Teleclub ramène le cinéma à la maison
Déclinaison de la chaîne à péage suisse, Téléclub est la première expérience de chaîne payante en République Fédérale Allemande.
Début des années 1980, la télévision par câble est en pleine expansion en Allemagne de l’Ouest. Lancé quasiment en même temps que chez le voisin français, le gouvernement allemand met le paquet sur la télédistribution.
La ville d’Hanovre compte l’un des réseaux les plus actifs du pays avec près de 20.000 clients. La capitale de la Basse-Saxe est retenue pour une expérimentation d’un nouveau genre : le lancement d’une chaîne payante entièrement dédiée au cinéma.
Une opération qui sera rendue possible par une société : la Kabel Marketing Gesellschaft, dont les actionnaires seront les groupes Springer, Bertelsmann, Madsack (qui commercialise les offres sur le réseau câblé de la Bundespost dans la région) et le groupe Kirch. Ce dernier nom n’est pas inconnu en Allemagne. Marchand de droits cinématographiques, Leo Kirch est l’un des entrepreneurs les plus médiatiques et les plus influents en Allemagne depuis les années 1960. Avec ses nombreuses sociétés dont BetaTaurus, il sera l’intermédiaire entre les chaînes publiques et les grands majors hollywoodiens pour la diffusion des films américains en Allemagne. En 1985, il lance la toute première chaîne de télévision privée, Sat.1, brisant de facto le monopole public, dans le cadre du projet pilote de télévision par câble à Ludwigshafen.
Avec le lancement de Sat.1, Leo Kirch n’est pas dans sa première expérience dans la télévision privée. Trois ans plus tôt, le 30 avril 1982, sa société lance en Suisse la toute première chaîne de télévision à péage en Europe, Teleclub, diffusé sur le réseau câblé zurichois avec chaque soir, deux films, contre un abonnement mensuel de 28 francs suisse.
La chaîne se relève rapidement être un succès, elle comptera trois ans plus tard, plus de 40.000 abonnés en Suisse alémanique.
Un succès qui conduit le magnat allemand à exporter la chaîne à péage en RFA avec l’aide d’Axel Springer et le groupe Bertelsmann.
Une promesse simple : ramener le cinéma dans chaque foyer
La promesse est simple, 180 films par an : 15 films inédits par mois et 15 rediffusions, 3 émissions quotidiennes en semaine, 5 le samedi, 6 le dimanche entre 17h et 23h45, à l’identique du programme suisse, captée par le satellite Eutelsat ESC-1 puis transmis par ce biais aux têtes des réseaux câblés allemands.
Avec un prix de l’abonnement de 29 DM (en plus de frais d’accès de 75 DM), la chaîne propose des films anciens et récents, européens comme américains, issus du catalogue allemand de Kirch via sa société BetaTaurus et Paramount Pictures. La nouvelle chaîne compter espérer trouver son public parmi les nouveaux usagers du câble.
Le 1er novembre 1986, la version allemande de Teleclub est lancée avec la diffusion du film « A Star is Born » de Frank Pierson. Pour ce premier jour, uniquement une trentaine de foyers comptent présent devant leur petit écran.
Un premier échec commercial
Malgré un plan marketing ambitieux, la chaîne ne compte qu’une vingtaine de nouveaux abonnés par mois. Au bout de deux ans, l’échec est palpable : 1.100 abonnés, soit 4% des ménages câblés dans la zone de test d’Hanovre.
Cette situation ne satisfait personne, à commencer par les partenaires de Kirch, elle conduit Springer et Bertelsmann, tout deux actionnaires à 30%, a quitter l’actionnariat de la filiale allemande en janvier 1988.
Kirch se retrouve seul aux manettes et comme un malheur n’arrive jamais seul, le projet de société intitulé « Premiere Film GmbH + Co. KG » dont les actionnaires auraient été les grands acteurs américains du divertissement tels que Warner Bros, 20th Century, HBO et Teleclub n’aboutit pas et prive cette dernière du catalogue de ces grands studios.
La situation économique contraste avec le voisin suisse où la chaîne est un grand succès. Elle poursuit sa croissance avec 70.000 abonnés en mai 1989 et une pénétration de la chaîne dans près de 90% des foyers suisse. Il faut dire, la télédistribution par câble y est très largement accessible. Une large distribution de la chaîne en RFA devient un préalable pour sa viabilité économique.
Distribution élargie, abonnement maxi
Le 6 avril 1989, Teleclub devient accessible sur les principaux réseaux câblés du pays : Düsseldorf, Duisberg, Ludwigshafen, Nuremberg et le plus grand réseau câblé de RFA, Berlin-Ouest. Ainsi, plus d’un million et demi de foyers ont la possibilité de recevoir la chaîne du « cinéma par câble ».
Une arrivée sur de nombreux réseaux qui fait office de « redémarrage » de la chaîne
Première nouveauté, un nouveau cryptage est introduit : le « PayView 3 » permettant de lutter plus efficacement contre le piratage avec un procédé assombrissant l’image et inversant l’ordre des lignes dans un ordre différent. Ironie du sort, ce nouveau codage se révèlera être un échec, les appareils pirates sont tellement performants que l’image décodé par ces derniers était meilleure que le décodeur original.
L’offre de programmes s’élargit à 25 films inédits par mois, en complément des 15 films rediffusés du mois précédent et les horaires de diffusion s’élargissent, de 10h30 à 3h du matin. Conséquence, le tarif augmente de 5 DM passant à 34 DM mensuel.
Enfin, un dernier aspect d’ordre technique mais qui a toute son importance, jusqu’ici la chaîne était diffusé en clair par satellite afin que les réseaux câblés puissent crypter le programme avec le codage de leur choix depuis leur tête de réseau. Une personne équipée d’une parabole et d’un décodeur satellite pouvait recevoir Teleclub … sans abonnement.
L’arrivée des nouvelles chaînes privées allemandes comme Sat.1 ou RTL Plus (devenue en 1992 RTL Television) sur le satellite change la donne, des premiers tests de cryptage sont réalisés les 24 et 25 avril 1989 pour les films « Consacrated Murderer, Part.1 » et « Consacrated Murderer, Part.2 » avant un passage en cryptage intégral une semaine plus tard, le 3 mai 1989.
L’accessibilité de la chaîne continue à s’élargir. À partir de cette date, il devient possible de s’abonner à la chaîne par satellite malgré peu de promotion sur ce nouveau moyen de réception. À l’inverse, c’est à ce moment que Teleclub adopte le slogan : « Teleclub transforme la télévision par câble en cinéma par câble ».
Cela n’empêchera pas une diffusion sur le nouveau satellite luxembourgeois Astra, innovant pour l’époque grâce à sa réception avec une parabole de taille moyenne et son nombre important de canaux de diffusion, le 1er juillet 1990 et qui remplacera la diffusion via Eutelsat en septembre de la même année.
Une facilité de réception qui permettra de toucher l’ex-Allemagne de l’Est, lors de la réunification le 3 octobre 1990, la télévision par câble étant quasi-inexistante dans la partie orientale de la nouvelle RFA.
La plus grande accessibilité de la chaîne, une plus large programmation de films inédits ainsi qu’une campagne marketing plus intense commence à porter leurs fruits, en février 1991, Teleclub compte 80.000 abonnés en Allemagne.
Même si la chaîne n’est pas à l’équilibre financier, la télévision payante suscitant de lourds investissements pour un succès économique souvent incertain, le marché allemand suscite des convoitises.
Canal+ ... d'outre-rhin
Forte de son succès en France, en Belgique et en Espagne, Canal+ étudie la possibilité de se lancer outre-rhin. Le modèle de Canal+ a l’international est simple : s’allier avec un partenaire local (la RTBF en Belgique, Prisa en Espagne) et réunir les ingrédients qui ont fait la réussite de la chaîne cryptée en France : du cinéma et du sport. En Allemagne, ce partenaire est tout trouvé, il s’agit de Bertelsmann, premier groupe d’édition allemand, propriétaire de UFA-Film et actionnaire de RTL Plus, concurrente directe de Sat.1.
La présence de nouveaux acteurs n’est pas sans risque pour Kirch, elle stimulerait un marché encore fragile et favoriserait l’inflation des droits cinématographiques. Surtout qu’une nouvelle chaîne aidée par deux groupes puissants propose une programmation plus variée que celle de Teleclub avec du sport en direct pourrait être fatal à cette dernière.
Le 16 février 1990, une alliance de raison pousse Bertelsmann, Canal+ et Kirch à la création d’une chaîne de télévision payante commune en RFA. Raison invoquée par les trois partenaires : seul un programme commun de télévision payante est économiquement viable à long terme en République fédérale.
Sous le nom de « Premiere », ils veulent proposer un programme commun qui succéderait à la déclinaison allemande de Teleclub. Chose faîte le 28 février 1991. Elle marquera la première expérience de Canal+ dans un pays non-latin.