Gourmet TV

Création le 20 mars 2002
Disparition le 1er avril 2005
Actionnariat
- 45% : France Télévisions via « Gourmet Associés »
- 45% : ILTA France
- 10% : Joël Robuchon, Guy Job, CPI
Distribution
Canalsatellite | TPS | Noos | NC Numéricable | France Télécom Câble | UPC | Réseaux câblés locaux
Gourmet TV : la chaîne de la gastronomie et de l'art de vivre
Gourmet TV était une chaîne de télévision française lancée le 20 mars 2002, en plein développement des chaînes thématiques et dans un contexte de concurrence accrue entre les bouquets satellites Canalsatellite et TPS. Plusieurs groupes ont fait le pari de créer des chaînes dites « de niche », espérant également être un facteur d’abonnement aux bouquets de chaînes numériques.
Sur les grandes chaînes, les émissions culinaires trouvaient leur public, comme en témoigne le succès de « Cuisinez comme un grand chef » sur TF1 entre 1996 et 1999, puis « Bon Appétit Bien Sûr », diffusé quotidiennement à l’heure du déjeuner sur France 3 entre 2000 et 2009. C’est en partant de ce constat que le chef Joël Robuchon et Guy Job, respectivement animateur et producteur des émissions citées précédemment, ont travaillé début 2000 sur un projet de chaîne thématique entièrement dédiée à la cuisine en partenariat avec France Télévisions. D’autant plus que des chaînes de la même thématique existaient à l’étranger, notamment au Royaume-Uni, en Italie ou encore en Espagne.
Toutefois, la future Gourmet TV n’était pas seule. Dominique Farrugia, figure emblématique de Canal+ et patron de la chaîne « Comédie! », travaillait également sur un projet de chaîne dédiée à la cuisine et destinée à Canalsatellite, intitulée « TV Gourmand », en association avec le groupe Pathé.
Avant même leur lancement, les deux chaînes concurrentes s’affrontaient sur le terrain judiciaire. Guy Job considérait que le nom de « TV Gourmand » était trop proche de « Gourmet TV », et donc un facteur de concurrence déloyale. Le producteur a souligné avoir déposé cette marque en 1996, lors du lancement de « Cuisinez comme un grand chef » sur TF1. L’ex-Nul a alors décidé de régler le litige en changeant le nom de TV Gourmand en Cuisine TV, officiellement sous prétexte que des enquêtes auprès du public auraient démontré que le nom original connotait « trop pâtisserie ».
Dans l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde » sur France 3, Dominique Farrugia déclarait vouloir faire de Cuisine TV une chaîne dédiée à la cuisine, mais pas ennuyeuse, en précisant « ne pas avoir envie d’avoir Joël Robuchon, les yeux révulsés façon lapin pris dans les phares, en train de dire : « Aujourd’hui nous allons singer le chevreuil ». » Une phrase qui aura suffi à faire réagir Éric Brion, alors directeur de la diversification et des nouvelles chaînes thématiques de France Télévision : « Il existe une tradition culinaire qui est un élément fondamental du patrimoine français. C’est quelque chose que l’on doit prendre en compte et respecter quand on a un projet de chaîne gastronomique. On ne peut pas se moquer comme ça ouvertement des grands chefs ! »
Pour leur chaîne, Joël Robuchon et Guy Job misaient sur des noms connus de la cuisine, avec une tête d’affiche : le cuisinier Michel Oliver, animateur dans les années 1980 de « La vérité est au fond de la marmite » sur Antenne 2. Si Gourmet TV pouvait compter sur l’important stock d’émissions de Joël Robuchon sur TF1 et France 3, la chaîne reposait sur trois longs programmes rediffusés au long de la journée : de 9 heures à 11 heures, l’émission matinale de Michel Olivier intitulée « Cuisinez comme un grand chef ». Son fils Bruno Oliver, restaurateur prenait le relais avec « Planète gourmande », une émission de deux heures qu’il animait en compagnie de Laurence Doblac. Ils évoquaient, avec certains des cent grands chefs qui avaient accepté d’être consultants, les plats du terroir, mais aussi des spécialités typiquement étrangères. Enfin, des documentaires et des reportages étaient proposés dans une session baptisée « À la Carte ».
Dédiée aux amateurs de cuisine, le positionnement de Gourmet TV se voulait grand public et qualitatif. Le « Club des Chefs » qui regroupait autour de Joël Robuchon 180 noms prestigieux et totalisait, selon la chaîne, 160 étoiles au Guide Michelin, se devait d’être un gage de qualité et de sérieux vis-à-vis du public, avec une consigne : veiller à ce que les chefs présentent des recettes accessibles « avec des produits disponibles en supermarché ».
Disposant d’un budget de 7 millions d’euros, Gourmet TV tablait sur la publicité, le parrainage mais aussi sur le téléachat, avec d’un côté les produits classiques comme l’électroménager et de l’autre les produits vendus dans leurs restaurants par les chefs.
Avec un lancement initialement prévu le 29 septembre 2001 sur le câble et le 6 octobre 2001 sur CanalSatellite, celui-ci a dû être différé « en raison des répercussions sur l’économie et notamment sur le marché publicitaire » des attentats du 11 septembre aux États-Unis. De plus, la multiplication des chaînes thématiques à la fin des années 1990, sur un marché publicitaire non-extensible, commençait également à poser des difficultés aux différents groupes à la recherche d’un équilibre financier.
C’est dans ce contexte que Gourmet TV a cherché à fusionner avec sa concurrente Cuisine TV, lancée en avril 2001, selon le souhait de Guy Job dans une interview au Figaro datant du 29 septembre 2001. Des pourparlers qui resteront sans suite mais qui laissent penser qu’il n’y avait pas la place pour deux au pays de la gastronomie.
Lancée officiellement le 20 mars 2002, la vie de Gourmet TV ne sera pas un long fleuve tranquille. Malgré une tentative de rapprochement ratée avec Cuisine TV, les deux chaînes culinaires se livreront de multiples batailles judiciaires.
Décembre 2003, Gourmet TV obtient en référé l’interdiction pour la chaîne Cuisine TV d’utiliser le slogan « chaîne de la Gastronomie et l’Art de Vivre » qui est le sien. Quelques mois plus tard, c’est Bertrand Méheut (président du directeur de Canal+) et son conseiller Dominique Farrugia qui sont attaqués en justice par Joël Robuchon. Le grand chef se plaint de pratiques discriminatoires et de non-respect de la loi audiovisuelle par CanalSatellite.
Joël Robuchon reproche à CanalSatellite (mais aussi à TPS) de favoriser les chaînes dont ils sont diffuseurs mais aussi actionnaires et soupçonne sa concurrente de bénéficier d’avantages financiers dans le contrat qui le lie au bouquet de Canal+. Il a alors découvert que le programme rival Cuisine TV ne payait pas les frais de transport du signal télévisé à CanalSatellite. « Nous, nous l’avons payé et cela représente 490 000 euros pour la période de mars 2002 à janvier 2003 », regrette Guy Job. Autre avantage dont CanalSatellite ferait bénéficier Cuisine TV mais pas Gourmet TV : le versement de redevances que les chaînes perçoivent du diffuseur en échange de la mise à disposition de leurs programmes. Cuisine TV aurait ainsi touché 2,15 millions d’euros en 2003, Gourmet TV pas un centime. « Les chaînes directement ou indirectement liées à CanalSatellite bénéficient soit du transport gratuit de leur signal, soit du paiement de redevances, soit des deux avantages cumulés », s’étonne François Joubert, avocat de Joël Robuchon.
Plus généralement, le grand chef est surpris par les distorsions entre les redevances touchées par les chaînes de la famille Canal+ et celles qui lui sont étrangères. Robuchon sort le rouleau à pâtisserie et cesse tout paiement en janvier 2003. C’est l’escalade. Le chef n’a pas non plus digéré sa relégation aux oubliettes sur le canal 94 de CanalSat tandis que Cuisine TV, sur le canal 14, jouissait, selon lui, d’une bien meilleure exposition au zapping.
Toutefois, une autre explication existe : lors de la création de Gourmet TV, les deux dirigeants ont proposé aux différents opérateurs la gratuité de leur reprise afin de s’assurer la reprise la plus large possible, dans l’espoir de toucher une audience maximale. Les recettes publicitaires étant minimes et ne percevant aucune rémunération de la part des opérateurs, le business plan de Gourmet TV tombe à l’eau et se retrouve en grande difficulté financière.
De plus, jusqu’à l’automne 2003, Cuisine TV appartenait à 66% au groupe Pathé, les 34% restants étant la propriété de Dominique Farrugia et son associé Olivier Granier. Dans cette affaire, l’ancien Nul va jusqu’à cumuler les toques : au four, il est actionnaire de Cuisine TV ; au moulin, il dirige la chaîne Canal+ d’avril 2002 à février 2003. En octobre 2004, Pathé vend ses parts dans Cuisine TV au groupe Canal+, Dominique Farrugia reste dans le tour de table.
Cette bataille judiciaire se soldera en échec pour Gourmet TV qui après avoir perdu en première instance et en appel, s’est pourvue en cassation contre un arrêt de la Cour d’appel de Paris la déboutant de ses demandes financières dans le conflit qui l’oppose à CanalSatellite et porte plainte auprès de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
Un échec de plus : La chaîne est condamnée à payer 2,7 millions d’euros au bouquet satellite du groupe Canal+. Guy Job a investi en pure perte 7 à 8 millions d’euros dans Gourmet TV.
Le 1er avril 2005, après trois ans de diffusion et une longue bataille judiciaire, Gourmet TV cesse d’émettre. Guy Job expliquait être contraint d’interrompre la diffusion de la chaîne suite à la privation de toute ressource de la part des opérateurs en provenance des abonnements et obligés de payer au prix fort les coûts de transport satellitaire.
Cette parenthèse culinaire n’empêchera pas Joël Robuchon et Guy Job de poursuivre leurs aventures télévisuelles sur France 3 jusqu’en 2009.