Le meilleur du numérique : première partie
Les grands groupes médiatiques européens et mondiaux s’engagent dans une compétition féroce, multipliant accords, contre-alliances et stratégies pour définir les normes techniques et dominer le marché.
Le récap' de l'épisode précédent
- Au début des années 1990, l’Allemagne va connaître la création d’une dizaine de nouvelles chaînes thématiques sur le câble.
- Avec un taux de pénétration du câble de 54% en 1991, le pays suscite l’enthousiasme de nombreux groupes audiovisuels européens qui voit l’Allemagne comme un tremplin pour la télévision payante.
- Dans ce contexte, Premiere – détenue par Canal+, Kirch et Bertelsmann – réfléchit à des déclinaisons de sa chaîne premium : une chaîne sportive, une chaîne documentaire et, surtout, une chaîne pour enfants qui, malgré de nombreux obstacles et une avancée significative du projet, ne verra finalement pas le jour.
- À l’aube du lancement de la télévision numérique, perçue par de nombreux industriels comme une véritable « poule aux œufs d’or », la chaîne payante commence à connaître ses premières dissensions entre ses actionnaires.
Le numérique promet de transformer radicalement l’offre et la consommation des contenus télévisuels. Face à cet enjeu majeur, les grands groupes médiatiques européens et mondiaux s’engagent dans une compétition féroce, multipliant accords, contre-alliances et stratégies pour définir les normes techniques et dominer le marché.
Octobre 1992 : Murdoch et Canal+ s'allient pour préparer la télévision numérique
Face à la multiplication des chaînes au début des années 1990, la technologie analogique va vite montrer ses limites. C’est dans ce contexte que deux géants européens de l’industrie audiovisuelle vont unir leurs forces : d’un côté, Rupert Murdoch, le magnat australien à la tête de NewsCorp. et propriétaire du bouquet britannique BSkyB. De l’autre, le groupe français Canal+, leader européen de la télévision à péage. Leur ambition commune : préparer l’arrivée de la télévision numérique sur le Vieux Continent.
L’enjeu est important. La compression numérique promet de bouleverser les équilibres établis en permettant la multiplication des chaînes dans un même espace de diffusion. Au-delà de l’aspect technique, c’est toute l’économie du secteur qui s’apprête à être redessinée.
L’alliance passe au crible tous les nouveaux services que permettra la télévision numérique : chaînes thématiques, télévision à la carte avec le pay-per-view… Les deux groupes s’organisent rapidement : un groupe de travail est constitué, rassemblant leurs principaux dirigeants avec un mandat de six mois pour se fixer un programme d’actions et définir les modalités opérationnelles. L’accord prévoit notamment la création d’une ou plusieurs sociétés communes pour développer des futurs services, les standards de cryptage et de transmission compatibles avec la télévision numérique. Une étape technique décisive qui déterminera les futures modalités d’accès aux contenus et les infrastructures matérielles nécessaires pour les foyers européens.
L'accord Canal+/NewsCorp.
Annoncée le 8 octobre 1992, l’alliance entre les deux groupes avait pour objectif de « développer de nouveaux services de télévision en Europe, s’appuyant sur les technologies futures de transmission par satellite, de compression numérique et de cryptage ».
Canal+ et NewsCorp. privilégiaient une approche flexible, dans laquelle les partenaires habituels des deux groupes étaient associés aux projets pays par pays, tout en permettant à chacun de conserver son autonomie pour le développement de leurs différents services.
À travers ces projets communs, les deux alliés veulent verrouiller le marché des nouveaux services de télévision numérique. D’où l’intérêt de contrôler le marché des décodeurs comme l’affirme Marc Tessier, alors président de Canal+ International, dans un entretien au Figaro le 9 octobre 1992 : « l’avenir appartient à ceux qui sont en mesure de multiplier les offres à leurs abonnés en utilisant une boîte unique. (…) En télévision payante, le ticket d’entrée est chaque jour plus élevé. La prime va donc au premier arrivé. »
Leaders sur leurs marchés respectifs (France, Espagne, Belgique et Allemagne pour Canal+, Royaume-Uni pour BSkyB), les deux groupes voient dans la télévision numérique l’opportunité de devancer non seulement leurs concurrents européens mais aussi américains. Marc Tessier ajoute que « le contrôle de la technologie de transmission numérique permettrait d’imposer ses normes sur le marché ». Cette « Europe des décodeurs » promu par deux géants privés s’oppose directement à l’approche de la Communauté économique européenne (CEE), qui privilégie des normes publiques et « ouvertes » basées sur la télévision analogique.
En décembre 1992, la CEE initie une étude sur les potentielles positions dominantes de BSkyB et Canal+ dans le domaine du cryptage des programmes. Au Royaume-Uni, plusieurs chaînes indépendantes dénoncent alors leur impossibilité d’accéder au système Videocrypt, propriété de BSkyB.
L’alliance ne dure que quelques mois. En septembre 1993, NewsCorp critique ouvertement Canal+ pour sa réticence à élargir le partenariat à d’autres acteurs et finit par claquer la porte. Le magnat australien forme alors une nouvelle alliance avec Silvio Berlusconi, Leo Kirch et des partenaires techniques tels que Comstream et NTL.
Cet échec préfigure les importantes restructurations qui vont bouleverser le paysage audiovisuel européen dans les mois qui suivent. Il annonce également un déplacement du centre de gravité vers l’Allemagne, où Canal+ et ses concurrents s’engageront dans une lutte acharnée pour le contrôle du plus grand marché de télévision par câble en Europe.
En novembre 1992, Canal+ a lancé Canalsatellite, un nouveau bouquet analogique sur satellite destiné à la France.
BSkyB a suivi avec Sky Multi-Channels, toujours en analogique en septembre 1993.
L'Allemagne, théâtre des ambitions numériques européennes
Au début de l’année 1994, tous les regards se tournent vers l’Allemagne. Avec ses 13 millions d’abonnés au câble, le marché allemand fait figure de pierre angulaire dans la bataille européenne de la télévision numérique. Le pays est déjà le terrain de jeu de plusieurs géants des médias : Bertelsmann et Kirch côtoient le français Canal+ dans la chaîne cryptée Premiere. Mais l’arrivée annoncée de la télévision numérique va rebattre les cartes et déclencher une série de manœuvres stratégiques d’une ampleur inédite.
Février 1994 : Deutsche Telekom et la tentative Media Service
En février 1994, Deutsche Telekom ouvre le bal avec la création du consortium Media Service GmbH (MSG). Ce dernier regroupe Bertelsmann et le groupe Kirch, et vise à assurer la gestion commerciale de l’ensemble des nouvelles chaînes payantes et des services téléphoniques sur le réseau câblé allemand. Les trois groupes se fixent alors un triple objectif :
- Définir un mode de cryptage pour la télévision par câble en Allemagne
- Le choix d’un fabricant de décodeurs
- Assurer la gestion commerciale de l’ensemble des nouveaux services numériques.
Cette alliance, orchestrée par Deutsche Telekom, réunit trois acteurs majeurs aux compétences complémentaires dans le paysage médiatique allemand :
Bertelsmann, actif dans l’édition de livres, la musique et la télévision, apporte son expertise dans les médias. Via sa filiale UFA, le groupe dispose d’un accès aux contenus attractifs pour la télévision payante, notamment les droits sportifs et les films. Il est également actionnaire de RTL Television, principale chaîne privée outre-Rhin.
Leo Kirch, principal actionnaire de Taurus, s’impose quant à lui comme le plus grand fournisseur de contenus audiovisuels et de droits cinématographiques en Allemagne. Son groupe contrôle les chaînes câblées Sat.1 et DSF.
Enfin, Deutsche Telekom, véritable architecte du projet, apporte l’infrastructure essentielle. En tant que principal opérateur de télécommunications et propriétaire de la quasi-totalité des réseaux câblés du pays, il dispose d’un accès direct à des millions de foyers. Sa position est d’autant plus stratégique qu’il contrôle les développements techniques liés à la numérisation de la bande hyperfréquence, nécessaire pour l’extension de la télévision numérique.
Au-delà des intérêts individuels de ces trois groupes, l’enjeu est continental. Dans les couloirs des groupes audiovisuels européens, une conviction s’impose : celui qui parviendra à contrôler les infrastructures numériques allemandes, en particulier les décodeurs et les systèmes de cryptage, disposera d’un levier puissant pour imposer ses normes technologiques et commerciales à l’échelle du continent.
C’est dans ce contexte que, le 28 juin 1994, la Commission européenne suspend cette alliance en raison de doutes sérieux identifiés quant à son impact sur la concurrence. Elle ouvre, en juillet 1994, une enquête sur le projet de création de Media Service par Bertelsmann, Telekom et Kirch après une plainte de la CLT (et de sa filiale RTL Television) ainsi que de l’éditeur Bauer. Elle craint que MSG puisse imposer un standard unique de décodeurs, limitant ainsi la concurrence pour les nouveaux entrants sur le marché de la télévision payante. Conséquence, l’ARD qui devait prendre 10% de MSG aux côtés des trois autres groupes, renonce à un tel projet, n’ayant pas pu obtenir une garantie claire qu’il n’existerait pas d’accords déjà préétablis entre les trois fondateurs du consortium.
Les autorités européennes feront preuve de réactivité. Elle interdit Media Service pour des raisons de droit de la concurrence le 9 novembre 1994. Pour la commission, la création de MSG renforcerait la position de Bertelsmann et Kirch sur le marché de la télévision payante en éliminant toute concurrence potentielle. De même pour Deutsche Telekom qui pourrait ainsi renforcer sa domination sur le marché de la télévision par câble et rendre difficile l’entrée de nouveaux concurrents après la libéralisation (alors) prévue du marché en 1998.
Au sein de Media Service, un absent de taille : Canal+. Partenaire de Bertelsmann et de Kirch au sein de la chaîne Premiere, le groupe français va lui aussi tenter de se faire une place sur le marché allemand, tant convoité…
L'alliance Canal+ / Bertelsmann
Le 3 mars 1994, au lendemain de la création de Media Service, Canal+ et Bertelsmann frappent un grand coup : la signature d’un protocole d’accord visant à la création d’une société commune dans le domaine de la télévision payante. Un projet qui se concrétise quatre mois plus tard, le 21 juillet, par la signature d’un accord-cadre. L’ambition est claire : développer ensemble de nouveaux services de télévision payante à l’échelle européenne.
Cette alliance n’est pas née du hasard. En 1989, ils s’associent pour lancer une chaîne à péage sur le marché allemand, Premiere. Le projet prend de l’ampleur en 1990 avec l’arrivée du magnat des médias Leo Kirch, qui apporte dans la corbeille les abonnés de sa chaîne Teleclub. Une manœuvre stratégique qui évite une guerre commerciale coûteuse.
Les ambitions communes ne s’arrêtent pas là. Dès le 22 décembre 1993, des négociations sont menées afin de faire entrer Bertelsmann au capital de Canal+, ce que André Rousselet, alors patron de la chaîne cryptée, révélera dans son réquisitoire contre Édouard Balladur (Édouard m’a tuer). Si ce projet de participation capitalistique échoue, l’idée d’une alliance stratégique fait son chemin. C’est Pierre Lescure, successeur d’André Rousselet, qui la concrétisera finalement dans le secteur de la télévision numérique.
D’un montant d’environ 2 milliards de francs sur trois ans, cet accord signé à l’été 1994 prévoit, sous réserve de l’approbation projet par projet de leurs conseils respectifs, une coopération technologique et financière pendant trente ans, révisable tous les cinq ans. Les décisions stratégiques, comme l’entrée de nouveaux partenaires, seront prises conjointement et la nomination des dirigeants de filiales sera déterminée par la zone linguistique : Bertelsmann pour l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse germanophone et Canal+ pour la France, l’Espagne, la Belgique et la Suisse francophone.
Pour la chaîne cryptée, cette alliance lui permettra de pénétrer le marché du câble outre-rhin considéré comme le plus prometteur d’Europe avec environ 16 millions d’abonnés en 1994 et ainsi exporter sa série de chaînes thématiques ainsi que sa technologie en matière de décodeurs.
Absent de Media Service, Canal+ espère que son accord avec Bertelsmann lui ouvre une porte d’entrée au sein du consortium. Le groupe français est lucide : « Avec ses 13 millions d’abonnés au câble, le marché allemand est incontournable. Celui qui contrôlera les décodeurs en Allemagne contrôlera à terme près de 50% du marché européen du câble ». Toutefois, il a fallu attendre les premières embuches pour que Bertelsmann propose à son partenaire français de reprendre les 10% laissés vacants par l’ARD. Prudent, Canal+ préfera attendre les résultats de l’enquête de Bruxelles avant de prendre toute décision…
En parallèle, Bertelsmann envisage de tisser de nouveaux liens avec Canal+ au cas où si l’aventure MSG tourne court, en lui proposant une entrée dans le capital de sa chaîne VOX, lourdement déficitaire et en liquidation.
VOX : l'échec de Bertelsmann
VOX est mise en liquidation judiciaire le 1er avril 1994, après quinze mois d’existence. La chaîne allemande, lancée le 25 janvier 1993, misait sur une programmation ambitieuse axée sur les émissions en direct et l’information pour concurrencer les chaînes publiques. Le format s’avère trop coûteux. Avec seulement 1,9% de part de marché en janvier 1994, loin des 6% nécessaires à sa viabilité, VOX accumule plus de deux milliards de francs de pertes. Le retrait de Bertelsmann, principal actionnaire avec 39,4% des parts, précipite la mise en liquidation judiciaire. La chaîne maintient toutefois ses émissions après le 1er avril avec une équipe réduite à 60 personnes, contre 300 au lancement, notamment pour honorer les contrats publicitaires en cours. Reprise par Rupert Murdoch le 1er novembre 1994 avec un recentrage sur le divertissement, la chaîne retournera dans le giron de Bertelsmann (via la CLT-UFA) en décembre 1999.
L’alliance entre les deux groupes prend forme concrètement dès septembre 1994, quand la chaîne cryptée entre à hauteur de 24,9% dans VOX. L’opération s’inscrit dans une restructuration plus large du capital, avec Rupert Murdoch comme nouvel opérateur majoritaire (49,9%), aux côtés de Bertelsmann (24,9%) et de la société de production DCTP d’Alexander Kluge (0,3%).
Cette première étape enclenche une dynamique de participations croisées. En décembre 1994, Bertelsmann entre au capital de la Société européenne de contrôle d’accès (SECA), la filiale de Canal+ dédiée au développement de la technologie numérique.
Quelques mois plus tard, le 22 mars 1995, les ambitions communes se concrétisent sur le terrain des droits, avec la création de Canal+ UFA. Cette société paritaire, qui réunit UFA-Films Fernseh-GmbH et Canal+ Droits Audiovisuels, vise à constituer un catalogue européen de programmes de fiction et d’animation. Si le montant exact des investissements reste flou, cette opération s’inscrit dans l’enveloppe globale de 2 milliards de DM sur trois ans.
Le 28 juillet 1995, Bertelsmann renforce l’alliance en entrant à hauteur de 23,75% dans la Monégasque des Ondes, opérateur de Monte-Carlo TMC. Cette prise de participation place Bertelsmann à parité avec Canal+, tandis que la Générale d’Images conserve 47,5% du capital et que MMP détient les 5% restants. Un investissement modeste mais significatif, qui illustre la volonté des deux groupes de collaborer étroitement dans le développement des futurs bouquets numériques.
Ces opérations successives dessinent une stratégie méthodique. De la SECA à la Monégasque des Ondes, en passant par Canal+ UFA, les deux groupes construisent leur alliance sur trois piliers : la maîtrise technologique des accès numériques, le contrôle des contenus à l’échelle européenne, et la multiplication des canaux de distribution.
En 1993, AB Groupe et Fidimages (filiale de la Générale des eaux) fondent la Société de programme monégasque des ondes (MDO). L’objectif est de relancer TMC pour en faire une grande chaîne généraliste du câble. La programmation est entièrement repensée par Ellipse Câble, filiale de Canal+, et lancée le 13 octobre 1993 avec une identité axée sur des contenus familiaux et plus « chic », valorisant la Principauté de Monaco et le monde méditerranéen. La chaîne diffuse 18 heures de programmes originaux hebdomadaires, s’appuie sur le catalogue de Canal+ et fait appel à des animateurs célèbres comme Denise Fabre et Patrick Sabatier. En 1995, Canal+ et Bertelsmann acquièrent 47,5 % de MDO, partageant ainsi le contrôle avec la Générale des eaux, tandis qu’AB Groupe conserve une participation de 5 %.
Et la CLT dans tout ça ?
En décembre 1994, Pierre Dauzier lance un pavé dans la mare. Le PDG d’Havas exprime publiquement son souhait de rapprocher Canal+ de la Compagnie Luxembourgeoise de Télédiffusion (CLT). Une proposition qui ne doit rien au hasard : Havas, actionnaire important des deux groupes, tire une part substantielle de ses bénéfices de la réussite de Canal+ et assure, via sa filiale IP, toute la régie publicitaire de la CLT jusqu’en 2000.
La réaction de Canal+ ne se fait pas attendre. Pierre Lescure, agacé, rappelle que « son groupe n’avait pas mené de vie commune avec la CLT ». Le dirigeant de la chaîne cryptée tend néanmoins une perche en se disant « prêt à proposer à la CLT un accord technologique dans le domaine du numérique, incluant un décodeur commun ». Une ouverture qui n’est pas anodine alors que la holding luxembourgeoise prépare « Club RTL », son propre bouquet numérique destiné aux marchés français et allemand, avec déjà sept répéteurs réservés sur le satellite Astra à l’été 1995.
Cette initiative d’Havas a le mérite de poser ouvertement la question des alliances dans l’audiovisuel européen. Face aux investissements colossaux qu’exige le passage à la télévision numérique, aucun groupe ne peut faire cavalier seul. Les discussions se multiplient : TF1 négocie avec Canal+ et la CLT, qui elle-même cherche à s’allier avec Canal+… En toile de fond, une crainte commune : voir la CLT s’associer avec un géant américain.
Mais ces velléités de rapprochement vont rapidement se heurter à une autre réalité : la bataille qui oppose la CLT à Bertelsmann pour le contrôle de RTL Television, la première chaîne privée allemande…
Au coeur des enjeux se trouve RTL Television
Principale chaîne privée allemande et filiale phare de la CLT, RTL Television est une véritable machine à cash, dégageant un bénéfice net de 110 millions de DM sur un chiffre d’affaires de 1,882 milliard en 1994. Forcément, cette rentabilité suscite de nombreuses convoitises. Le 21 juillet 1995, Bertelsmann profite d’une opportunité pour renforcer sa position. En rachetant les parts des groupes de presse WAZ (10%) et Burda (2%) dans RTL Television, le géant allemand fait jeu égal avec la CLT, qui détenait jusqu’alors 49,9% du capital. Un coup de force qui ne plaît guère à la holding luxembourgeoise, qui conteste une partie de l’opération devant la justice.
S’ensuit alors une vaste bataille judiciaire, où la CLT obtiendra d’un tribunal d’Essen le blocage provisoire d’une partie du rachat des actions de Bertelsmann. Mais le tribunal de Hambourg confirmera par la suite le rachat par Bertelsmann des 2% de RTL à Burda, tout en lui déniant l’utilisation des droits de vote supplémentaires. Bertelsmann fera appel de cette décision. Cette lutte pour le contrôle de RTL Television prend même une tournure diplomatique. Le Grand-Duché de Luxembourg, par la voix de son ex-Premier ministre Jean-Claude Juncker, déclare que la tentative de prise de contrôle de Bertelsmann « va à l’encontre des bonnes relations économiques » entre l’Allemagne et le Luxembourg.
Finalement, le 13 octobre 1995, un tribunal d’Essen rejette la demande d’interdiction de cession de la participation de 1% de la Frankfurter Allgemeine Zeitung à la WAZ. Bertelsmann et la WAZ deviennent ainsi actionnaires majoritaires de RTL Television. Mais la CLT porte plainte « sur le fond » le 7 novembre, affirmant détenir un droit de préemption sur la chaîne et entendant obtenir la confirmation de ses droits.
Parallèlement, le 4 août 1995, Deutsche Telekom annonce choisir le système de contrôle d’accès de Canal+ et Bertelsmann. Ce qui ouvre à la SECA un marché potentiel de 23 millions de foyers câblés.
Ce n’est pas qu’un simple accord avec le principal opérateur téléphonique outre-rhin, c’est une résurrection de Media Service.
Deutsche Telekom réunit tout le monde
Le 17 août 1995, Bertelsmann, Deutsche Telekom, Canal+, la CLT et les chaînes publiques allemandes ARD et ZDF conviennent de fonder la société d’exploitation multimédia MMBG (pour MultiMedia BetriebGesellschaft). Le successeur de Media Service est destiné à fournir des décodeurs pour la réception de programmes numériques à travers une norme commune. Ce nouveau consortium réunit les principaux groupes privés et publics du pays et un accord sera annoncé le 2 octobre 1995.
Pour Canal+ et Bertelsmann, c’est une occasion de s’imposer sur le marché allemand. Au terme de 8 mois de négociations laborieuses, émaillées de fortes tensions avec Havas, Canal+ conclut son accord technologique avec la CLT dans la télévision. SECA accorde à la CLT pour une période de quinze ans la licence européenne d’utilisation du système de contrôle d’accès numérique intitulé “Mediaguard” qui permet aux téléspectateurs d’accéder aux programmes et services payants qui seront proposés par les diffuseurs dans leurs futurs bouquets numériques.
Concrètement, la CLT va pouvoir utiliser le décodeur numérique de Canal+ pour lancer son propre bouquet de télévision payante en France et en Allemagne à la fin de l’année 1995. De plus, le groupe luxembourgeois entre à hauteur de 13% dans la SECA et dispose d’un droit de regard sur les développements futurs de l’exploitation du système, son extension éventuelle dans d’autres pays européens et un siège au conseil d’administration de la SECA.
Même si l’accord ne prévoit pas de “gestion concertée” des bouquets de programmes, comme le PDG du groupe Havas, Pierre Dauzier, en avait initialement caressé le souhait, il ne cache pas sa grande satisfaction.
Tous les acteurs échangent entre eux, malgré quelques querelles judiciaires en toile de fond. Mais un absent de taille se distingue : Leo Kirch, leader des droits audiovisuels en Allemagne, co-actionnaire de Premiere et propriétaire de Sat.1 et DSF. Un silence qui ne tardera pas à être rompu.