Août 1986 : quand le gouvernement annule les concessions de La Cinq et TV6


Le 24 juillet 2024, l’ARCOM choisit d’écarter les chaînes C8 (groupe Canal+) et NRJ12 (Groupe NRJ) de la TNT.
Ce n’est pas une première, le paysage audiovisuel français a connu un bouleversement semblable en 1986-1987 avec la remise en cause et la réattribution des concessions de La Cinq et TV6. Cet épisode, marqué par des enjeux politiques et économiques considérables, a profondément redessiné le secteur de la télévision en France.

En novembre 1985, le gouvernement socialiste de Laurent Fabius, dans les derniers mois de son mandat, accorde des concessions à deux nouvelles chaînes privées : La Cinq et TV6. La Cinq, attribuée à un consortium intitulée “France Cinq” mené par Jérôme Seydoux et Silvio Berlusconi, se veut être une chaîne généraliste grand public. TV6, quant à elle, est conçue comme une chaîne musicale ciblant un public jeune, avec Publicis, NRJ ou encore Gaumont comme principaux actionnaires.

Cette décision s’inscrit dans une volonté de diversifier l’offre télévisuelle et d’ouvrir le secteur à la concurrence privée. Cependant, le processus d’attribution est rapidement critiqué pour sa précipitation et son manque de transparence. Les opposants politiques, notamment de droite, dénoncent un “passage en force” du gouvernement socialiste à l’approche des élections législatives de mars 1986.

L’annulation des concessions : un acte politique controversé


Le 16 mars 1986, la droite remporte les élections législatives. Jacques Chirac devient Premier ministre dans le cadre de la première cohabitation de la Ve République. Le nouveau gouvernement affiche rapidement sa volonté de remettre à plat le paysage audiovisuel français.

Le 30 juillet 1986, moins de cinq mois après son arrivée au pouvoir, le gouvernement Chirac prend une décision radicale : annuler les concessions accordées à La Cinq et TV6. Cette décision est officialisée par deux décrets publiés au Journal officiel le 2 août 1986.

Les raisons invoquées par le gouvernement sont multiples. Tout d’abord, le gouvernement conteste la légalité du processus d’attribution initial. Il argue que l’attribution des concessions en novembre 1985 s’est fait dans la précipitation, sans réelle mise en concurrence et de manière opaque.

Également, une expression va souvent revenir dans le cadre de la réforme de l’audiovisuel : la volonté de promouvoir un “mieux-disant culturel”. François Léotard, ministre de la Culture et de la Communication, insiste sur la nécessité de revoir les cahiers des charges des chaînes privées pour garantir une meilleure qualité des programmes et un soutien plus important à la création audiovisuelle française. Une allusion à peine voilée aux programmes de « La Cinq », alors majoritairement composés de programmes américains.

Les décrets d’annulation fixent la fin des concessions au terme du « troisième mois suivant la date d’installation de la nouvelle autorité qui aura compétence pour délivrer les autorisations d’usage des fréquences ». Cette formulation, qui fait référence à une instance régulatrice non encore créée, sera plus tard source de contestations juridiques.

La réaction des chaînes et les recours juridiques


L’annulation des concessions provoque un véritable séisme dans le secteur audiovisuel. Les propriétaires de La Cinq et TV6, qui ont investi des sommes considérables dans le lancement de leurs projets, contestent immédiatement cette décision.

Très rapidement après l’annulation des concessions, TV6 (le 12 août) et La Cinq (le 2 octobre) déposent des recours devant le Conseil d’État. Leur argumentation repose sur plusieurs points :

  • L’illégalité de la procédure d’annulation, qui se base sur une loi non encore votée.
  • Le non-respect des clauses de résiliation prévues dans les contrats de concession.
  • Le préjudice économique considérable causé par cette décision.

Parallèlement à ces recours, les deux chaînes adoptent des stratégies différentes.

La Cinq, confrontée à l’incertitude, a pris des mesures drastiques. En septembre 1986, les responsables de la chaîne ont décidé d’interrompre la diffusion de toutes les grandes émissions et feuilletons de prestige qu’ils avaient acquis. Cette décision, entrée en vigueur le 26 septembre, était principalement motivée par la dégradation des rentrées publicitaires, elle-même provoquée par le déplafonnement des tarifs publicitaires des chaînes concurrentes. Des séries coûteuses comme « Pierre le Grand » ou « Racines 2 » ont ainsi été mises de côté, de même que les grandes retransmissions sportives dont La Cinq avait acquis l’exclusivité. Carlo Freccero, directeur des programmes, a déclaré : « Nous renonçons désormais, en raison des circonstances actuelles, à être des producteurs d’émissions pour ne plus être que des diffuseurs.”

TV6, en revanche, a adopté une stratégie plus offensive et décide de renforcer ses programmes. Le 14 octobre 1986, le conseil d’administration de la chaîne a voté à l’unanimité pour enrichir la grille de programmes, sortant du cadre strictement musical. Tout en conservant son profil thématique, TV6 a intégré des films, des feuilletons, des magazines et des séries, cherchant à se positionner comme une télévision « distractive » et « pour les jeunes » plutôt que purement « musicale ». Cette décision visait à augmenter l’audience de la chaîne et à renforcer sa position dans la perspective des arbitrages sur l’avenir de son réseau.

Pendant ce temps, le gouvernement Chirac poursuit son projet de refonte du paysage audiovisuel français. Le 30 septembre 1986, un projet de loi sur la liberté de communication est présenté au Parlement. Ce texte prévoit notamment la création d’une nouvelle instance de régulation, la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL), destinée à remplacer la Haute Autorité.

Les débats parlementaires sur cette nouvelle loi sont intenses et polarisés. L’opposition socialiste dénonce ce qu’elle qualifie de « loi de revanche », accusant le gouvernement de vouloir reprendre le contrôle du paysage audiovisuel à des fins politiques. La majorité, quant à elle, défend la nécessité d’une réforme en profondeur du secteur “pour garantir le pluralisme et la qualité des programmes”.

Après plusieurs mois de débats et de navettes parlementaires, la loi sur la liberté de communication est finalement promulguée le 30 septembre 1986. Cette loi confirme la création de la CNCL et pose le cadre juridique pour la réattribution des fréquences de La Cinq et TV6.

L’émergence des nouveaux prétendants


Très vite, de nouveaux acteurs commencent à se positionner pour reprendre les fréquences de La Cinq et TV6. Des projets variés et des alliances parfois inattendues émergent…

La Lyonnaise des Eaux et son projet de chaîne régionale


Dès la fin août 1986, la filiale de la Lyonnaise des Eaux, Lyonnaise Communications, sous la direction de Nicolas de Tavernost, commence à esquisser ses ambitions dans le domaine audiovisuel. Le groupe, déjà impliqué dans le développement des réseaux câblés dans plusieurs villes françaises, envisage la création d’un réseau de chaînes régionales.

L’idée de la Lyonnaise est de créer une synergie entre une programmation nationale et des décrochages locaux. Ce concept s’inspire en partie du modèle américain des « networks », où des stations locales s’affilient à un réseau national. Le projet vise à répondre à un besoin de télévision de proximité, tout en bénéficiant des économies d’échelle d’un réseau national.

Parallèlement, d’autres acteurs s’intéressent à la question des télévisions régionales. Le 5 novembre 1986, lors d’une audition devant le Conseil national des collectivités territoriales pour l’audiovisuel (CNCTA), Robert Hersant révèle que son projet pour La Cinq comporte une dimension régionale. Il envisage des décrochages locaux, « techniquement faciles et peu coûteux », grâce à l’utilisation du satellite Télécom-1 pour diffuser la chaîne.

Le projet d’Hersant prévoit de lancer un appel aux collectivités locales ou régionales, aux journaux et aux associations souhaitant lancer une télévision locale, pour qu’ils se joignent au projet de La Cinq. Ces fenêtres locales seraient ouvertes en dehors des heures de grande écoute, laissant aux stations locales une pleine responsabilité éditoriale.

Le débat s’intensifie lorsque le Premier ministre Jacques Chirac déclare qu' »il n’existe pas un assez grand nombre de fréquences pour faire des télévisions régionales sans utiliser le réseau actuellement affecté à TV6″. Cette déclaration soulève des inquiétudes chez les défenseurs d’une chaîne musicale nationale, mais ouvre des perspectives pour les projets de télévisions locales.

La question technique des fréquences devient centrale dans ce débat. Les partisans des télévisions régionales arguent que le réseau de TV6, qui ne couvre qu’une partie du territoire national, serait plus efficacement utilisé pour des émissions locales. Les opposants, quant à eux, soulignent l’importance d’une chaîne musicale nationale pour la promotion de la culture et de l’industrie musicale françaises.

Le projet Métropole TV, porté par la Lyonnaise des Eaux et qui deviendra plus tard un candidat sérieux pour la reprise de TV6, intègre cette dimension régionale. Il prévoit des décrochages locaux à des heures réputées intéressantes pour les annonceurs (12h-14h et 19h-20h30), avec des projets avancés dans neuf villes, dont Lyon, Nantes, Lille, Bordeaux, et Grenoble.
Par ailleurs, il est intéressant de souligner que la Lyonnaise lancera sa première (et seule) chaîne locale en décembre 1986 : Paris Première.

Ce débat sur les télévisions régionales soulève également des questions sur la viabilité économique de tels projets. Les critiques soulignent que peu de stations locales auraient les moyens de financer plusieurs heures quotidiennes de programme. Les défenseurs, comme Hersant, argumentent que l’association avec un réseau national fournirait l’infrastructure et le savoir-faire technique nécessaires, permettant aux stations locales de se concentrer sur la production de contenus de proximité.

“Tous sur la Cinq, cinq you la cinq” !


Pendant que l’avenir du réseau national de TV6 se pose, celui de la Cinq est quand à lui, plus assuré…

Jimmy Goldsmith, propriétaire du groupe L’Express, manifeste rapidement son intérêt pour la reprise de La Cinq. Son projet, annoncé dès l’automne 1986, vise à créer un groupe multimédias européen avec pour base une chaîne de télévision nationale française.

Il propose une chaîne généraliste avec un accent particulier sur l’information et la culture et prévoit notamment des émissions culturelles en prime-time et un soutien marqué à la création cinématographique française.

La Compagnie Luxembourgeoise de Télédiffusion (CLT), maison mère de RTL, se positionne également comme un candidat sérieux pour la reprise de La Cinq. Forte de son expérience dans la télévision commerciale européenne, la CLT voit dans cette opportunité un moyen de renforcer sa présence sur le marché français.

La CLT s’allie initialement avec Havas et d’autres partenaires pour présenter un projet de chaîne généraliste, capitalisant sur son savoir-faire en matière de programmation et sa capacité à produire des contenus originaux.

Au fil des semaines, on assiste à un véritable jeu de chaises musicales entre les différents candidats à la reprise de La Cinq et de la sixième chaîne. Des groupes initialement intéressés par l’un des réseaux se tournent vers l’autre, et inversement. Cette situation incertaine est en partie due aux questions juridiques en suspens et aux manœuvres politiques en coulisses.

Robert Hersant, qui s’était d’abord porté candidat pour le rachat de TF1 lors de sa privatisation, décide finalement de se positionner sur La Cinq en décembre 1986. Cette réorientation est notamment motivée par des raisons financières, le prix de TF1 se révélant plus élevé qu’anticipé.

Les alliances et contre-alliances


Le processus de réattribution des fréquences de La Cinq et TV6 est marqué par une série d’alliances et de contre-alliances parfois surprenantes entre les différents acteurs.

L’alliance Lyonnaise des Eaux/CLT


Cette alliance, qui se concrétise début février 1987, marque un tournant majeur dans la course à la reprise de la sixième chaîne. Elle résulte d’une série de négociations intenses et de repositionnements stratégiques des deux acteurs.

La CLT, initialement candidate à la reprise de La Cinq, se trouve dans une position difficile fin 1986. Ses chances d’obtenir La Cinq s’amenuisent face à la concurrence, notamment celle du duo Hersant-Berlusconi qui bénéficie d’un soutien politique important. Dans ce contexte, la CLT commence à envisager une réorientation de sa stratégie vers le sixième réseau.

De son côté, la Lyonnaise des Eaux, qui avait dès août 1986 évoqué son intérêt pour une chaîne à vocation régionale, cherche un partenaire solide pour renforcer sa candidature. L’expertise de la CLT dans le domaine de la télévision commerciale et son important catalogue de programmes apparaissent comme des atouts considérables.

Le 4 février 1987, les conseils d’administration respectifs de la CLT et de la Lyonnaise des Eaux donnent leur accord pour une candidature commune à la reprise de la sixième chaîne. Les deux partenaires s’engagent à détenir chacun 25% du capital de la future société exploitante, soit un total de 50% pour le noyau dur de l’actionnariat.

Le projet Métropole TV, fruit de l’alliance entre la Lyonnaise des Eaux et la CLT, se présente comme un compromis entre les attentes de la CNCL et les ambitions des deux partenaires. La future chaîne promet de consacrer une part significative de sa programmation à la musique, avec un objectif initial de 30% du temps d’antenne dédié à ce contenu, et une perspective de croissance graduelle jusqu’à 35-40%.

Métropole TV compte également honorer la vision originelle de la Lyonnaise des Eaux en proposant des décrochages régionaux ciblés sur des créneaux horaires stratégiques, notamment le midi et en début de soirée. Au-delà de cette orientation musicale et régionale, le projet se veut généraliste, avec une grille variée mêlant séries, cinéma, information et divertissement, dans le but de capter un public large et diversifié.

Enfin, pour répondre aux exigences du régulateur en matière de soutien à la création audiovisuelle nationale, Métropole TV s’engage à investir de manière conséquente dans la production française. Un équilibre subtil entre les demandes de la CNCL et les objectifs des repreneurs, qui cherchent à faire de la sixième chaîne un acteur majeur du paysage télévisuel hexagonal.

Dans les jours qui suivent l’annonce de l’alliance, d’autres partenaires sont approchés pour compléter l’actionnariat. Le groupe de presse Amaury (Le Parisien Libéré, L’Équipe) prend une participation de 10%. Des discussions sont également engagées avec d’autres acteurs comme Ouest-France et Sud-Ouest, qui donnent leur accord de principe pour rejoindre le projet.

TV6 se retrouve dans une position délicate. Le 14 janvier 1987, le conseil d’administration de la chaîne avait mandaté son PDG, Maurice Lévy, pour poursuivre les négociations avec Métropole TV. Cependant, l’alliance Lyonnaise-CLT rend ces négociations caduques.

Face à cette nouvelle donne, TV6 décide de maintenir sa candidature en tant qu’opérateur historique. Le 10 février 1987, Maurice Lévy annonce officiellement que TV6 dépose un dossier de candidature pour sa propre succession. Il met en avant l’expérience acquise, la fidélité du public et l’importance de la chaîne pour l’industrie musicale française.

“La plus jeune des télés” tente également de faire valoir une clause de son contrat de concession initial qui lui donnerait un « droit de préférence » en cas de résiliation. Cependant, la validité juridique de cette clause dans le nouveau contexte réglementaire reste incertaine.

L'alliance inattendue Hersant/Berlusconi


L’une des alliances les plus surprenantes dans la course à la reprise des chaînes privées est celle formée entre Robert Hersant et Silvio Berlusconi pour La Cinq. Cette association, annoncée en janvier 1987, réunit deux figures aux orientations politiques a priori opposées : Hersant, proche de la droite française et soutenu par le gouvernement Chirac, et Berlusconi, qui avait bénéficié du soutien des socialistes pour le lancement initial de La Cinq en 1986. Cette alliance stratégique permet à Hersant d’apporter son expertise dans le domaine de l’information et ses relations politiques, tandis que Berlusconi apporte son savoir-faire en matière de programmation télévisuelle et son catalogue de programmes.

Le montage accorde 25% du capital à chacun des deux partenaires, avec Hersant à la présidence et la responsabilité des programmes d’information, et Berlusconi comme vice-président directeur général en charge de la programmation. Qualifiée de « mariage du feu et de l’eau » par les observateurs, cette alliance soulève des interrogations sur la capacité des deux hommes à partager le pouvoir, d’autant plus que leurs visions de la chaîne semblent diverger : propriétaire de nombreux journaux, Hersant souhaite développer rapidement l’information, tandis que Berlusconi mise sur la continuité des programmes de divertissement, notamment à travers son vaste catalogue.

Des enjeux politiques ... très présents


Le processus de réattribution des fréquences est profondément marqué par des enjeux politiques qui soulèvent des questions sur l’indépendance et la transparence de la procédure.

Dès le début, le processus de réattribution est critiqué pour sa précipitation. Le calendrier serré imposé par le gouvernement – moins de trois semaines entre l’appel d’offres et la décision finale – soulève des interrogations quant à la possibilité d’un examen véritablement approfondi des dossiers.

De plus, le manque de transparence dans la procédure est régulièrement dénoncé. Les critères de sélection et le poids relatif accordé à chacun d’eux ne sont pas clairement établis, ce qui alimente les soupçons de décisions prises sur des bases politiques plutôt que sur des critères objectifs.

Une éventuelle attribution de la Six à Métropole TV, projet porté par la Lyonnaise des Eaux et la CLT, suscite des interrogations quant à de possibles interférences politiques dans le processus de sélection.

En premier lieu, les connexions étroites entre la Lyonnaise des Eaux et les sphères du pouvoir ne manquent pas d’interpeller. Jérôme Monod, PDG du groupe, est en effet un ancien haut responsable du RPR et un proche du Premier ministre Jacques Chirac. Cette proximité jette le doute sur la neutralité de la procédure.

Également, le soutien apparent dont bénéficie la CLT intrigue. Après deux échecs successifs dans ses tentatives de pénétrer le marché audiovisuel français (la chaîne satellitaire TDF1 et le rachat de La Cinq), le groupe luxembourgeois semble cette fois tirer profit d’un appui gouvernemental. D’aucuns y perçoivent la volonté d’éviter une crise diplomatique avec le Grand-Duché.

Enfin, le rôle de la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL) est lui aussi questionné. Cette instance de régulation indépendante, créée de fraîche date, va peiner à convaincre de sa capacité à s’extraire des pressions politiques pour fonder son jugement sur les seuls mérites des dossiers en lice.

Ces zones d’ombre rejaillissent sur l’ensemble de la procédure d’attribution des chaînes privées. Alors que la CNCL avait pour mission de dépolitiser l’octroi des fréquences, sa première décision d’envergure va se trouver entacher par le soupçon d’une collusion entre pouvoir politique et intérêts industriels.

L'heure des auditions


L’heure de vérité approche. Les 18 et 19 février 1987, les candidats sont auditionnés par la CNCL lors de séances publiques.

Pour le cinquième réseau, Robert Hersant présent un dossier minutieusement préparé. Le magnat de la presse a effectué plusieurs séances de préparation avec l’homme d’affaires italien Silvio Berlusconi. Hersant annonce un investissement d’un milliard de francs pour ce projet, affirmant son ambition de créer “la meilleure télévision”. Succédant au propriétaire du Figaro, Jimmy Goldsmith et le directeur de son projet, Henri de Turenne, accomplit leur devoir de candidat, sans chances. À l’évidence, l’attribution de La Cinq est déjà orientée en faveur du tandem Hersant/Berlusconi.

Pour la Six, le choix se révèlera être plus complexe. Métropole TV, par la voix de Jean Drucker, y détaille son concept de « chaîne complète », ciblant un large public tout en réservant une place de choix à la musique. Il met en avant la solidité de son tour de table et sa capacité à démarrer rapidement les émissions.

Maurice Lévy, pour TV6, joue la carte de la continuité. Fort de l’expérience acquise et de la fidélité du jeune public, il souligne le rôle essentiel de la chaîne pour la promotion et la diffusion de la création musicale hexagonale.

Quant aux représentants d’un troisième projet, TFM (notamment porté par UGC et des maisons de disques), ils se font les avocats d’une télévision dédiée corps et âme à la musique et à la fiction. Une prestation jugée “médiocre” et peu convaincante.

Entre les dossiers de Maurice Lévy et Jean Drucker, la CNCL est divisée.

Et Matignon s'en mêle


À mesure que l’échéance de la décision de la CNCL approche, la température monte en coulisses. Les pressions se font plus insistantes, émanant de divers horizons.

Conscient des réserves suscitées par la place jugée insuffisante de la musique dans son projet initial, Métropole TV tente un ultime rééquilibrage à la veille de la décision de la CNCL. Jean Drucker, PDG de la chaîne, adresse dans le cours du week-end précédant l’attribution des concessions un courrier au président de la commission, Gabriel de Broglie. Il y prend l’engagement d’accroître significativement la part des programmes musicaux, pour atteindre jusqu’à 40% du temps d’antenne. Un ajustement de dernière minute sur lequel, n’étant pas informés, les autres prétendants n’ont pas pu surenchérir.

De plus, des rumeurs persistantes vont faire état d’interventions directes de proches du Premier ministre Jacques Chirac pour favoriser le projet Métropole TV. Le matin du 23 février 1986, lors d’une consultation informelle, les membres de la CNCL décident, par sept voix contre cinq (et une abstention de Gabriel de Broglie), que les auditions du jeudi 19 sont suffisantes et qu’il n’est pas nécessaire de réentendre les candidats.

S’ensuit une discussion où chacun exprime sa préférence, permettant ainsi de dégager des tendances. La majorité des sages se prononcent en faveur de la chaîne de Publicis. Gabriel de Broglie, quant à lui, souligne l’absence de chaînes hertziennes thématiques dans le monde et affirme que ces télévisions ont vocation à être cryptées. Il évoque également l' »enjeu international » que représente cette sixième chaîne au regard des relations diplomatiques avec le Luxembourg, suggérant qu’il serait politiquement périlleux d’écarter la CLT et, par conséquent, Métropole TV. À l’issue de la discussion, on compte sept avis favorables à TV6, quatre pour Métropole Télévision et deux pour TFM. Malgré l’insistance de certains sages pour procéder au vote avant le déjeuner, Gabriel de Broglie, désireux de gagner du temps, parvient à reporter le vote à l’après-midi.

La séance reprend le jour-même, à 16h30 et, après un vote sur l’attribution, la donne a changé : quatre voix pour TV6, sept pour Métropole TV et toujours deux pour TFM. Il semblerait que pendant l’heure du déjeuner, plusieurs membres de la CNCL aient reçu des appels personnels de leurs correspondants à Matignon. Le Premier ministre Jacques Chirac, informé heure par heure, redoute un clash diplomatique avec le Luxembourg et la Lyonnaise des Eaux, dont le patron Jérôme Monod est un ami personnel.

C’est dans ce climat tendu que la CNCL rend son verdict le 24 février 1987. Officiellement, la commission met en avant la solidité financière du dossier, l’expérience audiovisuelle des partenaires et leurs engagements en matière de programmation, notamment consacrer 40% du temps d’antenne à la musique et développer des décrochages régionaux. Sur injonction de la CNCL, la chaîne, initialement nommée RTL 6, sera finalement baptisée M6. Les autres candidats sont éconduits, la CNCL pointant des fragilités dans leur modèle économique et un manque de diversité dans leurs propositions.

Les réactions sont à la mesure des espoirs suscités. Triomphant, Jean Drucker, président de Métropole TV, promet l’avènement d’une « télévision différente ». À l’inverse, Maurice Lévy, patron de TV6, affiche sa « profonde tristesse » et dénonce la « mort d’une télévision » qui pénalisera la jeunesse et la filière musicale française. Les porteurs de TFM sont plus virulents encore, fustigeant une décision qui « assassine la culture française ».

Quelques jours après ce coup de tonnerre, le 28 février 1987, de nombreux jeunes téléspectateurs se sont rassemblés devant le siège de TV6 et ont manifesté sur les Champs-Élysées. Plusieurs artistes, dont Francis Lalanne, Marc Lavoine, Mylène Farmer et Patrick Bruel, étaient présents. Le soir même, TV6 a diffusé sa dernière émission depuis le plateau de « Tam-Tam » à Saint-Cloud, en présence d’artistes et d’animateurs tels que Smicky, Jean-Luc Delarue, Isabelle Duhamel, Frédéric Smektala, Frédéric de Rieux et Childeric Muller. 

L’émission s’est achevée par un clip parodiant « Star Wars », représentant la victoire du groupement Lyonnaise des Eaux/CLT sur TV6, propriété de Publicis/NRJ, un an seulement après son lancement. 

Le lendemain de l’arrêt de TV6, M6 prend l’antenne à 11h15. Après des débuts en tant que chaîne généraliste, elle opérera, dès la fin de l’été 1987, un virage stratégique en misant sur la contre-programmation : musique et fiction à petit-budget. Un positionnement qui s’avérera vite rentable.

De son côté, La Cinq connaît des premiers mois plus chaotiques…
« C’est un désastre et c’est de la merde » : la réaction épidermique de Robert Hersant aux nouvelles émissions de la chaîne en dit long sur les difficultés rencontrées. Engloutissant des sommes considérables pour s’offrir des vedettes, la cinquième chaîne peine pourtant à rencontrer son public. Sonnée par ses échecs d’audience et les pertes abyssales qui les accompagnent, La Cinq devra rapidement revoir ses ambitions à la baisse et se résoudre à une cure d’austérité pour assurer sa pérennité. Le mieux-disant culturel attendra des jours meilleurs…