligue 1, arguant que cette pratique fausse la concurrence et pénalise les consommateurs.
Cette bataille juridique menée sur plusieurs fronts a pu s’inscrire dans un contexte plus large. Un article de l’hebdomadaire Stratégies du 19 février 2009 révèle que Vivendi aurait lancé un appel d’offres auprès de divers cabinets d’avocats pour une opération intitulée “Projet Citron”. “Une offensive juridique, médiatique et de lobbying pour laquelle tous les moyens sont bons” réagit alors le porte-parole de France Télécom.
Cette stratégie va porter ses fruits, du moins dans un premier temps. Le 23 février 2009, le tribunal de commerce de Paris donne raison à SFR et Free rendant un jugement qui ébranle la stratégie d’Orange. L’opérateur est condamné à cesser de “subordonner l’abonnement” à ses chaînes payantes à la souscription d’un abonnement internet chez Orange, sous peine d’astreinte financière. Cette décision conduit l’opérateur à deux scénarios : ouvrir l’accès à Orange Foot (et par ricochet Orange Cinéma Séries) à tous les opérateurs qui le souhaiteraient ou suspendre la commercialisation de ses chaînes. Estimant que les contenus ont été acquis dans le cadre d’une stratégie commerciale bien définie, Orange fait appel et suspend la commercialisation d’Orange Foot entre la fin février et le mois de mai 2009.
… mais aussi institutionnelle et réglementaire
Au-delà des tribunaux, Orange se trouve confronté … au gouvernement qui s’en mêle aussi. En octobre 2008, dans le cadre du plan “France numérique 2012”, le secrétaire d’État au numérique Éric Besson, demande la saisine du Conseil de la concurrence. L’objectif étant de déterminer si les offres exclusives d’Orange et leur mode d’accès ne constituent pas une forme déguisée de vente liée avec l’offre d’infrastructure de l’opérateur.
Au même moment, un amendement est adopté dans le projet de loi sur la télévision publique, interdisant de “réserver une offre audiovisuelle aux seuls abonnés à l’accès internet de l’opérateur commercialisant l’offre”. Bien que ne nommant pas explicitement Orange, cet amendement déposé par 19 députés UMP vise clairement sa stratégie d’exclusivité. Il est adopté malgré l’opposition du gouvernement et du rapporteur Christian Kert (alors membre de la majorité présidentielle) soulignant les divisions au sein même de la majorité sur cette question.
Si certains peuvent voir à travers cette action la conséquence d’une action de lobbying, Orange ne restera pas les bras croisés.
En janvier 2009, l’opérateur contre-attaque en portant plainte contre Canal+ devant le Conseil de la concurrence pour “abus de position dominante”. Orange pointe les accords d’exclusivité de Canalsat avec plusieurs chaînes populaires du câble et du satellite, dont celles de TF1 (Eurosport, LCI…) ou celles du groupe Lagardère (Canal J, MCM…). Le PDG du groupe Canal+ Bertrand Méheut riposte dans un entretien au quotidien économique La Tribune, en arguant que les offres du groupe Canal+ sont disponibles sur tous les réseaux et chez tous les opérateurs. Le groupe audiovisuel ne faisant que son métier de distributeur.
Les autorités de régulation ne tardent pas à entrer dans l’arène, complexifiant encore le débat.
L’ARCEP, gendarme des télécoms, se prononce le 1er avril 2009 contre l’exclusivité des chaînes “premium” d’Orange. Dans son avis, le régulateur estime “souhaitable qu’Orange permette aux abonnés des autres fournisseurs d’accès à Internet d’accéder aux chaînes ou contenus à forte valeur ajoutée qu’elle édite”. Le CSA, de son côté, tente une approche plus nuancée. Le 9 avril 2009, il plaide en faveur d’une exclusivité temporaire pour Orange Sport et Orange Cinéma Séries. Le conseil suggère que la durée de cette exclusivité dépende “du nombre d’abonnés aux offres exclusives” et du “périmètre des droits soumis à l’exclusivité”. Cette position médiane tente de concilier les intérêts d’Orange avec les préoccupations concurrentielles du marché.
Saisie de toutes parts, l’Autorité de la concurrence rend un avis le 7 juillet 2009. Elle estime “contestable” le modèle d’exclusivité revendiqué par Orange. Selon l’Autorité, “la double exclusivité (des contenus et d’accès) entraîne une restriction du choix du consommateur, qui ne peut plus avoir accès à tous les contenus attractifs ou est obligé de payer beaucoup plus cher pour avoir un accès universel aux contenus”. L’Autorité préconise de limiter la durée d’exclusivité à un ou deux ans et d’en restreindre le champ aux véritables innovations.
Le débat n’est pas suffisamment complexe. La publication du rapport Hagelsteen le 12 janvier 2010, commandé par le Premier ministre François Fillon et rédigé par Marie-Dominique Hagelsteen, présidente de la section des travaux publics au Conseil d’État, critique sévèrement la stratégie d’Orange dans les contenus. Le rapport juge cette stratégie néfaste pour la concurrence et le développement du très haut débit, allant jusqu’à suggérer qu’elle pourrait constituer “une incitation supplémentaire au téléchargement illégal”. Premier actionnaire d’Orange, l’État renforce la pression sur Orange pour revoir son approche dans le domaine des contenus.
Contre toute attente, Orange remporte une victoire juridique significative le 15 juillet 2010. La Cour de cassation rend un arrêt autorisant l’opérateur à réserver sa chaîne Orange Sport exclusivement à ses abonnés ADSL. Cette décision, confirmant un jugement antérieur de la cour d’appel de Paris en 2009, estime que cette pratique ne constitue pas une “pratique commerciale déloyale”. Les magistrats considèrent même que ces exclusivités stimulent la concurrence plutôt que de lui nuire.
Des négociations tendues avec l’industrie du cinéma
Aux défis juridiques et réglementaires d’Orange s’ajoute un bras de fer avec l’industrie du cinéma. Dès l’annonce du lancement d’Orange Cinéma Séries, les obligations d’investissement dans le cinéma français cristallisent les tensions.
Selon les textes en vigueur, l’obligation d’investissement doit être proportionnelle au chiffre d’affaires. Mais la question de l’assiette de calcul soulève un débat houleux. Orange estime que seul le chiffre d’affaires de la chaîne cinéma doit être pris en compte, arguant que c’est le régime appliqué aux autres diffuseurs spécialisés… prenant en exemple Cinécinéma (appartenant à Canal+). L’opérateur propose d’investir 22% de ce chiffre d’affaires dans des oeuvres françaises, avec un minimum garanti de 1,74 euro par abonné.
Cependant, les organisations professionnelles du cinéma et le Centre National du Cinéma (CNC) demandent que les obligations d’Orange soient calculées sur l’ensemble de son chiffre d’affaires lié aux offres triple-play. Leur argument est que deux taxes existantes (la TVA réduite sur l’activité TV des FAI et la contribution des FAI à l’industrie des programmes) sont déjà assises sur cette assiette plus large.
C’est notamment la position défendue par la ministre de la Culture de l’époque, Christine Albanel : “Asseoir les obligations sur le seul chiffre d’affaires serait un peu restrictif. Il faut qu’on réfléchisse à l’assiette. À titre d’exemple, je rappelle que les FAI bénéficient d’un taux de TVA réduit sur la moitié du chiffre d’affaires des abonnements ‘triple play'”.
Orange rétorque qu’il n’y a aucune base légale pour taxer tous les clients de la télévision sur ADSL, demandant : “Pourquoi prendre en compte des clients qui ne regardent pas nos chaînes de cinéma ?”
Ces négociations tendues se poursuivent pendant des mois, retardant la signature d’un accord entre Orange et les organisations professionnelles du cinéma, accord nécessaire pour que le CSA délivre les conventions permettant le lancement officiel d’OCS.
Des obligations en matière d’investissements fixées par le CSA
Il faut attendre le 7 novembre 2008, quelques jours avant le lancement des chaînes cinéma pour qu’Orange signe sa convention avec le CSA. Face à l’absence d’accord entre Orange et les organisations professionnelles du cinéma, le Conseil utilise son pouvoir réglementaire pour fixer lui-même les obligations d’Orange en matière d’investissements.
Le CSA établit des “minimums garantis” pour l’acquisition de droits de diffusion d’œuvres cinématographiques d’expression originale française et européenne. Ces minimums, habituellement fixés plusieurs années après la création d’une chaîne, sont ici imposés d’emblée. Ils doivent augmenter progressivement pour atteindre 3,12 euros par mois et par abonné pour les œuvres européennes, et 2,64 euros pour les œuvres d’expression originale française, dès que le nombre d’abonnés s’élèvera à 3 millions.
En mai 2009, Orange tente de conclure un accord lors du Festival de Cannes, mais échoue de peu. Les discussions achoppent notamment sur la question de la “catch-up TV” (télévision de rattrapage). Orange considère ce service comme un élément constitutif de son offre et non comme un service additionnel, ce qui a des implications sur les droits et les rémunérations. À ce stade des discussions, Orange consentait à investir dans le cinéma français 75 millions d’euros librement étalés sur trois ans, cette somme couvrant à la fois les films frais et les films de catalogue. De leur côté, les producteurs de l’UPF (Union des Producteurs de Films) réclament 120 millions d’euros sur trois ans, à raison d’un engagement ferme de 40 millions d’euros par an.
Le bras de fer se poursuit tout au long de l’année 2009. Le 4 novembre, une date butoir est fixée pour les négociations entre Orange et le cinéma français. L’opérateur envoie sa dernière proposition aux organisations professionnelles, leur demandant une réponse avant le soir même. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) a fixé une date limite à fin novembre pour la conclusion d’un accord.
Finalement, le 10 novembre 2009, après plus d’un an et demi de négociations ardues, Orange parvient à signer un accord avec trois organisations professionnelles majeures du cinéma français : le Bureau de liaison des industries cinématographiques (BLIC), le Bureau de liaison des organisations du cinéma (BLOC) et la société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs (ARP). Cette signature se fait en présence du ministre de la Culture de l’époque, Frédéric Mitterrand, qui “félicite les signataires”.
Cependant, il est à noter que deux organisations importantes refusent de signer cet accord : l’Union des Producteurs de Films (UPF) et la Société des Réalisateurs de Films (SRF). Ces organisations considèrent que l’accord ne va pas assez loin dans les engagements d’Orange envers le cinéma français. Malgré tout, ce compromis, bien qu’imparfait aux yeux de certains, permet à Orange de stabiliser sa position et de clarifier ses obligations envers l’industrie du cinéma.
Nouveau patron pour une nouvelle stratégie
Orange change de cap. Le 18 juin 2010, l’opérateur historique abandonne sa stratégie d’exclusivité des contenus. Lors d’un colloque, Stéphane Richard, nouveau directeur général de France Télécom et successeur désigné de Didier Lombard, annonce : “Le modèle basé sur l’exclusivité n’a pas d’avenir. On ne peut pas défendre un modèle propriétaire en matière de contenus, et parallèlement prôner l’ouverture et l’interopérabilité”.
Cette décision marque un tournant dans la stratégie d’Orange, qui privilégie désormais les partenariats. Stéphane Richard entame des discussions avec Bertrand Méheut de Canal+ et Rupert Murdoch, laissant entrevoir la possibilité d’alliances stratégiques.
Des premières rumeurs apparaissent faisant état d’un potentiel accord entre Canal+ et Orange pour la fusion des chaînes TPS Star et Orange Cinémax. Cette perspective d’un rapprochement entre les deux concurrents suscite rapidement l’inquiétude dans l’industrie cinéma français. Les professionnels du secteur redoutent un scénario à double tranchant : un acheteur unique pour leurs films et la disparition potentielle des 80 millions d’euros sur trois ans, une enveloppe durement négociée avec Orange quelques mois auparavant.
D’autant plus que ce projet de fusion aurait pu échapper au contrôle de l’Autorité de la concurrence. Un rachat n’est soumis à l’autorité que si le chiffre d’affaires de la société rachetée dépasse 50 millions d’euros lors de l’exercice précédent l’opération. Or, en 2009, le chiffre d’affaires d’Orange Cinéma Séries était nettement inférieur à ce seuil, tandis qu’il le dépasserait légèrement en 2010. Cette situation crée une fenêtre d’opportunité étroite pour Orange et Canal+. Pour échapper à l’examen de l’Autorité de la concurrence, l’accord doit être conclu avant la fin de l’année 2010, permettant ainsi de prendre en compte le chiffre d’affaires de 2009. De plus, pour éviter tout examen supplémentaire, Orange doit se positionner comme un actionnaire dormant, n’ayant son mot à dire que sur les évolutions du capital.
Malgré ces contraintes, les négociations avancent rapidement. En août, une lettre d’intention est signée entre les deux groupes, ouvrant une période de négociations exclusives. Cette avancée n’empêche pas d’autres acteurs de manifester leur intérêt pour les chaînes cinéma d’Orange, notamment le groupe AB et le fonds d’investissement suédois Parsival, ancien propriétaire de Canal+ Nordic.
Le 19 janvier 2011, Canal+ et France Télécom dévoilent officiellement leur accord lors d’un point presse. Stéphane Richard et Bertrand Méheut annoncent un rapprochement entre Orange Cinémax, la chaîne phare du bouquet OCS, et TPS Star de Canal+, au sein d’une filiale commune. Cependant, le chiffre d’affaires considéré étant désormais celui de 2010, l’opération doit être soumise aux autorités de la concurrence.
Face aux risques d’un contrôle conjoint mal perçu par les autorités, France Télécom et Canal+ révisent leur stratégie. Quelques mois plus tard, ils annoncent un partenariat capitalistique différent : Canal+ entre au capital d’Orange Cinéma Séries à hauteur de 33,33%, France Télécom conservant 66,66%. Cette structure permet à France Télécom de garder le contrôle stratégique avec quatre sièges au conseil d’administration contre deux pour Canal+.
Cette alliance marque la réconciliation entre le premier opérateur télécom et le leader de la télévision payante en France. “D’un côté, Orange disposait de petites chaînes mais d’une énorme force de distribution en tant qu’opérateur télécom. Canal+ était forcé de pacifier ses relations avec Orange à un moment ou à un autre” analyse Manuel Alduy. Et d’ajouter : “Du côté d’Orange, je pense qu’ils ont compris qu’ils perdraient encore de l’argent pendant encore longtemps”. France Télécom voit également l’intérêt d’élargir la distribution de son bouquet OCS, jusqu’alors réservé à ses abonnés, aux clients de Canalsat, tout en percevant une rémunération pour sa distribution. De plus, l’abandon de l’exclusivité ouvre la possibilité de distribution par d’autres opérateurs télécoms.
Un détail de l’accord suscite néanmoins l’attention. Selon Le Figaro, Canal+ aurait négocié un plafonnement du coût de la grille d’OCS à 65 millions d’euros, contre 120 millions auparavant. Cette clause pourrait être perçue comme une tentative de brider la concurrence d’OCS envers Canal+. Un point qui ne manquera pas d’intéresser les autorités de régulation.
Le 5 avril 2012, l’accord se concrétise : les chaînes Orange Cinéma Séries font leur entrée sur le bouquet Canalsat. Dans les semaines qui suivent, elles seront également accessibles chez les autres opérateurs télécom. Cette distribution élargie marque la fin effective de l’exclusivité d’Orange sur ses propres contenus.
Mais le passé refait surface
Le 1er mai 2012, le CSA vient perturber cet équilibre précaire. Dans le cadre du réexamen de la fusion TPS-Canalsat, le régulateur impose de nouvelles conditions au groupe Canal+. Concernant OCS, l’autorité audiovisuelle met Canal+ face à un dilemme : soit un “divorce” avec Orange, soit la fin de l’exclusivité sur la distribution des chaînes d’OCS. Le Conseil va plus loin, préconisant la suppression de certaines clauses de l’accord, notamment le plafonnement controversé du budget de programmes d’OCS.
Le 23 juillet 2012, le couperet tombe sur ce partenariat à peine né. L’Autorité de la concurrence, réexaminant la fusion CanalSat/TPS, rend un verdict sans appel : Canal+ doit se désengager d’OCS. Cette décision, dans le sillage de l’annulation de la fusion TPS-Canalsat en septembre 2011, vise à préserver la concurrence sur le marché de la télévision payante. Bruno Lasserre, président de l’Autorité, révèle que Stéphane Richard, PDG d’Orange, ne s’opposerait pas à cette mesure. Toutefois, la structure juridique d’OCS pourrait permettre à Orange de bloquer l’arrivée de tout nouvel actionnaire. Anticipant cette éventualité, l’Autorité a prévu une alternative : si Orange refuse un nouveau partenaire, Canal+ se verrait privé de toute influence sur OCS.
Du côté de l’opérateur historique, on n’a aucune envie de se séparer de Canal+. Serge Laroye, directeur des contenus d’Orange, déclare aux Echos : “J’ai dit à Canal+ : on a mis dix-huit mois à faire cet accord, donc on souhaiterait que vous restiez”. Face à cette réticence, l’Autorité de la concurrence met en œuvre son plan alternatif le 4 décembre 2012.
L’Autorité de la concurrence prend une décision ferme : Canal+ devient un actionnaire dormant de OCS. Les mesures sont concrètes et immédiates. Les deux administrateurs de Canal+ au conseil d’OCS sont remplacés par des indépendants. Le plafond budgétaire imposé par Canal+ sur les achats de programmes d’OCS est supprimé. Enfin, Canal+ perd tout accès aux informations stratégiques de la société.
La décision de l’Autorité de la concurrence place Orange dans une position inconfortable. Le régulateur semble vouloir contraindre l’opérateur à redevenir un concurrent sérieux de Canal+ dans le secteur du cinéma, une orientation qui va à l’encontre de la stratégie de Stéphane Richard. Une question cruciale se pose : est-il réellement possible de forcer Orange à affronter Canal+ ? L’aventure d’Orange dans le sport et le cinéma lui aurait déjà coûté “un petit milliard d’euros”, selon les estimations, et Stéphane Richard paraît réticent à relancer une telle offensive.
La stratégie stand-alone
OCS va entamer une nouvelle ère en tant qu’entité indépendante. Le 22 septembre 2012, Orange Cinéma Séries se rebaptise simplement OCS, gommant la marque “Orange” et marquant ainsi sa volonté de se forger une identité propre.
Dès le 8 avril 2013, OCS franchit le cap symbolique du million d’abonnés. La même année, le bouquet consolide son offre en renouvelant son accord avec HBO et en enrichissant son catalogue de streaming avec les saisons antérieures des séries phares de la chaîne américaine.
Le bouquet entreprend une refonte complète de son offre. La plateforme “OCS Go” voit le jour, tandis que les chaînes OCS Happy et OCS Novo sont supprimées. Parallèlement, OCS City est créée, une chaîne entièrement dédiée aux programmes HBO. Le bouquet se lance également dans la production originale avec le label OCS Signature, donnant naissance à des séries comme “Q.I”, “Lazy Company”, “In America” et “Irresponsable”.
Cette stratégie audacieuse paie : en avril 2014, OCS double sa base d’abonnés, franchissant la barre des 2 millions. Le bouquet poursuit sur sa lancée en multipliant les accords stratégiques. En mars 2015, un partenariat pluriannuel est conclu avec Sony Pictures Television, assurant la diffusion en première exclusivité de ses nouveaux films et l’acquisition de nombreuses séries. En 2017, le bouquet obtient l’exclusivité du catalogue HBO jusqu’en 2022, mettant fin aux deuxièmes fenêtres de diffusion sur les chaînes concurrentes. Dans la foulée, un accord exclusif pluriannuel est signé avec UGC Images pour les films du distributeur en première exclusivité.
En janvier 2019, le bouquet lance le label OCS Originals, dédié à des créations plus ambitieuses et mieux dotées financièrement. Cette montée en gamme se concrétise avec des séries comme “Le Nom de la rose”, “Devils” et “Sentinelles”. Simultanément, OCS Signature étend son périmètre en se lançant dans la production de films originaux. “L’Invitation”, “Deep Fear” et “Pilote” viennent ainsi enrichir le catalogue du bouquet.
À l’aube de la nouvelle décennie, OCS fait face à un défi de taille. Fin 2020, WarnerMedia, maison-mère de HBO, annonce son intention de lancer sa propre offre en France, menaçant de priver OCS de ses programmes phares. Cette nouvelle donne pousse Orange à envisager la vente du bouquet, incluant Orange Studio dans le périmètre de cession pour attirer les acquéreurs potentiels.
L’annonce suscite l’intérêt de plusieurs poids lourds du secteur : Canal+, Warner Bros. Discovery, Sky et Mediawan. Mais la prudence l’emporte, la plupart hésitant à formuler une offre ferme. En cause, l’incertitude planant sur le renouvellement du contrat de distribution avec Canal+, actionnaire minoritaire qui représente près des trois quarts des abonnés OCS.
Le 1er janvier 2023 marque un tournant critique : OCS perd l’intégralité des productions HBO de plus de deux ans. Le bouquet réagit en fusionnant OCS City et OCS Choc pour créer OCS Pulp.
Le dénouement survient le 9 janvier 2023. Canal+ annonce la signature d’un protocole d’accord avec Orange pour acquérir ses parts dans OCS et Orange Studio. L’Autorité de la concurrence valide l’opération un an plus tard, sous conditions, mettant fin à l’indépendance d’OCS.
L’accord prévoit qu’Orange éponge les pertes futures d’OCS via des minimums garantis versés à Canal+ sur trois à quatre ans. Une disposition nécessaire, OCS ayant accumulé plus de 600-700 millions d’euros de pertes depuis sa création en 2008.
Canal+ dévoile alors son projet : fusionner à terme OCS avec Ciné+, consolidant ainsi son offre de films et séries. Le 3 juillet 2024, cette fusion devient réalité. Les chaînes OCS sont absorbées par Ciné+ au sein d’un nouveau bouquet intitulée “Ciné+ OCS”.
Pour Orange, c’est le rideau qui tombe sur une aventure aussi ambitieuse que coûteuse dans l’univers des contenus. OCS aura marqué le paysage audiovisuel français par son originalité et la qualité de ses programmes, en dépit d’un parcours semé d’embûches. De “Game of Thrones” à ses nombreuses productions originales, OCS a su conquérir le cœur de nombreux cinéphiles et sériephiles. Vous étiez fans ? Nous aussi.