Quand le Royaume-Uni banissait les chaînes pornographiques
Dans un panorama médiatique européen en pleine transformation avec l’essor de la télévision par satellite, le Royaume-Uni affronte des défis réglementaires face au développement des chaînes pornographiques. Cette période marque une ère de conflits légaux et d’adaptations stratégiques des médias et d’évolutions dans la perception publique et la législation britannique.
Au début des années 1990, la télévision par satellite connaît un fort développement en Europe et notamment au Royaume-Uni. Ainsi, les téléspectateurs peuvent recevoir, directement à domicile, une dizaine de chaînes thématiques et internationales. C’est l’époque des « télévisions sans frontières » où des chaînes émettant depuis un pays pouvaient rayonner sur toute l’Europe, contournant alors les restrictions nationales.
Cette explosion du satellite a suscité des réactions mitigées au Royaume-Uni. Si certains consommateurs accueillaient avec enthousiasme cette diversité de choix, les autorités s’inquiétaient des implications morales et légales, particulièrement concernant l’accès facile à des contenus pour adultes. Cette période a marqué le début d’un débat public sur la régulation des médias et la protection des mineurs, posant les bases des conflits réglementaires et légaux à venir.
Retour sur l’histoire tumultueuse des chaînes pornographiques au Royaume-Uni dans les années 1990 : entre fermetures, conflits et effet Streisand.
Les films X : un produit d'appel
Avec le développement de la télévision payante dans les années 1980/1990, les films pornographiques sont des produits d’appel, tout aussi importants que le cinéma ou le sport, pour les chaînes dites « premium ». Ainsi, Canal+ en France, TV1000 en Suède ou encore FilmNet aux Pays-Bas diffusent des programmes « adult only » très tardivement dans la nuit.
Dans le même temps, les premières chaînes pornographiques font leur apparition. Diffusant par satellite, ces nouvelles chaînes peuvent s’implanter dans des pays où la législation n’est pas trop restrictive et diffuser sur un bassin couvrant quasiment toute l’Europe.
En matière de télévision par satellite, le Royaume-Uni est un pays plutôt précurseur. Bon nombre des premières chaînes « pan-européennes » comme Sky Channel, Lifestyle, Screensport émettent depuis le royaume britannique. De même, en termes de télévision payante, le pays dispose, au début des années 1990, du bouquet thématique « Sky Multi-Channel », issu de la fusion entre Sky et BSB.
C’est donc sur un marché plutôt mature que la chaîne néerlandaise « Red Hot » lance, en juillet 1992, ses émissions vers la Grande-Bretagne. Diffusée sur le satellite Eutelsat F-II où elle compte 18.000 abonnés aux Pays-Bas, la chaîne X est commercialisée par une société britannique intitulée « Continental Television ». Elle promet la diffusion de cinq heures de programmes hebdomadaires pour un tarif de 47,25 livres par trimestre.
De quoi suffisamment inquiéter le lobby « anti-porno » selon lesquelles la déréglementation de la radiodiffusion européenne rend le gouvernement britannique presque impuissant à empêcher un tel matériel d’atteindre ses ondes.
La directive européenne "Télévision sans frontières"
Afin de réguler le marché des chaînes “pan-européennes”, la directive “Télévision sans frontières” interdisait essentiellement aux États membres de la Communauté européenne de « prévenir » la télévision par satellite. Des exceptions ont toutefois existé, notamment l’article 2 du chapitre 2, qui donnait aux gouvernements le droit et le devoir de contrôler les émissions contenant des incitations à la haine sur les bases de la race, du sexe, de la religion ou encore de la nationalité. Également, elle accordait le pouvoir de restreindre les programmes pouvant « sérieusement altérer le développement physique » des mineurs.
Pour ce dernier point, la Directive stipulait qu’au stade initial, des “consultations doivent avoir lieu” entre le gouvernement concerné et le diffuseur, mais si celles-ci ne produisaient pas un “règlement amiable dans les 15 jours” alors “l’État membre recevant peut prendre des mesures provisoires unilatérales contre la chaîne concernée”.
Le Royaume-Uni : une approche conservatrice avec un cadre légal très strict
Le Royaume-Uni a historiquement tenté de réglementer la pornographie, quel que soit le support, particulièrement à travers des lois : « Obscene Publications Act » adoptée pour la première fois en 1959 et l’article 177 du “Broadcasting Act” en 1990. Cette dernière visait à imposer des restrictions aux chaînes de télévision par satellite diffusant des contenus visant à “dépraver et corrompre” ceux qui y sont exposés.
Un cadre juridique qui témoigne d’une démarche autant préventive que protectrice en matière de diffusion de contenus à caractère pornographique, axée sur la préservation de la moralité, du bon goût et de la décence. L’objectif de ces mesures est de protéger contre la dégradation des mœurs, notamment chez les jeunes, et de garantir le maintien de l’ordre public en limitant l’accès à des contenus considérés comme obscènes ou explicitement sexuels. Elles incarnent ainsi les normes et préoccupations morales propres à la société britannique de cette époque.
Le cas de Red Hot Dutch va alors poser un véritable casse-tête pour le gouvernement britannique.
Dès son lancement, en juillet 1992, le gouvernement britannique a informé son souhait de bannir la chaîne des écrans britanniques. Mais, comment agir dans un environnement complexe impliquant une chaîne néerlandaise commercialisée par une entreprise britannique, transmise via un transporteur que Red Hot louait à la Poste danoise, et opérant dans le cadre de la législation de la Communauté européenne ?
Le cas de la chaîne Red Hot TV : une confrontation réglementaire
Les autorités britanniques, confrontées à un dilemme avec la chaîne Red Hot en janvier 1993, se heurtent à l’obstination de la chaîne de ne pas modifier son contenu, malgré les négociations. Cette situation est compliquée par le fait que les autorités danoises, pays hôte de la chaîne, qui estime ne pas avoir de fondement légal pour interrompre ses émissions.
En réponse, le gouvernement britannique adopte une stratégie différente, rendant illégale la publicité pour les programmes de Red Hot TV ainsi que la vente de son décodeur et de sa carte à puce sur le territoire britannique. Cette décision est rapidement contestée par la chaîne, qui se tourne vers les tribunaux britanniques et la Cour de Justice de l’Union européenne (CJCE), tout en déplaçant ses opérations aux Pays-Bas. L’objectif est de continuer la vente et l’expédition des équipements nécessaires à partir des Pays-Bas, grâce à la publicité par satellite. Cette stratégie aurait pu être efficace, car les décisions de la CJCE distinguent explicitement les entités basées dans un État membre et celles d’autres États.
Cependant, l’interdiction britannique de faire la publicité de Red Hot TV et de vendre ses équipements a suffi à réduire considérablement sa base d’abonnés. Cette situation a contribué à la liquidation et à la fermeture de la chaîne en 1994, avant que l’affaire n’ait pu être jugée par la CJCE.
Des interdictions ... et des subterfuges
Le Royaume-Uni, confronté à la prolifération de chaînes pornographiques diffusées par satellite, a mis en œuvre une stratégie réglementaire stricte entre 1994 et 1998. Cette stratégie consistait principalement à interdire la publicité et la vente des abonnements pour ces chaînes, telles que Red Hot Dutch, Jessica Rizzo/Satisfaction Club TV, TV Erotica, Eurotica Rendez-vous, et Eros. Cependant, cette mesure n’a pas complètement résolu la question de la gestion des chaînes pornographiques par satellite.
En réaction à cette politique restrictive, les chaînes touchées ont adopté des tactiques adaptatives. Une méthode courante était le changement de nom de la chaîne, comme illustré par la transformation de “Eurotica” en “Erotica” et la fusion de la chaîne française “Rendez-Vous” avec la chaîne suédoise, aboutissant à la création de “Eurotica Rendez-Vous”. Ces stratégies visaient à maintenir une longueur d’avance sur la législation en vigueur. De plus, la perception publique attribuait au gouvernement la responsabilité de la fermeture des chaînes, incitant ainsi les consommateurs à investir dans de nouveaux abonnements.
Un cas spécifique est celui de la chaîne suédoise TV 1000, principalement axée sur la diffusion de films cinématographiques, mais aussi des contenus pornographiques lors de ses diffusions nocturnes hebdomadaires. Pour se soustraire aux contraintes de la législation suédoise, en particulier concernant les publicités destinées aux enfants, TV 1000 opérait initialement depuis le Royaume-Uni. Afin de contourner la législation britannique sur les contenus pornographiques “hard-core”, la chaîne a mis en place un système de basculement de son signal vers la station suédoise d’Aagesta, qui relayait ensuite le signal vers le satellite Astra. Ce procédé impliquait une interruption temporaire du signal, de l’ordre de 10 à 15 secondes, nécessaire pour le transfert du signal avant et après la diffusion des programmes pour adultes.
Une question marginale pour de nombreux britanniques
Pour une partie significative de la population britannique, les initiatives gouvernementales visant à réguler les chaînes pornographiques diffusées par satellite étaient perçues comme marginales, détournant l’attention de questions jugées plus importantes. De plus, il a été noté que l’administration britannique a fait preuve de sélectivité dans l’application de ses politiques réglementaires. Les chaînes ciblées étaient principalement de petites entreprises, souvent d’origine étrangère. En parallèle, d’autres chaînes, appartenant à de grandes sociétés britanniques telles que “The Adult Channel” ou “The Fantasy Channel” (plus tard renommée “Television X” et toutes deux propriétés d’une filiale de Northern & Shell), ont pu opérer relativement sans entraves sur le sol britannique. Les autorités ont justifié cette différence de traitement par le fait que ces chaînes consacraient du temps à la prévention et diffusaient des films de catégorie “soft-core”. De plus, leur enregistrement au Royaume-Uni et l’obtention d’une licence de l’OFCOM (l’équivalent britannique du CSA) jouaient également en leur faveur.
Avec l’avènement de la télévision numérique à la fin des années 1990 et l’introduction de systèmes de contrôle parental ainsi que de dispositifs de « double cryptage », le cadre réglementaire britannique s’est progressivement adouci.