Spectacle

Création le 15 novembre 1996
Disparition le 30 juin 1998

Actionnaires
Canal+ – 100%

Distribution
CanalSatellite | Réseaux câblés

Spectacle : la chaîne du télé-achat culturel


Conçue par Tim Newman et présentée à Pierre Lescure en décembre 1995, la chaîne “Spectacle” a vu le jour le 15 novembre 1996, sous l’égide de Canal+. Elle se distingue en tant que première chaîne mondiale de téléachat culturel. D’abord accessible sur CanalSatellite, puis en analogique sur divers réseaux câblés, elle promet une approche “réfléchie et intelligente” du téléachat, ciblant un public cultivé.

La programmation de Spectacle se compose de trois heures de contenu original, rediffusé en boucle, segmenté en blocs de quinze minutes dédiés à différents arts comme le théâtre ou le cinéma. Chaque bloc commence par un aperçu de trois minutes de l’actualité sectorielle, suivi de modules de téléachat dédiés à des produits spécifiques, tels que des CD-ROM, des places de théâtre, de cinéma ou des entrées à des expositions. Cette vente se réalise d’abord par téléphone ou par minitel, puis dès le 8 juillet 1997, le téléspectateur abonné à CanalSatellite pouvait simplement appuyer sur la touche “OK” de sa télécommande afin d’acheter le produit présenté ou accéder à un catalogue de vente. Il suffisait d’introduire sa carte bancaire dans le décodeur (relié à la prise téléphonique) pour immédiatement acheter une dizaine de produits.

Concernant son modèle économique, la chaîne adopte une politique tarifaire compétitive pour les annonceurs, avec un tarif de 600 francs la minute pour six diffusions quotidiennes, représentant un total de 8 400 francs HT pour 42 diffusions de deux minutes sur une semaine. Ce modèle offre un excellent rapport qualité-prix, favorisant à la fois les ventes directes mais aussi un impact promotionnel substantiel.

Confrontée à des défis réglementaires, notamment en matière de restrictions de publicité et de téléachat pour les livres et le cinéma, “Spectacle” exploitait un vide juridique. Cette prohibition visait à protéger des secteurs sensibles, à savoir les libraires d’une part, mais aussi les éditeurs et distributeurs indépendants, confrontés à la concurrence inégale des grands acteurs mondiaux. Cette interdiction a été fixée, en ce qui concerne la publicité, par des dispositions réglementaires, notamment le décret du 27 mars 1992, et, pour le téléachat, par une jurisprudence du CSA.

Toutefois, selon Newman, les chaînes du câble et du satellite n’étaient pas soumises aux mêmes restrictions que les chaînes hertziennes, une interprétation qui s’appuie sur le décret câble de 1995, où il n’y a pas de secteur interdit. De plus, l’article 8 de ce décret, relatif au téléachat, renvoyait aux règles du radioachat, lesquelles ne prévoyait pas de secteur interdit.

Voilà comment Spectacle a remis en cause l’esprit général de la réglementation, ce qui a causé de nombreux remous avec une partie de l’industrie du cinéma et du livre. Dans le secteur de l’édition littéraire, l’arrivée de Spectacle a déclenché des réactions contrastées, révélant des divisions profondes quant à l’intégration des livres. D’une part, des figures comme Christian Brégou de l’ex-groupe CEP (Compagnie européenne de publications – devenu en 1997 Havas publications éditions) soutiennent l’idée, arguant que la présence des livres à la télévision est essentielle pour leur survie face à la concurrence des divertissements grand public. À l’opposé, des éditeurs comme Jérôme Lindon des Editions de Minuit ont exprimé leur désaccord, insistant sur l’importance des libraires et des journaux dans la découverte d’auteurs moins connus et défendant la presse comme espace vital pour la culture littéraire.

Face à ces débats et à l’avertissement initial du CSA contre la vente de livres et de films, Tim Newman a finalement renoncé au téléachat de livres. En décembre 1996, l’arrêt du magazine dédié aux livres, en raison de désaccords avec le syndicat de l’édition, illustre les tensions entre les nouvelles possibilités offertes par les médias numériques et les réglementations traditionnelles du secteur culturel.

Le 19 janvier 1998, Spectacle entame une importante réorientation éditoriale. La chaîne se transforme en un canal de promotion culturelle enrichissant sa programmation avec des mini magazines de quinze minutes. Ces segments, tout en restant exhaustifs mais non critiques, choisissent délibérément de ne pas couvrir certains films ou événements culturels, offrant ainsi une programmation sélective et ciblée. Ce reformatage, accompagné d’une réduction de son budget, accompagne l’abandon de la vente forcée pour passer à un art plus subtil : la vente suscitée. Les séquences dédiées aux télé-achat sont supprimées, les six présentateurs que compte la chaîne devaient donner envie aux gens d’aller aux spectacles, au cinéma, ou de lire, et donc de consommer cette culture.

Malgré son concept unique, Spectacle a fait face à de multiples difficultés. Tout d’abord, en termes de distribution, la chaîne n’était pas disponible sur le réseau câblé de la Lyonnaise des Eaux à Paris, faute d’accord avec cette dernière. Mais aussi, en termes économiques, supposée s’autofinancer, la chaîne tablait sur la vente d’espaces aux grands de l’industrie culturelle, or, cette absence de visibilité dans la capitale, a selon son fondateur, “freiné les achats d’espace”, d’où un business plan réalisé à seulement 60% des prévisions.

Dix-huit mois après son lancement, sur 900.000 abonnés, un peu plus de 30.000 ont passé commande auprès de Spectacle, insuffisant pour rentabiliser le budget d’une vingtaine de millions de francs. La chaîne cessera d’émettre le 30 juin 1998, remplacée par le simple service interactif du même nom, moins coûteux et plus rentable.