La télévision sous l'occupation
En septembre 1939, à la suite de l’invasion de la Pologne, la France déclara la guerre à l’Allemagne nazie. En conséquence, les programmes de radio et de télévision français furent suspendus. Le 6 juin 1940, juste avant l’entrée de l’armée allemande à Paris, les techniciens de la Radiodiffusion Nationale Télévision sabotèrent délibérément leur propre émetteur. Cette action a marqué un arrêt brutal des activités de diffusion, dans le contexte de plus en plus tendu du conflit mondial.
Les Allemands, pionniers en termes de télévision
Dès 1935, les Allemands, pionniers en matière de télévision, avaient lancé le premier réseau de télévision au monde. Les émissions de la télévision berlinoise en 180 lignes étaient acheminées via des câbles spéciaux de la Reichspost vers Hambourg, Francfort et Leipzig. Des émetteurs locaux retransmettaient ces programmes aux 4 000 récepteurs familiaux recensés et dans des salles publiques de télévision. Même après la destruction de la tour de télévision « Funkturm » à Berlin en 1944, un service de « télévision par câble » fut maintenu.
Après la capitulation de la France et l’arrivée des troupes allemandes à Paris en juin 1940, l’émetteur français resta inutilisé pendant plusieurs mois. Telefunken envisagea d’abord de récupérer des composants de l’émetteur français de 455 lignes, proche de leur standard de 441 lignes. Cependant, Kurt Hinzmann, officier et ancien directeur des programmes de la télévision de Berlin, convainquit les autorités d’occupation de remettre en marche l’émetteur de la Tour Eiffel. Son but était de diffuser des programmes pour divertir les soldats allemands hospitalisés à Paris et d’utiliser l’émetteur pour brouiller les signaux des avions ennemis.
Le 20 mai 1942, les forces armées allemandes ordonnèrent au ministère des PTT français de réactiver l’émetteur de la Tour Eiffel. Les travaux furent confiés à la Compagnie des Compteurs de Montrouge et à Telefunken, cette dernière fournissant un nouvel émetteur de télévision conforme au standard de 441 lignes, installé par des techniciens venus de Berlin.
Fernsehsender Paris : la première télévision "franco-allemande"
Après la distribution d’environ 300 téléviseurs Téléfunken, récupérés auprès de la Reichspost, dans des hôpitaux parisiens et à quelques officiers, un premier studio est aménagé dans l’ancienne ambassade de Tchécoslovaquie, proche de la Tour Eiffel. Cependant, ce lieu se révèle trop petit pour des émissions régulières. Face à cela, Kurt Hinzmann se lance dans la recherche d’un espace plus vaste.
Après avoir examiné plusieurs sites prestigieux tels que le théâtre des Champs-Élysées, l’hôtel Georges V et le palais de Tokyo, Hinzmann découvre le « Magic City », un ancien dancing et parc d’attractions situé au 180 rue de l’Université. Avec sa grande salle de bal, un ancien garage attenant utilisable comme atelier et un élégant bâtiment sur la rue Cognacq Jay pour les services administratifs, le lieu est parfait. L’ensemble des bâtiments est réquisitionné et le propriétaire exproprié en juillet 1943, faisant ainsi de la radiodiffusion française le nouveau propriétaire.
Ces installations permettent à « Fernsehsender Paris » (Télévision Paris) de commencer à diffuser des programmes réguliers dès le 7 mai 1943 depuis la grande salle de bal de l’ancien parc de loisirs Magic-City (fermé en 1926). L’inauguration officielle a lieu le 30 septembre 1943 avec la diffusion des premières émissions en direct.
Diffusant en allemand et en français, la chaîne propose une variété de programmes incluant des variétés, du théâtre, des orchestres de 24 musiciens jouant parfois du jazz (malgré l’interdiction nazie), ainsi que des spectacles de danse et de cirque. Des acteurs de la Comédie Française et de l’Opéra Comique y participent, et des reportages d’actualité en provenance de Berlin sont diffusés deux fois par semaine. La chaîne émet quatre jours par semaine de 10h à midi, trois jours de 15h à 20h, et tous les soirs de 20h30 à 22h, avant d’élargir sa diffusion à 12 heures par jour, de 12h à minuit, en 1944. En dehors de ces horaires, la radio de Berlin est diffusée, accompagnée de la mire à l’écran.
L’équipe de Fernsehsender Paris, comprenant 120 personnes (sans inclure les intermittents), était un ensemble hétéroclite composé de Juifs, d’anarchistes, de résistants, et d’individus de diverses nationalités. Pour certains, travailler pour la chaîne était un moyen d’obtenir un certificat de complaisance, une alternative au Service du travail obligatoire (STO) imposé par les nazis.
Bien que le puissant émetteur de la Tour Eiffel permette aux privilégiés avec un téléviseur de recevoir les émissions, il servait involontairement un autre objectif : fournir aux Alliés des renseignements précieux sur l’efficacité de leurs bombardements sur Paris. Le signal de la chaîne, découvert par hasard, était capté grâce à un système de 32 antennes réceptrices et un téléviseur britannique de 405 lignes adapté au standard de 441 lignes et aux fréquences parisiennes. Cette découverte offrait aux services secrets et à l’armée britannique la possibilité de mesurer, pendant deux ans, l’efficacité réelle de leurs raids aériens.
Une semaine avant la libération de Paris, Fernsehsender Paris a cessé définitivement ses émissions le 12 août 1944 à 23h30. Les Allemands ont laissé derrière eux une station de télévision opérationnelle et performante, ce qui a facilité la reprise rapide des émissions télévisuelles après la Libération.