Le meilleur du numérique

Le meilleur du numérique : première partie

Le meilleur du numérique : première partie


Les grands groupes médiatiques européens et mondiaux s’engagent dans une compétition féroce, multipliant accords, contre-alliances et stratégies pour définir les normes techniques et dominer le marché.

Le récap' de l'épisode précédent


  • Au début des années 1990, l’Allemagne va connaître la création d’une dizaine de nouvelles chaînes thématiques sur le câble.
  • Avec un taux de pénétration du câble de 54% en 1991, le pays suscite l’enthousiasme de nombreux groupes audiovisuels européens qui voit l’Allemagne comme un tremplin pour la télévision payante.
  • Dans ce contexte, Premiere – détenue par Canal+, Kirch et Bertelsmann – réfléchit à des déclinaisons de sa chaîne premium : une chaîne sportive, une chaîne documentaire et, surtout, une chaîne pour enfants qui, malgré de nombreux obstacles et une avancée significative du projet, ne verra finalement pas le jour.
  • À l’aube du lancement de la télévision numérique, perçue par de nombreux industriels comme une véritable « poule aux œufs d’or », la chaîne payante commence à connaître ses premières dissensions entre ses actionnaires.

Le numérique promet de transformer radicalement l’offre et la consommation des contenus télévisuels. Face à cet enjeu majeur, les grands groupes médiatiques européens et mondiaux s’engagent dans une compétition féroce, multipliant accords, contre-alliances et stratégies pour définir les normes techniques et dominer le marché.

Octobre 1992 : Murdoch et Canal+ s'allient pour préparer la télévision numérique


Face à la multiplication des chaînes au début des années 1990, la technologie analogique va vite montrer ses limites. C’est dans ce contexte que deux géants européens de l’industrie audiovisuelle vont unir leurs forces : d’un côté, Rupert Murdoch, le magnat australien à la tête de NewsCorp. et propriétaire du bouquet britannique BSkyB. De l’autre, le groupe français Canal+, leader européen de la télévision à péage. Leur ambition commune : préparer l’arrivée de la télévision numérique sur le Vieux Continent.

L’enjeu est important. La compression numérique promet de bouleverser les équilibres établis en permettant la multiplication des chaînes dans un même espace de diffusion. Au-delà de l’aspect technique, c’est toute l’économie du secteur qui s’apprête à être redessinée.

L’alliance passe au crible tous les nouveaux services que permettra la télévision numérique : chaînes thématiques, télévision à la carte avec le pay-per-view… Les deux groupes s’organisent rapidement : un groupe de travail est constitué, rassemblant leurs principaux dirigeants avec un mandat de six mois pour se fixer un programme d’actions et définir les modalités opérationnelles. L’accord prévoit notamment la création d’une ou plusieurs sociétés communes pour développer des futurs services, les standards de cryptage et de transmission compatibles avec la télévision numérique. Une étape technique décisive qui déterminera les futures modalités d’accès aux contenus et les infrastructures matérielles nécessaires pour les foyers européens.

L'accord Canal+/NewsCorp.


Annoncée le 8 octobre 1992, l’alliance entre les deux groupes avait pour objectif de « développer de nouveaux services de télévision en Europe, s’appuyant sur les technologies futures de transmission par satellite, de compression numérique et de cryptage ».

Canal+ et NewsCorp. privilégiaient une approche flexible, dans laquelle les partenaires habituels des deux groupes étaient associés aux projets pays par pays, tout en permettant à chacun de conserver son autonomie pour le développement de leurs différents services.

À travers ces projets communs, les deux alliés veulent verrouiller le marché des nouveaux services de télévision numérique. D’où l’intérêt de contrôler le marché des décodeurs comme l’affirme Marc Tessier, alors président de Canal+ International, dans un entretien au Figaro le 9 octobre 1992 : « l’avenir appartient à ceux qui sont en mesure de multiplier les offres à leurs abonnés en utilisant une boîte unique. (…) En télévision payante, le ticket d’entrée est chaque jour plus élevé. La prime va donc au premier arrivé. »

Leaders sur leurs marchés respectifs (France, Espagne, Belgique et Allemagne pour Canal+, Royaume-Uni pour BSkyB), les deux groupes voient dans la télévision numérique l’opportunité de devancer non seulement leurs concurrents européens mais aussi américains. Marc Tessier ajoute que « le contrôle de la technologie de transmission numérique permettrait d’imposer ses normes sur le marché ». Cette « Europe des décodeurs » promu par deux géants privés s’oppose directement à l’approche de la Communauté économique européenne (CEE), qui privilégie des normes publiques et « ouvertes » basées sur la télévision analogique.

En décembre 1992, la CEE initie une étude sur les potentielles positions dominantes de BSkyB et Canal+ dans le domaine du cryptage des programmes. Au Royaume-Uni, plusieurs chaînes indépendantes dénoncent alors leur impossibilité d’accéder au système Videocrypt, propriété de BSkyB.

L’alliance ne dure que quelques mois. En septembre 1993, NewsCorp critique ouvertement Canal+ pour sa réticence à élargir le partenariat à d’autres acteurs et finit par claquer la porte. Le magnat australien forme alors une nouvelle alliance avec Silvio Berlusconi, Leo Kirch et des partenaires techniques tels que Comstream et NTL.

Cet échec préfigure les importantes restructurations qui vont bouleverser le paysage audiovisuel européen dans les mois qui suivent. Il annonce également un déplacement du centre de gravité vers l’Allemagne, où Canal+ et ses concurrents s’engageront dans une lutte acharnée pour le contrôle du plus grand marché de télévision par câble en Europe.

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En novembre 1992, Canal+ a lancé Canalsatellite, un nouveau bouquet analogique sur satellite destiné à la France.
BSkyB a suivi avec Sky Multi-Channels, toujours en analogique en septembre 1993.

L'Allemagne, théâtre des ambitions numériques européennes


Au début de l’année 1994, tous les regards se tournent vers l’Allemagne. Avec ses 13 millions d’abonnés au câble, le marché allemand fait figure de pierre angulaire dans la bataille européenne de la télévision numérique. Le pays est déjà le terrain de jeu de plusieurs géants des médias : Bertelsmann et Kirch côtoient le français Canal+ dans la chaîne cryptée Premiere. Mais l’arrivée annoncée de la télévision numérique va rebattre les cartes et déclencher une série de manœuvres stratégiques d’une ampleur inédite.

Février 1994 : Deutsche Telekom et la tentative Media Service


En février 1994, Deutsche Telekom ouvre le bal avec la création du consortium Media Service GmbH (MSG). Ce dernier regroupe Bertelsmann et le groupe Kirch, et vise à assurer la gestion commerciale de l’ensemble des nouvelles chaînes payantes et des services téléphoniques sur le réseau câblé allemand. Les trois groupes se fixent alors un triple objectif :

  • Définir un mode de cryptage pour la télévision par câble en Allemagne
  • Le choix d’un fabricant de décodeurs
  • Assurer la gestion commerciale de l’ensemble des nouveaux services numériques.

Cette alliance, orchestrée par Deutsche Telekom, réunit trois acteurs majeurs aux compétences complémentaires dans le paysage médiatique allemand :

Bertelsmann, actif dans l’édition de livres, la musique et la télévision, apporte son expertise dans les médias. Via sa filiale UFA, le groupe dispose d’un accès aux contenus attractifs pour la télévision payante, notamment les droits sportifs et les films. Il est également actionnaire de RTL Television, principale chaîne privée outre-Rhin.

Leo Kirch, principal actionnaire de Taurus, s’impose quant à lui comme le plus grand fournisseur de contenus audiovisuels et de droits cinématographiques en Allemagne. Son groupe contrôle les chaînes câblées Sat.1 et DSF.

Enfin, Deutsche Telekom, véritable architecte du projet, apporte l’infrastructure essentielle. En tant que principal opérateur de télécommunications et propriétaire de la quasi-totalité des réseaux câblés du pays, il dispose d’un accès direct à des millions de foyers. Sa position est d’autant plus stratégique qu’il contrôle les développements techniques liés à la numérisation de la bande hyperfréquence, nécessaire pour l’extension de la télévision numérique.

Au-delà des intérêts individuels de ces trois groupes, l’enjeu est continental. Dans les couloirs des groupes audiovisuels européens, une conviction s’impose : celui qui parviendra à contrôler les infrastructures numériques allemandes, en particulier les décodeurs et les systèmes de cryptage, disposera d’un levier puissant pour imposer ses normes technologiques et commerciales à l’échelle du continent.

C’est dans ce contexte que, le 28 juin 1994, la Commission européenne suspend cette alliance en raison de doutes sérieux identifiés quant à son impact sur la concurrence. Elle ouvre, en juillet 1994, une enquête sur le projet de création de Media Service par Bertelsmann, Telekom et Kirch après une plainte de la CLT (et de sa filiale RTL Television) ainsi que de l’éditeur Bauer. Elle craint que MSG puisse imposer un standard unique de décodeurs, limitant ainsi la concurrence pour les nouveaux entrants sur le marché de la télévision payante. Conséquence, l’ARD qui devait prendre 10% de MSG aux côtés des trois autres groupes, renonce à un tel projet, n’ayant pas pu obtenir une garantie claire qu’il n’existerait pas d’accords déjà préétablis entre les trois fondateurs du consortium.

Les autorités européennes feront preuve de réactivité. Elle interdit Media Service pour des raisons de droit de la concurrence le 9 novembre 1994. Pour la commission, la création de MSG renforcerait la position de Bertelsmann et Kirch sur le marché de la télévision payante en éliminant toute concurrence potentielle. De même pour Deutsche Telekom qui pourrait ainsi renforcer sa domination sur le marché de la télévision par câble et rendre difficile l’entrée de nouveaux concurrents après la libéralisation (alors) prévue du marché en 1998.

Au sein de Media Service, un absent de taille : Canal+. Partenaire de Bertelsmann et de Kirch au sein de la chaîne Premiere, le groupe français va lui aussi tenter de se faire une place sur le marché allemand, tant convoité…

L'alliance Canal+ / Bertelsmann


Le 3 mars 1994, au lendemain de la création de Media Service, Canal+ et Bertelsmann frappent un grand coup : la signature d’un protocole d’accord visant à la création d’une société commune dans le domaine de la télévision payante. Un projet qui se concrétise quatre mois plus tard, le 21 juillet, par la signature d’un accord-cadre. L’ambition est claire : développer ensemble de nouveaux services de télévision payante à l’échelle européenne.

Cette alliance n’est pas née du hasard. En 1989, ils s’associent pour lancer une chaîne à péage sur le marché allemand, Premiere. Le projet prend de l’ampleur en 1990 avec l’arrivée du magnat des médias Leo Kirch, qui apporte dans la corbeille les abonnés de sa chaîne Teleclub. Une manœuvre stratégique qui évite une guerre commerciale coûteuse.

Les ambitions communes ne s’arrêtent pas là. Dès le 22 décembre 1993, des négociations sont menées afin de faire entrer Bertelsmann au capital de Canal+, ce que André Rousselet, alors patron de la chaîne cryptée, révélera dans son réquisitoire contre Édouard Balladur (Édouard m’a tuer). Si ce projet de participation capitalistique échoue, l’idée d’une alliance stratégique fait son chemin. C’est Pierre Lescure, successeur d’André Rousselet, qui la concrétisera finalement dans le secteur de la télévision numérique.

D’un montant d’environ 2 milliards de francs sur trois ans, cet accord signé à l’été 1994 prévoit, sous réserve de l’approbation projet par projet de leurs conseils respectifs, une coopération technologique et financière pendant trente ans, révisable tous les cinq ans. Les décisions stratégiques, comme l’entrée de nouveaux partenaires, seront prises conjointement et la nomination des dirigeants de filiales sera déterminée par la zone linguistique : Bertelsmann pour l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse germanophone et Canal+ pour la France, l’Espagne, la Belgique et la Suisse francophone.

Pour la chaîne cryptée, cette alliance lui permettra de pénétrer le marché du câble outre-rhin considéré comme le plus prometteur d’Europe avec environ 16 millions d’abonnés en 1994 et ainsi exporter sa série de chaînes thématiques ainsi que sa technologie en matière de décodeurs.

Absent de Media Service, Canal+ espère que son accord avec Bertelsmann lui ouvre une porte d’entrée au sein du consortium. Le groupe français est lucide : « Avec ses 13 millions d’abonnés au câble, le marché allemand est incontournable. Celui qui contrôlera les décodeurs en Allemagne contrôlera à terme près de 50% du marché européen du câble ». Toutefois, il a fallu attendre les premières embuches pour que Bertelsmann propose à son partenaire français de reprendre les 10% laissés vacants par l’ARD. Prudent, Canal+ préfera attendre les résultats de l’enquête de Bruxelles avant de prendre toute décision…

En parallèle, Bertelsmann envisage de tisser de nouveaux liens avec Canal+ au cas où si l’aventure MSG tourne court, en lui proposant une entrée dans le capital de sa chaîne VOX, lourdement déficitaire et en liquidation.

VOX : l'échec de Bertelsmann


VOX est mise en liquidation judiciaire le 1er avril 1994, après quinze mois d’existence. La chaîne allemande, lancée le 25 janvier 1993, misait sur une programmation ambitieuse axée sur les émissions en direct et l’information pour concurrencer les chaînes publiques. Le format s’avère trop coûteux. Avec seulement 1,9% de part de marché en janvier 1994, loin des 6% nécessaires à sa viabilité, VOX accumule plus de deux milliards de francs de pertes. Le retrait de Bertelsmann, principal actionnaire avec 39,4% des parts, précipite la mise en liquidation judiciaire. La chaîne maintient toutefois ses émissions après le 1er avril avec une équipe réduite à 60 personnes, contre 300 au lancement, notamment pour honorer les contrats publicitaires en cours. Reprise par Rupert Murdoch le 1er novembre 1994 avec un recentrage sur le divertissement, la chaîne retournera dans le giron de Bertelsmann (via la CLT-UFA) en décembre 1999.

L’alliance entre les deux groupes prend forme concrètement dès septembre 1994, quand la chaîne cryptée entre à hauteur de 24,9% dans VOX. L’opération s’inscrit dans une restructuration plus large du capital, avec Rupert Murdoch comme nouvel opérateur majoritaire (49,9%), aux côtés de Bertelsmann (24,9%) et de la société de production DCTP d’Alexander Kluge (0,3%).

Cette première étape enclenche une dynamique de participations croisées. En décembre 1994, Bertelsmann entre au capital de la Société européenne de contrôle d’accès (SECA), la filiale de Canal+ dédiée au développement de la technologie numérique.

Quelques mois plus tard, le 22 mars 1995, les ambitions communes se concrétisent sur le terrain des droits, avec la création de Canal+ UFA. Cette société paritaire, qui réunit UFA-Films Fernseh-GmbH et Canal+ Droits Audiovisuels, vise à constituer un catalogue européen de programmes de fiction et d’animation. Si le montant exact des investissements reste flou, cette opération s’inscrit dans l’enveloppe globale de 2 milliards de DM sur trois ans.

Le 28 juillet 1995, Bertelsmann renforce l’alliance en entrant à hauteur de 23,75% dans la Monégasque des Ondes, opérateur de Monte-Carlo TMC. Cette prise de participation place Bertelsmann à parité avec Canal+, tandis que la Générale d’Images conserve 47,5% du capital et que MMP détient les 5% restants. Un investissement modeste mais significatif, qui illustre la volonté des deux groupes de collaborer étroitement dans le développement des futurs bouquets numériques.

Ces opérations successives dessinent une stratégie méthodique. De la SECA à la Monégasque des Ondes, en passant par Canal+ UFA, les deux groupes construisent leur alliance sur trois piliers : la maîtrise technologique des accès numériques, le contrôle des contenus à l’échelle européenne, et la multiplication des canaux de distribution.

Monte-Carlo-TMC

En 1993, AB Groupe et Fidimages (filiale de la Générale des eaux) fondent la Société de programme monégasque des ondes (MDO). L’objectif est de relancer TMC pour en faire une grande chaîne généraliste du câble. La programmation est entièrement repensée par Ellipse Câble, filiale de Canal+, et lancée le 13 octobre 1993 avec une identité axée sur des contenus familiaux et plus « chic », valorisant la Principauté de Monaco et le monde méditerranéen. La chaîne diffuse 18 heures de programmes originaux hebdomadaires, s’appuie sur le catalogue de Canal+ et fait appel à des animateurs célèbres comme Denise Fabre et Patrick Sabatier. En 1995, Canal+ et Bertelsmann acquièrent 47,5 % de MDO, partageant ainsi le contrôle avec la Générale des eaux, tandis qu’AB Groupe conserve une participation de 5 %.

Et la CLT dans tout ça ?


En décembre 1994, Pierre Dauzier lance un pavé dans la mare. Le PDG d’Havas exprime publiquement son souhait de rapprocher Canal+ de la Compagnie Luxembourgeoise de Télédiffusion (CLT). Une proposition qui ne doit rien au hasard : Havas, actionnaire important des deux groupes, tire une part substantielle de ses bénéfices de la réussite de Canal+ et assure, via sa filiale IP, toute la régie publicitaire de la CLT jusqu’en 2000.

La réaction de Canal+ ne se fait pas attendre. Pierre Lescure, agacé, rappelle que « son groupe n’avait pas mené de vie commune avec la CLT ». Le dirigeant de la chaîne cryptée tend néanmoins une perche en se disant « prêt à proposer à la CLT un accord technologique dans le domaine du numérique, incluant un décodeur commun ». Une ouverture qui n’est pas anodine alors que la holding luxembourgeoise prépare « Club RTL », son propre bouquet numérique destiné aux marchés français et allemand, avec déjà sept répéteurs réservés sur le satellite Astra à l’été 1995.

Cette initiative d’Havas a le mérite de poser ouvertement la question des alliances dans l’audiovisuel européen. Face aux investissements colossaux qu’exige le passage à la télévision numérique, aucun groupe ne peut faire cavalier seul. Les discussions se multiplient : TF1 négocie avec Canal+ et la CLT, qui elle-même cherche à s’allier avec Canal+… En toile de fond, une crainte commune : voir la CLT s’associer avec un géant américain.

Mais ces velléités de rapprochement vont rapidement se heurter à une autre réalité : la bataille qui oppose la CLT à Bertelsmann pour le contrôle de RTL Television, la première chaîne privée allemande…

Au coeur des enjeux se trouve RTL Television


Principale chaîne privée allemande et filiale phare de la CLT, RTL Television est une véritable machine à cash, dégageant un bénéfice net de 110 millions de DM sur un chiffre d’affaires de 1,882 milliard en 1994. Forcément, cette rentabilité suscite de nombreuses convoitises. Le 21 juillet 1995, Bertelsmann profite d’une opportunité pour renforcer sa position. En rachetant les parts des groupes de presse WAZ (10%) et Burda (2%) dans RTL Television, le géant allemand fait jeu égal avec la CLT, qui détenait jusqu’alors 49,9% du capital. Un coup de force qui ne plaît guère à la holding luxembourgeoise, qui conteste une partie de l’opération devant la justice.

S’ensuit alors une vaste bataille judiciaire, où la CLT obtiendra d’un tribunal d’Essen le blocage provisoire d’une partie du rachat des actions de Bertelsmann. Mais le tribunal de Hambourg confirmera par la suite le rachat par Bertelsmann des 2% de RTL à Burda, tout en lui déniant l’utilisation des droits de vote supplémentaires. Bertelsmann fera appel de cette décision. Cette lutte pour le contrôle de RTL Television prend même une tournure diplomatique. Le Grand-Duché de Luxembourg, par la voix de son ex-Premier ministre Jean-Claude Juncker, déclare que la tentative de prise de contrôle de Bertelsmann « va à l’encontre des bonnes relations économiques » entre l’Allemagne et le Luxembourg.

Finalement, le 13 octobre 1995, un tribunal d’Essen rejette la demande d’interdiction de cession de la participation de 1% de la Frankfurter Allgemeine Zeitung à la WAZ. Bertelsmann et la WAZ deviennent ainsi actionnaires majoritaires de RTL Television. Mais la CLT porte plainte « sur le fond » le 7 novembre, affirmant détenir un droit de préemption sur la chaîne et entendant obtenir la confirmation de ses droits.

Parallèlement, le 4 août 1995, Deutsche Telekom annonce choisir le système de contrôle d’accès de Canal+ et Bertelsmann. Ce qui ouvre à la SECA un marché potentiel de 23 millions de foyers câblés.

Ce n’est pas qu’un simple accord avec le principal opérateur téléphonique outre-rhin, c’est une résurrection de Media Service.

Deutsche Telekom réunit tout le monde


Le 17 août 1995, Bertelsmann, Deutsche Telekom, Canal+, la CLT et les chaînes publiques allemandes ARD et ZDF conviennent de fonder la société d’exploitation multimédia MMBG (pour MultiMedia BetriebGesellschaft). Le successeur de Media Service est destiné à fournir des décodeurs pour la réception de programmes numériques à travers une norme commune. Ce nouveau consortium réunit les principaux groupes privés et publics du pays et un accord sera annoncé le 2 octobre 1995.

Pour Canal+ et Bertelsmann, c’est une occasion de s’imposer sur le marché allemand. Au terme de 8 mois de négociations laborieuses, émaillées de fortes tensions avec Havas, Canal+ conclut son accord technologique avec la CLT dans la télévision. SECA accorde à la CLT pour une période de quinze ans la licence européenne d’utilisation du système de contrôle d’accès numérique intitulé “Mediaguard” qui permet aux téléspectateurs d’accéder aux programmes et services payants qui seront proposés par les diffuseurs dans leurs futurs bouquets numériques.

Concrètement, la CLT va pouvoir utiliser le décodeur numérique de Canal+ pour lancer son propre bouquet de télévision payante en France et en Allemagne à la fin de l’année 1995. De plus, le groupe luxembourgeois entre à hauteur de 13% dans la SECA et dispose d’un droit de regard sur les développements futurs de l’exploitation du système, son extension éventuelle dans d’autres pays européens et un siège au conseil d’administration de la SECA.

Même si l’accord ne prévoit pas de “gestion concertée” des bouquets de programmes, comme le PDG du groupe Havas, Pierre Dauzier, en avait initialement caressé le souhait, il ne cache pas sa grande satisfaction.

Tous les acteurs échangent entre eux, malgré quelques querelles judiciaires en toile de fond. Mais un absent de taille se distingue : Leo Kirch, leader des droits audiovisuels en Allemagne, co-actionnaire de Premiere et propriétaire de Sat.1 et DSF. Un silence qui ne tardera pas à être rompu.

ÉPISODE 3

Premiere(s) difficultés


Nouvelles chaînes, nouveaux concurrents et des rivalités de plus en plus croissantes


Premiere(s) difficultés

Premiere(s) difficultés


Nouvelles chaînes, nouveaux concurrents et des rivalités croissantes.

Le récap' de l'épisode précédent


  • Lancée le 28 février 1991, Premiere est la déclinaison allemande de Canal+.
  • Elle assume d’être une télé « pas comme les autres ». Au programme, du cinéma, du sport et des émissions de qualité en clair. Parmi elles, un talk-show quotidien « 0137 », une émission satirique « Kalkofes Mattscheibe » ou encore le « Zapping ».
  • L’habillage de la chaîne est confiée au designer britannique Neville Brody. À l’image de Canal+, Premiere se distingue par une identité de marque singulière et raffinée, imaginée par le designer britannique Neville Brody.

Deux ans après son lancement en février 1991, la chaîne à péage allemande affiche un succès notable. Dans un pays où le taux de pénétration de la télévision par câble atteint 54% en 1991, Premiere a su capter l’attention de plus de 625 000 abonnés. Forte de cette réussite, la chaîne suscite l’enthousiasme de ses actionnaires, qui projettent déjà de développer des chaînes thématiques, suivant l’exemple de Canalsatellite en France ou de Sky Multi-Channels au Royaume-Uni.

De la télévision pour tous à la télévision pour chacun


Au début des années 1990, l’Allemagne va connaître l’arrivée de nouvelles chaînes sur le câble et le satellite qui vont redessiner le paysage audiovisuel allemand. Parmi les dernières-nées, DSF, entièrement consacrée au sport, commence sa diffusion le 1er janvier 1993. Elle est suivie de VOX, orientée vers l’information et le divertissement, lancée le 25 janvier, puis de RTL 2, le 6 mars. Ces chaînes viennent étoffer le choix offert aux téléspectateurs, propulsant le marché allemand comme l’un des plus dynamiques d’Europe.

Cette expansion s’accompagne d’une forte implication des géants du secteur Leo Kirch et Bertelsmann dans la quasi-totalité des nouvelles chaînes commerciales : Bertelsmann est présent dans RTL, RTL 2 et VOX et Kirch détient des parts dans Sat.1, ProSieben, Kabel eins et DSF. Face à cette concurrence accrue, les dirigeants de Premiere envisagent dès avril 1993 une diversification de leur offre, avec le lancement d’une chaîne jeunesse inspirée de Canal J (où Canal+ est actionnaire).

Un projet qui rappelle "Canal+ Famille"


Dès 1987, la chaîne cryptée a travaillé sur un projet de chaîne familiale, initialement prévu pour le satellite TDF 1, puis candidat à l’obtention de fréquences hertziennes en plus d’une diffusion par satellite.

Chaîne payante, destinée à un public d’enfants dans la journée, familiale le soir, Canal+ Famille devait être vendue 80 francs par mois (60 francs aux abonnés de Canal+ déjà équipés d’un décodeur) et gratuite sur le câble (en échange d’une redevance de 10 francs par mois et par abonné).

Toutefois, le PDG de Canal+ André Rousselet n’obtiendra pas des pouvoirs publics ce septième réseau hertzien. En décembre 1989, il change de stratégie et sera candidat à une fréquence sur TDF 1 pour diffuser une version allemande de Canal+ qui sera … Premiere.

Le potentiel du marché des programmes jeunesse est considérable. Près de trois quarts de l’audience des 6-13 ans se concentre en 1994 sur les programmes pour enfants des chaînes commerciales, tandis que Lothar Hunsel, directeur général de Premiere, souligne que “30 à 40% des 625 000 abonnés de Premiere sont des familles avec enfants”. L’attrait d’une chaîne jeunesse est donc stratégique : les coûts de production y sont plus abordables que ceux du sport ou des grands films, d’autant plus que le vaste catalogue de Leo Kirch pourrait largement couvrir les besoins en contenus, assurant ainsi une rentabilité certaine.

Pensée pour compléter l’offre de la chaîne principale, la future « Premiere 2 » se positionne comme une chaîne de qualité, avec une programmation segmentée par tranche d’âge. Des négociations avec des poids lourds comme Walt Disney et Turner sont envisagées pour structurer la grille de programmes, Turner étant déjà présent avec Cartoon Network, diffusée en clair et multilingue via Astra 1. En supplément de l’abonnement principal, cette nouvelle chaîne s’appuierait sur le décodeur de Premiere, capable de gérer jusqu’à six chaînes, et bénéficierait d’un budget initial de 50 à 100 millions de deutsche marks.

Cependant, l’enthousiasme initial se heurte rapidement aux complexités réglementaires. En mai 1994, les régulateurs des Länder refusent d’octroyer la licence de diffusion de Premiere 2. André Schirmer, porte-parole de la chaîne, exprime alors son inquiétude : « Nous ne pouvons pas engager d’investissements sans savoir quand l’autorisation sera délivrée. » Ce blocage repose en grande partie sur une clause instaurée dès la fondation de Premiere en 1991, prévoyant que tout projet de télévision payante devait obtenir l’accord de chacun des trois actionnaires, Bertelsmann, Leo Kirch et Canal+. Conçue pour préserver l’équilibre des partenaires, cette clause devient rapidement un frein au développement de nouvelles initiatives.

Les autorités, en particulier l’Office des médias de Hambourg (HAM), considèrent cette clause comme un obstacle à la concurrence dans un secteur en pleine expansion. Elles suggèrent même que son abrogation pourrait faciliter l’octroi de la licence pour Premiere 2. Mais, malgré la pression, les actionnaires demeurent inflexibles, laissant le projet dans une impasse réglementaire et stratégique.

La clause de concurrence au cœur des tensions


La clause de concurrence, initialement instaurée pour équilibrer les pouvoirs entre les actionnaires de Premiere, devient rapidement une source de tensions majeures. Leo Kirch, pilier de la télévision commerciale allemande, redoute que l’ouverture du marché ne mette en péril sa position dominante dans Sat.1 et DSF. Cette crainte s’oppose à la politique des autorités de régulation, qui, soucieuses de préserver une concurrence équitable, retardent l’octroi de nouvelles licences. Cette attitude prudente impacte directement le projet de chaîne jeunesse de Premiere, qui se voit compromis.

La clause de concurrence : kézako ?


À la création de Premiere, Canal+, Bertelsmann et Kirch se sont engagés à ne pas lancer de nouvelles chaînes payantes sans l’accord préalable des autres actionnaires.

Malgré ce climat tendu, Bernd Kundrun, nouveau directeur général de Premiere issu de Bertelsmann, annonce en août 1994 que la chaîne souhaite occuper une position de leader dans la transition imminente vers la télévision numérique. Cependant, le lancement de la chaîne jeunesse, prévu pour l’automne 1994, est reporté, le projet restant en suspens en attendant les décisions des régulateurs.

En septembre 1994, un nouvel espoir surgit : l’hebdomadaire Der Spiegel rapporte que les autorités des Länder seraient prêtes à accorder une licence pour Premiere 2, mais avec des conditions strictes. Les régulateurs imposent en effet que Bertelsmann et Kirch n’utilisent pas Media Service GmbH, filiale de Telekom, pour distribuer leurs contenus, afin de prévenir tout monopole qui entraverait l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché. Bien que la licence soit accordée, les divergences persistent : l’autorité des médias du Schleswig-Holstein (ULR) conteste la décision de l’Office des médias de Hambourg (HAM) et menace de saisir la justice pour clarifier la légitimité de ces conditions.

Pour l’ULR, la position prépondérante de Kirch et Bertelsmann dans l’audiovisuel allemand limite les possibilités de pluralisme dans l’offre télévisuelle. Par ailleurs, Premiere elle-même s’oppose à certaines des conditions imposées. Parmi celles-ci, l’obligation d’obtenir une autorisation préalable pour toute collaboration avec Media Service est qualifiée d’« inacceptable », la chaîne la considérant comme un frein coûteux et contraignant à la mise en œuvre de son projet.

La régulation de l'audiovisuel en Allemagne


Chaque land dispose de son propre organisme de régulation des médias (connue sous le nom de Landesmendienanstalt), qui délivre les licences de diffusion et veille à leur conformité avec les législations locales et nationales.

Les Landesmedienanstalten (autorités régionales) sont responsables de la délivrance des licences pour les chaînes de télévision, qu’elles soient diffusées par câble, satellite ou en ligne. Cela signifie que chaque chaîne doit obtenir une licence auprès de l’autorité du Land où elle est établie. Cette licence couvre alors la diffusion nationale par câble et satellite, selon les normes fédérales et locales.

Lorsqu’une chaîne souhaite diffuser sur plusieurs Länder ou sur tout le territoire allemand via le câble ou le satellite, les Landesmedienanstalten coordonnent leurs décisions par l’intermédiaire du Kommission für Zulassung und Aufsicht (ZAK). Ce comité évalue les demandes de licences en fonction de critères harmonisés, notamment la diversité, la transparence de la propriété, et les exigences techniques. Le ZAK émet des recommandations et assure que les décisions sont cohérentes entre les Länder.

La pression interne monte au sein de Premiere, et en mars 1995, Christophe Erbes, coordinateur du projet de chaîne jeunesse, quitte l’entreprise pour rejoindre Super RTL, un concurrent direct. Son départ révèle les failles croissantes dans la stratégie de la chaîne. En parallèle, le marché se complexifie avec l’arrivée de nouveaux acteurs : les chaînes publiques ARD et ZDF envisagent également de lancer une chaîne jeunesse, tandis que Nickelodeon, la chaîne américaine détenue par Viacom, obtient une autorisation pour entrer en Allemagne. Ce lancement est soutenu par un partenariat capitalistique avec Ravensburger, spécialiste allemand des jeux pour enfants, qui détient 10 % de la chaîne de Viacom. Ainsi, plusieurs séries de la filiale Ravensburger Film + TV GmbH pourraient être diffusées, renforçant la programmation de Nickelodeon pour le jeune public.

Partenaire de Bertelsmann au sein de RTL Television, la CLT s’associe avec Disney pour lancer Super RTL, pendant que Kirch, impliqué indirectement dans le projet de chaîne jeunesse de Premiere 2, prépare aussi en parallèle Fun TV, une chaîne gratuite dédiée aux programmes jeunesse. La concurrence s’intensifie pour ce segment de marché.

Face à cette multiplication des offres, notamment celles des chaînes gratuites financées par la publicité, Bertelsmann et Canal+ hésitent, redoutant un risque financier trop élevé. Kundrun, à la tête de Premiere, précise même : « Si deux chaînes pour enfants financées par la publicité arrivent à l’automne, il faut vraiment réfléchir à l’opportunité de lancer simultanément une autre chaîne payante. »

Confrontée à cette pression concurrentielle croissante, Premiere suspend son projet de chaîne jeunesse, préférant concentrer ses efforts sur une offre de multiplexage, inspirée du modèle de Canal+ en France. Cette option, jugée plus rentable, marque cependant la fin de l’ambition initiale d’une chaîne dédiée exclusivement aux jeunes. Ce premier affrontement autour de la programmation en Allemagne préfigure une bataille bien plus vaste pour la domination de la télévision numérique, chaque acteur cherchant à imposer sa vision et ses technologies dans un marché en pleine effervescence.

ÉPISODE 2

Canal+ s'exporte en Allemagne


Du cinéma, du sport et des émissions en clair, Canal+ exporte sa recette en Allemagne


Canal+ à la conquête de l'Allemagne

Canal+ à la conquête de l'Allemagne


Première déclinaison de la chaîne cryptée dans un pays non-francophone, Canal+ exporte sa recette à succès et son esprit outre-rhin

Le récap' de l'épisode précédent


  • Lancée le 1er novembre 1986, Teleclub était la première chaîne à péage outre-rhin. Pour un tarif mensuel de 29 DM, la chaîne promet des films anciens et récents, européens comme américains, issus du catalogue allemand de Kirch via sa société BetaTaurus et Paramount Pictures.
  • Leo Kirch, en tant qu’actionnaire majoritaire, avait pour associés les groupes Bertelsmann et Springer. Cependant, face aux résultats financiers décevants de la chaîne durant ses premières années d’existence, ces deux derniers ont choisi de se retirer de l’actionnariat en janvier 1988.
  • D’abord uniquement accessible sur les réseaux câblés de Hanovre. La chaîne élargit sa distribution sur les réseaux câblés de Düsseldorf, Duisberg, Ludwigshafen, Nuremberg et le plus grand réseau câblé de RFA, Berlin-Ouest. Ainsi, plus d’un million et demi de foyers ont la possibilité de recevoir la chaîne du « cinéma par câble ». Elle rejoindra ensuite le satellite Eutelsat FS-1 et Astra 1A.
  • Teleclub souffrira d’un énorme problème de piratage. L’introduction d’un nouveau système de codage en avril 1989 se révèlera être en échec, les décodeurs pirates se révèle être … plus performants que le décodeur original. Fun fact, la chaîne fut diffusée en clair par satellite jusqu’en mai 1989.

À la fin des années 1980, Canal+ a acquis une renommée critique grâce à l’excellence de ses programmes, notamment les émissions en clair qui ont commencé à forger la réputation de la chaîne cryptée. Les taux d’abonnement atteignent un sommet, la chaîne engrangent ses premiers bénéfices et s’impose rapidement comme le premier groupe audiovisuel français et européen. Cette prospérité financière incite Canal à diversifier ses activités : création d’Ellipse, une filiale dédiée à la production de programmes ou encore le lancement de déclinaisons internationales de la chaîne cryptée.

Si l’expansion dans l’espace francophone semble évidente avec le lancement de Canal+ TVCF (Télévision Communauté Française) en Belgique en août 1988 et un projet d’acquisition (rapidement abandonné) de la chaîne suisse dédiée au cinéma Télé Ciné Romandie la même année, son PDG André Rousselet saisit l’opportunité offerte par le développement de la diffusion par satellite à réception directe avec le programme TDF 1/TDF 2 pour proposer une version germanophone de la chaîne cryptée.

Le schéma économique d'implantation de Canal+ à l'international


Dans sa conquête européenne, le schéma d’implantation de Canal+ est simple : s’allier avec un partenaire local (la RTBF en Belgique, Prisa en Espagne…) et apporter toute la structure technique, commerciale et marketing nécessaire au développement de la chaîne. Ainsi, chaque déclinaison définit et conçoit ses programmes en fonction de son public, environ 25% de sa programmation, information, musique, magazine et bien sûr habillage d’antenne, qui porte sa griffe nationale, ce qui n’empêche pas de très fortement s’inspirer de la version française. 

Une impulsion industrielle et un vecteur de la culture européenne


À l’aube des années 90, le lancement des satellites TDF est au cœur des préoccupations du secteur audiovisuel français. Initié à la fin des années 70 et retardé à plusieurs reprises, ces satellites à haute puissance étaient censés permettre de diffuser des programmes télévisés sur une partie de l’Europe avec une simple parabole de petit diamètre (environ 50cm) et de promouvoir des innovations technologiques, dont la télévision en Haute Définition avec le standard D2Mac Paquet, destiné à remplacer le PAL et le SECAM.

André Rousselet, convaincu que l’avenir de la télévision résidait dans le câble et le satellite, ainsi que dans les nouvelles normes de diffusion qui ouvriraient la voie à la haute définition, a vu dans le satellite deux opportunités pour Canal+ : couvrir l’ensemble du territoire français pour attirer de nouveaux abonnés dans les zones où la réception hertzienne était impossible et diffuser de nouveaux programmes. Après avoir envisagé de lancer une nouvelle chaîne avec “Canal+ Famille”, la chaîne cryptée a renoncé à ce projet début 1988 pour privilégier une version germanophone de la chaîne à péage.

Le marché ouest-allemand n’a pas été choisi au hasard. Avec un fort taux de pénétration de la télévision par câble, près de 3 millions d’abonnés en 1988, et une population jugée avec un fort pouvoir d’achat, il était potentiellement intéressant pour la télévision payante. De plus, après l’échec du lancement du satellite TV-SAT 1 (jumeau allemand de TDF 1), l’autorité de tutelle, à savoir les ministres français et allemand des postes, a opté pour un accueil de programmes issus d’opérateurs allemands sur TDF 1. Le 28 octobre 1988, la fusée Ariane 2 a expédié le satellite TDF 1 à la position 19 degrés ouest.

En 1987, la CNCL avait retenu huit candidatures pour le satellite TDF 1


Parmi les heureux élus, on retrouvait La Sept, TF1, La Cinq, M6, Canal+ ainsi que Radio France, RFI et la Deutsche Bundespost pour des programmes radiophoniques. Toutefois, la nouvelle majorité issue des élections présidentielles et législatives de 1988 ont tout remis à plat. La nouvelle ministre de la communication Catherine Tasca ne voyait pas l’intérêt de faire monter des chaînes hertziennes sur le satellite et plaide plutôt pour mettre en avant des chaînes thématiques et nouvelles, justifiant l’achat de matériels nouveaux.

En quête d’un partenaire pour un lancement en Allemagne, André Rousselet s’est d’abord tourné vers Leo Kirch. Magnat allemand des médias, il était propriétaire de la chaîne commerciale SAT.1 ainsi que de la chaîne à péage dédiée au cinéma Teleclub. Cependant, les discussions ont rapidement tourné court. Kirch souhaitait avoir le contrôle opérationnel et commercial de la future chaîne, reléguant Canal+ au rôle de simple partenaire financier. Pas question pour le groupe français qui compte apporter son expertise marketing et technique.

Il restait alors le second acteur de la télévision commerciale en Allemagne, le numéro 1 mondial de la communication, Bertelsmann. Poids lourd du secteur avec 1,2 milliards de francs de profit en 1988, ce groupe était en concurrence frontale avec Kirch à la fois dans le domaine de la distribution cinématographique avec UFA-Film et dans le domaine de la télévision avec RTL Plus, détenue à parité avec la CLT. Pour le groupe, la télévision par abonnement était une fenêtre de programmation supplémentaire afin d’amortir les coûts des films et des droits sportifs.

Le 4 février 1989, Canal+ et Bertelsmann ont annoncé la constitution d’une société à parité, dans une société de droit allemand, pour lancer une chaîne à péage avec du cinéma, du sport et des émissions en clair. Canal Plus GmbH visait trois millions d’abonnés et une diffusion en D2Mac Paquet par satellite et le câble. Le même mois, le CSA français lance un appel à candidatures pour une exploitation des cinq canaux de TDF 1. 

L’enjeu qui conditionnera le succès de TDF 1 dépend en grande mesure de la combinaison technique et économique retenue pour faire payer les programmes au consommateur. Or, les antennes et les décodeurs coûtent chers : les industriels annoncent un prix d’environ 2 000 F pour l’antenne parabolique, auxquels s’ajoutent 4 000 F pour le décodeur D2 MAC.

André Rousselet le sait, l’expérience de Canal+ lui a appris qu’il est préférable de contrôler l’ensemble de la filière, de la diffusion à la réception des émissions.Cela pour éviter d’abord les mauvaises surprises techniques, les défaillances ou les diktats d’un fournisseur mais surtout pour rester maître ensuite de sa commercialisation et de son précieux portefeuille d’abonnés.

Deux mois plus tard, le 4 avril 1989, le PDG de Canal+ André Rousselet et le porte-parole de Bertelsmann (et ex-ministre des finances de la RFA) Manfred Lahnstein présente au CSA leur projet de candidature pour deux canaux de TDF 1 : Canal+ et sa version germanophone. Une proposition va particulièrement toucher le CSA : la location d’un boîtier satellite (au lieu et place d’une simple vente) avec un droit d’entrée de 400 francs couplée à l’achat d’une antenne parabolique à prix réduit. En plus de ses propositions industrielles, André Rousselet prend l’engagement d’associer les autres opérateurs à la logistique et à la promotion des nouvelles chaînes payantes.

Canal+ n’est pas seul. Face à elle, TF1 s’est associé avec Leo Kirch et Silvio Berlusconi pour proposer différents canaux sur le nouveau satellite (TF1, une chaîne dédiée à la famille et à la musique, une chaîne dédiée à la fiction, une chaîne dédiée au sport et une reprise de Teleclub en allemand). Cette alliance avec le plus gros détenteur de droits outre-rhin n’inquiète pas vraiment les équipes de la chaîne payante. Devant les sages du CSA, André Rousselet réplique en assurant que les distributeurs de films américains ne seraient pas mécontents de briser le monopole de Kirch sur l’Allemagne mais surtout il jouera la carte du rayonnement culturel européen. Il prend l’engagement de doubler le chiffre d’affaires du cinéma français en Allemagne en programmant dès la première année soixante-dix films, la moitié issu du cinéma français et l’autre du cinéma allemand, puis quatre-vingt-dix et centre vingt-cinq les années suivantes.

Autant d’arguments qui paieront et convaincront le CSA de lui accorder deux canaux sur TDF 1, au mois d’avril 1989. Dans la foulée, le groupe créé une filiale spécialisée dans les décodeurs avec “Eurodec”. En octobre 1989, Canal+ prend le contrôle de la société Tonna électronique, spécialisé dans la fabrication d’antennes satellites. Ainsi, la chaîne cryptée maîtrise la fabrication et la commercialisation des supports de diffusion.

En décembre 1989, Canal+ et Bertelsmann présente les contours de la future télévision à péage. Sous le nom de “Premiere”, la chaîne promet de proposer des films récents, des événements sportifs de premier plan, des documentaires haut de gamme ainsi que des émissions culturelles et artistiques. A côté des programmes en codés, des émissions en clair seront également proposé. Concernant le partage des rôles, Lothar HUNSEL, membre du directoire de la branche médias électroniques de Bertelsmann, prendra la gérance de la société d’exploitation, Canal Plus GmbH. Le conseil de surveillance sera présidé par Marc TESSIER, directeur du développement international de Canal+. La direction des programmes est confié au journaliste autrichien Rudi KLAUSNITZER, transfuge de la chaîne commerciale Sat.1.

Après avoir échoué à obtenir un canal sur TDF 1 et face à la compétitivité limitée de Teleclub qui perd de l’argent, Leo Kirch comprend que la présence de plusieurs acteurs sur le marché de la télévision payante entraînera une inflation des coûts sur les droits cinématographiques. Canal+ et Bertelsmann partagent cette opinion et accordent une place à Leo Kirch dans l’actionnariat de Premiere le 16 février 1990. Ainsi, la future chaîne payante récupère la base d’abonnés de Teleclub, estimée à 50.000 abonnés.

TDF 1/2 : des lancements entravés par des complications techniques


Avant même son lancement commercial, TDF 1 a été confronté à une série de pannes. En août 1989, un répéteur du satellite a cessé de fonctionner suite à des courts-circuits dans son alimentation électrique. Un an plus tard, en septembre 1990, la défaillance d’un tube d’émission à haute puissance a nécessité une redistribution des répéteurs entre les attributaires sélectionnés par le CSA.

C’est à la suite de ces incidents que la chaîne allemande a accepté de céder sa place au projet de chaîne sportive du service public français, Sports 2/3, en échange d’un canal de secours sur TDF 2. Parallèlement, Premiere dispose d’une option sur le satellite Astra, la chaîne Teleclub diffusant depuis septembre 1990 sur ce satellite aux côtés de diverses chaînes allemandes telles que RTL Plus, Sat.1, Pro 7, la chaîne publique culturelle 3sat, et sur le satellite allemand Kopernikus DFS 1.

TDF 2 a également connu une série de pannes. Lancé en juillet 1990, le satellite a rencontré ses premières pannes en octobre, rendant plusieurs canaux inutilisables … et notamment celui de Sports 2/3.

Dans le sillage de la réunification allemande de 1990, un nouveau marché s’est ouvert auprès des téléspectateurs de l’ex-RDA, une région dépourvue de télévision par câble et donc propice au développement du satellite. Les télévisions ont donc fait de la conquête de ce marché une priorité, ce qui a conduit à un abandon progressif de la norme D2 Mac Paquet au profit d’une version améliorée du PAL. Le PAL Plus, moins coûteux que le D2 Mac, a permis aux téléspectateurs d’éviter un remplacement coûteux de leur matériel. De plus, sa compatibilité avec la stéréo a éliminé un avantage précédemment détenu par le standard D2 Mac.

En conséquence, Premiere a rapidement abandonné, avant même son lancement officiel, la diffusion sur les satellites TDF et en D2 Mac, jugée trop coûteuse.

Esprit Canal Premiere


“La télévision, c’était hier. Aujourd’hui, c’est Premiere.”
Derrière ce slogan audacieux et résolument “canalien”, la chaîne, inaugurée le 28 février 1991 à 19h30, assume d’être une télé pas comme les autres. À l’image de Canal+, Premiere se distingue par une identité de marque singulière et raffinée, imaginée par le designer britannique Neville Brody.

Neville Brody


Graphiste, créateur de caractères et directeur artistique britannique, Neville Brody, est une figure emblématique de la culture graphique. Il a révolutionné la mise en page de magazines avec des titres cultes comme The Face et a travaillé pour diverses chaînes de télévision comme VIVA, RTL 2 ou la télévision publique autrichienne ORF.

Portrait de Neville Brody

Pour un abonnement mensuel de 39 DM (et une caution de 120 DM pour le décodeur – le Syster de Canal+), la nouvelle chaîne mise sur une programmation haut de gamme. Elle propose jusqu’à 400 longs métrages par an, diffusés 12 à 18 mois après leur sortie en salle. À l’instar de sa consœur française, la chaîne opte pour la multi-diffusion, avec une rediffusion sur huit créneaux différents en l’espace d’un mois. Box-office, films en version originale, “productions européennes originales” sont au rendez-vous.

Le sport constitue un autre pilier de la programmation, avec en tête d’affiche le championnat allemand de première division de football. Premier match diffusé : Eintracht Francfort/1. FC Kaiserslautern, le 2 mars 1991. Pour la première fois outre-Rhin, une chaîne de télévision diffuse le match phare de chaque journée de championnat “en direct et en intégralité”. Canal+ importe son savoir-faire technique (angle de caméras, duo de commentateurs…) et mise sur des journalistes sportifs transfuges des chaînes publiques. Outre le football, la chaîne propose également du basket, de la boxe, du golf ou encore des sports américains (NBA, NFL).

Tout comme Canal+, Premiere profitera de la vitrine des émissions en clair pour montrer sa différence vis à vis des autres chaînes de télévision et ainsi, inciter à l’abonnement.

Parmi les émissions de Premiere


0137


Diffusée du lundi au vendredi à 19h30 - en clair - du 28 février 1991 au 28 février 1994

« 0137 »se distinguait par sa structure innovante. Couvrant un spectre large de sujets, l’émission se composait de trois interviews succinctes de 15 minutes chacune. Le troisième invité est sélectionné par les téléspectateurs eux-mêmes, grâce à un vote téléphonique utilisant le préfixe 0137. De plus, le public a la possibilité de voter pour trois invités potentiels lors de l’émission précédente.

La sélection des personnes interviewées est basée sur l’actualité et se divise en trois domaines principaux : la politique, les événements d’actualité et une variété de sujets divers.

Pour la recherche des invités et des sujets d’interview, le département de documentation de l’éditeur Gruner+Jahr (une filiale de Bertelsmann) collabore étroitement avec la rédaction de Premiere.

Un aspect intéressant de l’émission est la simplicité volontaire de l’aménagement du studio qui ne comportait pas de public. Cette présentation épurée s’est rapidement révélée être la véritable essence du format, car l’attention est entièrement portée sur les entretiens. Le design sobre et factuel du studio a été conçu par le designer britannique Neville Brody, à l’origine de l’habillage de la chaîne.

Récompenses obtenues par l’émission :

  • 1992 : Le Câble d’Or (Das Goldene Kabel)
  • 1992 : Le prix de la télévision bavaroise (décerné par le gouvernement du Land de Bavière) – Bayerischer Fernsehpreis
  • 1993 : Prix Adolf-Grimme – Médaille d’or

0137 Night Talk


Diffusée dans la nuit du vendredi au samedi aux alentours de minuit - en clair - du 7 mai 1993 au 30 décembre 1994

Spin-off de 0137, cette émission hebdomadaire était diffusée dans la nuit du vendredi au samedi, aux alentours de minuit, en clair. Elle offrait aux téléspectateurs l’opportunité d’appeler pour partager leurs histoires personnelles et leurs opinions. Les réactions pouvaient également être envoyées par fax ou via Datex-J, permettant ainsi la lecture de courts messages sous forme de superpositions de texte pendant la diffusion en direct.

Animée par Bettina Rust, elle stimulait les conversations avec une approche souvent décontractée et parfois impatiente, mettant fin abruptement aux discussions lorsqu’elle perdait tout intérêt. Ce comportement honnête, rafraîchissant et non conformiste a fait de cette émission un véritable succès critique.

Ce qui distinguait le concept de cette émission, c’était la mise en scène de la caméra. Des grues de caméra et des systèmes Steadicam étaient utilisés pour une conception d’image toujours “artistique”.

Produite dans le bâtiment de la tour de l’hôtel Hafen à Hambourg, le décor était délibérément épuré : la présentatrice était assise à un bureau, avec devant elle un téléphone et un écran pour la liste des appelants et les messages texte. À l’arrière-plan, on pouvait voir le paysage urbain sombre de Hambourg.

Tacheles (mit Johannes Gross)


Diffusée le dimanche à 19h30 - en clair - Saison 1991/1992

Des invités issus du monde de la politique, de l’économie et de la culture répondent aux questions des journalistes Johannes Gross, Desirée Bethge et Theo Sommer. Un thème par émission est abordé et mis en exergue dans un débat affutée. L’actualité latente est le maître mot : les questions et les phénomènes qui sont sur toutes les lèvres sont examinés sous l’angle de leur pertinence et font l’objet d’un débat contradictoire. L’émission ne rencontrera toutefois pas le succès escompté et s’arrêtera au bout d’une saison.

Kalkofes Mattscheibe


Dimanche soir à 20h - en clair - diffusion du 17 avril 1994 au 27 décembre 1998

Émission satirique où Oliver Kalkofe se livre à une parodie des programmes télévisés allemands.
Des extraits d’émissions sont sélectionné puis rejouer à l’aide d’un fond vert. Il imite non seulement les dialogues, mais aussi les costumes et les coiffures des personnes présentées dans les clips. Un travail qui lui a valu le prestigieux prix Adolf-Grimme en 1996.

Airplay - das Musikmagazin


Diffusion du lundi au vendredi à 12h45 - en clair - fin de diffusion inconnue

Magazine musicial quotidien, à une époque où les autres chaînes réduisait de plus en plus leurs émissions pop, Premiere se présentait comme “la bouée de sauvetage” des fans de musique. Unique en son genre à la télévision allemande, le magazine musical Airplay présentait les hit-parades actuels sous forme de clips vidéo. Le samedi, dans le « Countdown », Airplay passe en outre en revue l’aperçu complet des hits de la semaine.

Studio/Moor


Diffusion du 8 septembre 1994 au 9 mars 1995

Magazine dédié à l’actualité des médias – cette émission était un rebranding de l’émission “Canale Grande” diffusée sur VOX.

CNN


Diffusion du lundi au vendredi de 7h à 8h - en clair - entre 1991 et 1993

Les premières années, Premiere diffusait en clair, le programme de CNN pendant une heure chaque matin de 7h à 8h, avec les émissions : CNN Headline News et CNN Moneyline. A cette époque, la chaîne n’était pas encore disponible à l’échelle nationale en Allemagne, ainsi cette fenêtre de programme est devenue un programme premium, notamment en raison de la popularité de CNN à l’époque de sa couverture de la guerre du Golfe.

Zapping


Diffusion quotidienne - en clair - de 1991 à 2006

Déclinaison de la célèbre pastille de Canal+, le Zapping sélectionnait et rediffusait les moments les plus drôles, navrants, émouvants ou les plus étranges des émissions de la veille, toutes chaînes confondues.

ÉPISODE 1

Téléclub ramène le cinéma par câble


(Re)découvrez le premier épisode de « Pay-TV en Allemagne, un business très crypté » avec l’histoire de la première chaîne payante en Allemagne de l’Ouest


Téléclub ramène le cinéma à la maison

Teleclub ramène le cinéma à la maison


Déclinaison de la chaîne à péage suisse, Téléclub est la première expérience de chaîne payante en République Fédérale Allemande.

Début des années 1980, la télévision par câble est en pleine expansion en Allemagne de l’Ouest. Lancé quasiment en même temps que chez le voisin français, le gouvernement allemand met le paquet sur la télédistribution.

La ville d’Hanovre compte l’un des réseaux les plus actifs du pays avec près de 20.000 clients. La capitale de la Basse-Saxe est retenue pour une expérimentation d’un nouveau genre : le lancement d’une chaîne payante entièrement dédiée au cinéma.

Une opération qui sera rendue possible par une société : la Kabel Marketing Gesellschaft, dont les actionnaires seront les groupes Springer, Bertelsmann, Madsack (qui commercialise les offres sur le réseau câblé de la Bundespost dans la région) et le groupe Kirch. Ce dernier nom n’est pas inconnu en Allemagne. Marchand de droits cinématographiques, Leo Kirch est l’un des entrepreneurs les plus médiatiques et les plus influents en Allemagne depuis les années 1960. Avec ses nombreuses sociétés dont BetaTaurus, il sera l’intermédiaire entre les chaînes publiques et les grands majors hollywoodiens pour la diffusion des films américains en Allemagne. En 1985, il lance la toute première chaîne de télévision privée, Sat.1, brisant de facto le monopole public, dans le cadre du projet pilote de télévision par câble à Ludwigshafen.

Avec le lancement de Sat.1, Leo Kirch n’est pas dans sa première expérience dans la télévision privée. Trois ans plus tôt, le 30 avril 1982, sa société lance en Suisse la toute première chaîne de télévision à péage en Europe, Teleclub, diffusé sur le réseau câblé zurichois avec chaque soir, deux films, contre un abonnement mensuel de 28 francs suisse.

La chaîne se relève rapidement être un succès, elle comptera trois ans plus tard, plus de 40.000 abonnés en Suisse alémanique.

Un succès qui conduit le magnat allemand à exporter la chaîne à péage en RFA avec l’aide d’Axel Springer et le groupe Bertelsmann.

Une promesse simple : ramener le cinéma dans chaque foyer


La promesse est simple, 180 films par an : 15 films inédits par mois et 15 rediffusions, 3 émissions quotidiennes en semaine, 5 le samedi, 6 le dimanche entre 17h et 23h45, à l’identique du programme suisse, captée par le satellite Eutelsat ESC-1 puis transmis par ce biais aux têtes des réseaux câblés allemands.

Avec un prix de l’abonnement de 29 DM (en plus de frais d’accès de 75 DM), la chaîne propose des films anciens et récents, européens comme américains, issus du catalogue allemand de Kirch via sa société BetaTaurus et Paramount Pictures. La nouvelle chaîne compter espérer trouver son public parmi les nouveaux usagers du câble.

Le 1er novembre 1986, la version allemande de Teleclub est lancée avec la diffusion du film « A Star is Born » de Frank Pierson. Pour ce premier jour, uniquement une trentaine de foyers comptent présent devant leur petit écran.

Un premier échec commercial


Malgré un plan marketing ambitieux, la chaîne ne compte qu’une vingtaine de nouveaux abonnés par mois. Au bout de deux ans, l’échec est palpable : 1.100 abonnés, soit 4% des ménages câblés dans la zone de test d’Hanovre.

Cette situation ne satisfait personne, à commencer par les partenaires de Kirch, elle conduit Springer et Bertelsmann, tout deux actionnaires à 30%, a quitter l’actionnariat de la filiale allemande en janvier 1988.

Kirch se retrouve seul aux manettes et comme un malheur n’arrive jamais seul, le projet de société intitulé « Premiere Film GmbH + Co. KG » dont les actionnaires auraient été les grands acteurs américains du divertissement tels que Warner Bros, 20th Century, HBO et Teleclub n’aboutit pas et prive cette dernière du catalogue de ces grands studios.

La situation économique contraste avec le voisin suisse où la chaîne est un grand succès. Elle poursuit sa croissance avec 70.000 abonnés en mai 1989 et une pénétration de la chaîne dans près de 90% des foyers suisse. Il faut dire, la télédistribution par câble y est très largement accessible. Une large distribution de la chaîne en RFA devient un préalable pour sa viabilité économique.

Distribution élargie, abonnement maxi


Le 6 avril 1989, Teleclub devient accessible sur les principaux réseaux câblés du pays : Düsseldorf, Duisberg, Ludwigshafen, Nuremberg et le plus grand réseau câblé de RFA, Berlin-Ouest. Ainsi, plus d’un million et demi de foyers ont la possibilité de recevoir la chaîne du « cinéma par câble ».

Une arrivée sur de nombreux réseaux qui fait office de « redémarrage » de la chaîne

Première nouveauté, un nouveau cryptage est introduit : le « PayView 3 » permettant de lutter plus efficacement contre le piratage avec un procédé assombrissant l’image et inversant l’ordre des lignes dans un ordre différent. Ironie du sort, ce nouveau codage se révèlera être un échec, les appareils pirates sont tellement performants que l’image décodé par ces derniers était meilleure que le décodeur original.

L’offre de programmes s’élargit à 25 films inédits par mois, en complément des 15 films rediffusés du mois précédent et les horaires de diffusion s’élargissent, de 10h30 à 3h du matin. Conséquence, le tarif augmente de 5 DM passant à 34 DM mensuel.

Enfin, un dernier aspect d’ordre technique mais qui a toute son importance, jusqu’ici la chaîne était diffusé en clair par satellite afin que les réseaux câblés puissent crypter le programme avec le codage de leur choix depuis leur tête de réseau. Une personne équipée d’une parabole et d’un décodeur satellite pouvait recevoir Teleclub … sans abonnement.

L’arrivée des nouvelles chaînes privées allemandes comme Sat.1 ou RTL Plus (devenue en 1992 RTL Television) sur le satellite change la donne, des premiers tests de cryptage sont réalisés les 24 et 25 avril 1989 pour les films « Consacrated Murderer, Part.1 » et « Consacrated Murderer, Part.2 » avant un passage en cryptage intégral une semaine plus tard, le 3 mai 1989.

L’accessibilité de la chaîne continue à s’élargir. À partir de cette date, il devient possible de s’abonner à la chaîne par satellite malgré peu de promotion sur ce nouveau moyen de réception. À l’inverse, c’est à ce moment que Teleclub adopte le slogan : « Teleclub transforme la télévision par câble en cinéma par câble ».

Cela n’empêchera pas une diffusion sur le nouveau satellite luxembourgeois Astra, innovant pour l’époque grâce à sa réception avec une parabole de taille moyenne et son nombre important de canaux de diffusion, le 1er juillet 1990 et qui remplacera la diffusion via Eutelsat en septembre de la même année.

Une facilité de réception qui permettra de toucher l’ex-Allemagne de l’Est, lors de la réunification le 3 octobre 1990, la télévision par câble étant quasi-inexistante dans la partie orientale de la nouvelle RFA.

La plus grande accessibilité de la chaîne, une plus large programmation de films inédits ainsi qu’une campagne marketing plus intense commence à porter leurs fruits, en février 1991, Teleclub compte 80.000 abonnés en Allemagne.

Même si la chaîne n’est pas à l’équilibre financier, la télévision payante suscitant de lourds investissements pour un succès économique souvent incertain, le marché allemand suscite des convoitises.

Canal+ ... d'outre-rhin


Forte de son succès en France, en Belgique et en Espagne, Canal+ étudie la possibilité de se lancer outre-rhin. Le modèle de Canal+ a l’international est simple : s’allier avec un partenaire local (la RTBF en Belgique, Prisa en Espagne) et réunir les ingrédients qui ont fait la réussite de la chaîne cryptée en France : du cinéma et du sport. En Allemagne, ce partenaire est tout trouvé, il s’agit de Bertelsmann, premier groupe d’édition allemand, propriétaire de UFA-Film et actionnaire de RTL Plus, concurrente directe de Sat.1.

La présence de nouveaux acteurs n’est pas sans risque pour Kirch, elle stimulerait un marché encore fragile et favoriserait l’inflation des droits cinématographiques. Surtout qu’une nouvelle chaîne aidée par deux groupes puissants propose une programmation plus variée que celle de Teleclub avec du sport en direct pourrait être fatal à cette dernière.

Le 16 février 1990, une alliance de raison pousse Bertelsmann, Canal+ et Kirch à la création d’une chaîne de télévision payante commune en RFA. Raison invoquée par les trois partenaires : seul un programme commun de télévision payante est économiquement viable à long terme en République fédérale.

Sous le nom de « Premiere », ils veulent proposer un programme commun qui succéderait à la déclinaison allemande de Teleclub. Chose faîte le 28 février 1991. Elle marquera la première expérience de Canal+ dans un pays non-latin.